L'article qui suit n'apporte peut-être rien de nouveau à la somme de ce que vous dit ici, mais il me semble que c'est une bonne synthèse.
Il est extrait d'un numéro hors-série de de l'hebdomadaire LE POINT
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Le mystère Neandertal
Brute épaisse façonnée par les glaciations ou cousin de notre espèce, Neandertal a-t-il été éliminé par Crô-Magnon, le peintre de Lascaux, ou s'est-il éteint naturellement? La polémique fait rage.
par Henri de SAiNT-BLANQUAT
Un Britannique a écrit tout un livre d'où il ressort que l'homme de Neandertal était, excepté sa force physique, vraiment inférieur, pour l'essentiel, à Crô-Magnon. A l'inverse, un Américain a affirmé que si l'on habillait un Neandertal d'un complet veston et d'un chapeau mou personne ne se retournerait sur lui dans la rue. Faites votre choix... Cet homme à la fois si différent et si proche, voilà 30 000 ans qu'il est mort, et pourtant il gêne encore.
Certes, tout le monde est d'accord pour dire que nos ancêtres Crô-Magnon sont, plus ou moins directement, la cause de sa disparition. Mais, pour l'essentiel, son extinction demeure une irritante énigme.
UNE LONGUE COHABITATION
Il y a un an encore, l'accord était assez général. On Invoquait la méthode douce. Loin de parler de massacre, comme on l'avait fait dans les premières décennies de ce siècle, les préhistoriens expliquaient la fin de Neandertal par l'arrivée des Crô-Magnon avec leurs lames de silex dites aurignaciennes et leurs pointes de sagaie en os vers 45000-40000 ans avant notre ère en Europe orientale, vers 38000 sur les bords de l'Atlantique, au pays cantabre. Dans ce scénario, les Néandertaliens, eux, se maintenaient jusque vers - 30000, voire - 27000, à Zafarraya, dans l'extrême sud de l'Espagne. On envisageait donc une cohabitation, pas forcément belliqueuse, de 8 000 à 1 0 000 ans -ce qui n'est pas rien.
Dans certaines régions même, le contact des grands Crô-Magnon au noble front semblait avoir émoustillé les petits Néandertaliens ultracostauds qui s'étaient, comme on dit, acculturés. En témoignaient les outillages du szélétien en Europe centrale, de l'uluzzien en Italie, du châtelperronien dans la France de l'Ouest et du Sud-Ouest. Des outils sur lame mais différents, montrant un héritage indigène. Un tel outillage a été trouvé avec des restes néandertaliens à Saint-Césaire, près de Saintes, et à Arcy-sur-Cure, dans l'Yonne. A la fin, quand même, le monde de Neandertal se serait éteint, épuisé, ou étouffé, par ses entreprenants voisins.
C'est justement ce site d'Arcy, plus précisément la grotte du Renne, qui fait de nouveau parler de lui. L'été dernier, une étude publiée par cinq préhistoriens a semé un certain trouble dans la corporation. Francisco d'Errico, Joao Zilhao, Michèle Julien, Dominique Baffier et Jacques Pelegrin ont réexaminé, chacun dans sa partie, les résultats et le matériel de la grotte du Renne où André Leroi-Gourhan avait fouillé jusqu'en 1963. Ils ont aussi fait faire de nouvelles datations. Tout cela les a conduits à renverser complètement les perspectives sur le mystère. Premièrement, ont-ils écrit dans Current Anthropology, ce Neandertal n'était pas un sous-développé, comme on le dit encore. Non, dix fois non! Les os façonnés et les dents incisées d'Arcy ne sont pas, comme on a pu le croire, des objets recueillis chez quelques Crô-Magnon voisins, ou encore ramassés dans leurs poubelles (la plaisanterie a été faite). Ils montrent, examinés de près, une façon de travailler toute différente de celle des aurignaciens. Ils doivent donc être l'oeuvre des hommes de Neandertal qui fréquentaient cette caverne. On en conclut que ces gens, encore souvent perçus comme des brutes épaisses, étaient capables de réaliser de jolis objets.
UN CHOC A EU LIEU
Mieux encore: le châtelperronien ne représente pas une sorte d'acculturation des indigènes influencés par la haute civilisation des hommes à front élevé. Réexaminant, en effet, les stratigraphies classiques du sud-ouest français, le groupe des cinq met en doute le fait que cette culture soit apparue après l'aurignacien, et donc à son contact. Elle aurait plutôt été là avant ! De nouvelles datations, demandées à l'accélérateur d'Oxford, suggèrent, effectivement, une ancienneté sensiblement plus grande: jusqu'à 45 000 ans. Sacrilège : nos amis néandertaliens auraient donc inventé ornements et outils « modernes » quelques milliers d'années avant l'arrivée... des hommes modernes!
Ce qui est paradoxal, c'est que cette originalité et ce vieillissement conduisent à supposer que les Néandertaliens, et leurs outils de Châtelperron, ont disparu dès l'arrivée de ces hommes modernes. Tirez la couverture d'un côté, vous dégarnissez l'autre. Ils ont été avant, ils n'ont donc plus été « pendant ». Ils n'ont pas tenu le choc des cultures... Ce qui fait penser qu'un choc a bien eu lieu, qu'il a été sévère et radical : on revient aux visions anciennes. Dès lors, Neandertal ne se serait maintenu qu'en péninsule Ibérique, au sud de l'Ebre.
DES FORMES D'ART PRIMITIVES
Les réactions des préhistoriens à cette thèse sont en général mitigées, notamment sur la chronologie. Les cinq, font remarquer certains, tiennent pour nulle et non avenue la plus grande partie des dates obtenues auparavant. Par ailleurs, il semble curieux que des techniques « modernisées » soient apparues en trois régions de l'Europe juste avant l'arrivée des hommes modernes et après des dizaines de millénaires de quasi-stagnation. En revanche, on ne conteste pas l'originalité des objets.
Mais, diable, que les Néandertaliens se soient acculturés ne signifie pas qu'ils étaient inférieurs mais, au contraire, qu'ils étaient capables de faire aussi bien...
Des preuves de leurs capacités existent. On sait qu'ils pouvaient ensevelir leurs morts, ce qui montre déjà certaines inquiétudes métaphysiques. Ils savaient aussi tailler le silex de façon subtile en donnant sa forme à l'outil avant de le détacher. Et ils pratiquaient des chasses spécialisées. A Laborde, en Haute-Loire, ils s'en prenaient tout simplement à l'aurochs. Mais, pas fous, ils le faisaient à la saison où les femelles et les jeunes, seuls chassés, se séparaient des redoutables mâles (1,80 mètre à l'épaule).
Enfin, ils aimaient les fossiles, les objets de forme curieuse qu'ils allaient parfois chercher jusqu'à 200 kilomètres. On peut même se demander s'ils ne connaissaient pas déjà les formes d'art primitives : plusieurs sites ont fourni des colorants, voire des sortes de crayons d'ocre, dont certains avaient frotté une matière souple, peut-être leur corps pour les embellir.
Réexamen des datations, des styles de vie, des façons de travailler, de la coexistence avec Crô-Magnon... Réhabilitation - remise en question. Nous voilà reparti pour quelques bonnes années de discussions. Et puis, reste une question lancinante: ces hommes sont-ils beaucoup, un petit peu ou pas du tout nos ancêtres ?
Pour toutes ces incertitudes, la question de l'extinction des Néandertaliens demeurera l'énigme la plus sensible de toute la paléontologie humaine.
1. Les derniers Néandertaliens de Dominique Baffer (Ed. La maison des roches).
Les premiers Européens
En matière d'émergence de l'homme, on parle toujours de l'Afrique. Et chez nous, alors! Face aux 2,5 millions d'années (au minimum) des plus anciens Homo erectus d'Afrique, aux 1,8 million, ou plus, des pithécanthropes et sinanthropes d'Asie, notre petit bout de continent n'avait à présenter que les quelque 500 000 ans de la mâchoire de Mauer (près de Heidelberg) et les quelque 400 000 ans de l'homme de Tautavel. Maigre... Bien sûr, on avait des soupçons de préhistoire à près de 1 million d'années en Haute-Loire, à Soleihac; mais aucun bon et solide os humain. Un moment, un bel espoir s'était levé avec une mâchoire trouvée en Géorgie: 1,8 million d'années! La Géorgie n'est sans doute pas en Europe, mais elle y touche... Hélas! la mâchoire de Dmanisi s'est révélée bientôt néandertalienne, ce qui l'a fait entrer dans le rang.
Heureusement, pour relever le gant sont venues à la rescousse l'Italie et l'Espagne. En Italie, on a découvert une calotte crânienne dans une tranchée d'autoroute. Cette calotte, dite de Ceprano, pourrait avoir de 700 000 à 800 000 ans, d'après l'environnement. En Espagne, c'est tout un gisement qui est apparu dans la sierra d'Atapuerca, non loin de Burgos. Et quel gisement! D'abord une série d'ossements d'environ 300 000 ans dans une cavité baptisée la « Sima de los Huesos » (la fosse aux os), ensuite dans la « Gran Dolina », des fragments de crânes, de membres et des dents qui remontent à 800 000 ans au moins. Ces derniers restes - on en espère de plus anciens encore - sont ceux des premiers Européens connus. Pas si mal, en fin de compte!
FEVRIER 1999 LE POINT NUMERO 1377