Le Monde a écrit :
Au téléphone, Jean Clottes, "l'homme des cavernes", le préhistorien français, ne cache pas sa joie : "C'est la première fois dans le centre-est de l'Europe que l'on découvre une grotte ornée de ce genre, s'emballe-t-il. Les dessins ont été faits au charbon tenu comme un fusain. On reconnaît deux douzaines d'animaux, fréquents dans ces périodes anciennes du paléolithique, dont deux rhinocéros, un bison noir au poitrail accentué par un relief naturel, un cheval, une tête d'ours et peut-être un mammouth."
Dans le parc naturel roumain des monts Apuseni (département de Bihor), d'accès très difficile, les spéléologues roumains connaissaient la grotte de Coliboaia, sans en avoir remarqué le décor pariétal. Une grotte parcourue par une rivière souterraine active formant plusieurs "siphons" - zones où l'eau monte jusqu'à la voûte - qu'il faut franchir pour accéder à la grotte haute ornée de peintures.
Jean Clottes, conservateur général du patrimoine et expert de l'art rupestre pour l'Unesco, faisait parti de l'équipe de spécialistes français dépêchés sur place, dimanche 16 mai, pour authentifier les -peintures. Avec deux spéléologues (Marcel Meyssonnier et Valérie Plichon), un spécialiste des ours (Michel Philippe), un autre spécialiste de l'art rupestre (Bernard Gély), une archéologue (Françoise Prudhomme) et le soutien logistique des associations locales pilotées par le spéléologue Viorel Lascu, la troupe au complet n'a pas ménagé sa peine.
"Dans les trois siphons à franchir, il y avait 5 cm entre la voûte et l'eau à 9 °C. Il fallait se coucher complètement dans l'eau boueuse, entre les stalagmites, la tête en arrière, le nez et la bouche contre la paroi. C'était un peu stressant, mais j'étais très content de l'avoir fait", confie Jean Clottes.
Ce grand gaillard de 77 ans n'est pas peu fier d'avoir crapahuté, escaladé les parois, rampé dans les galeries jusqu'à une salle, élevée de six ou sept mètres au-dessus du niveau de l'eau, qui fut "fréquentée par les ours des cavernes. Les ossements qui jonchent le sol en témoignent. Les ours ont griffé et poli les parois au cours de leurs séjours dans la grotte. Des dessins ont été griffés. Des griffures postérieures au tracé, ce qui est très important pour l'identification". D'après leur facture, ces représentations datent de l'aurignacien ou du gravettien, soit 35 000 ans à 23 000 ans avant Jésus-Christ.
Une découverte très importante, car si on connaissait le peuplement préhistorique de l'Europe centrale et son art mobilier - statuaire, gravure sur os, ivoire et pierre -, c'est la première fois qu'un art pariétal aussi ancien est avéré, puis authentifié, dans cette partie du Vieux Continent.
Florence Evin