Polycarpe de M. a écrit :
Non, non je ne suis pas bon à enfermer, je vous assure....
Et bien moi, c'est une nuit que j'ai fait un rapprochement. L'enfance, voilà l'histoire...
Ce n'est pas une passion, ce mot je le réserve précieusement, presque religieusement. Une passion dure toute une vie et ne se rencontre qu'une fois.
Enfant, on ne sait pas ce qu'est l'Histoire. Il existe deux mondes : les "grands" et les "vieux". Les "grands" travaillent et ont un étrange rapport au temps : "il faut laisser le temps au temps" ; " Zut, je n'aurai pas le temps !" ; "As-tu le temps de ?"... Parallèlement existe le mot "tant" : "il y a encore tant à faire..." sans compter avec le "T'en as mis du temps enfin, tant que c'est fait..." et les fameux "vingt ans". Cependant, il existe toujours un ancien qui est chargé d'occuper votre temps et de tout démêler. Pour moi, c'était mon arrière-grand-mère : j'avais donc droit à la Bible, aux souvenirs et à l'Histoire des Romanov. Entre "Moïse sauvé des eaux", la croix de sang sur le linteau de la porte (le prix de la liberté se résumait à tuer une petite bête et à la dévorer... en plus il fallait faire une croix avec son sang...perso, j'aurais "mouriru plutôt" mais ça ne se faisait pas), les quatre très belles jeunes filles aux noms magnifiques, massacrées dans une flaque de sang (il existait des degrés dans le vocabulaire, donc je pouvais "visionner" ; massacré n'est pas égal à écrabouillé : Micheline (la) écrabouille, c'est pour ça qu'on ne va jamais la voir passer) et la guerre voire les guerres tout ceci était des histoires. Première BD : le chemin de croix (j'étais fan...) donc l'histoire s'est installée très tôt, avant même que je ne sache lire (ça donne la méningite". Puis, la conteuse est morte. J'étais plus jeune que Polycarpe (3 ans) et le docteur avait dit qu'à mon âge on ne comprenait pas ces choses là. J'étais bien désolée mais je savais que "morte" ça voulait dire "crevée" comme sur les champs de bataille totalement différents de nos champs qui avaient du blé enfin de quoi manger. ça c'était fait tout seul ; ça collait : elle était morte "de vieillesse" et maintenant, elle était au ciel. J'ai compris que ma grande tante était bien loin d'avoir la manière de raconter des histoires... Au ciel ! Eh ben, ça devait être un drôle de bazar... Donc plus d'histoires...
Il a fallu questionner et pour "avoir la paix" (comme quoi les adultes sont près à n'importe quelle concession pour l'avoir) on a lâché quelques mots : Marcel Québir, Kaza, des comptoirs donc des cafés chez les Indiens (incroyable...) : Pondichéri ; "des hommes, des héros ceux là", la preuve ils devaient cacher leur nom : ah oui, c'était pour ça que Jean Moulin s'appelait Jean Moulin. Des « Jean » il y en avait un tas : ceux qui vous ennuient (les gens) et puis Jean, celui qui était resté au bas de la croix quand tous les autres se "débinaient" (le pire... Pierre , une nette préférence pour Judas, au moins il s'était puni tout seul...) et puis "moulin" : il y en avait un près des vallées.
Ensuite, grâce aux mots croisés, j'ai su mes lettres puis ce fut le catéchisme avant l'âge dit "normal" puis le dictionnaire (les pages roses étaient un tas d'histoires à la queue leu leu). Des questions posées au curé, autour de moi : toujours la réponse était donnée sinon je ne pouvais rien avaler tant j'étais occupée à chercher...
On dissocié le courage de la chèvre de Monsieur Seguin qui se bat jusqu'à la mort sans rien lâcher du courage des hommes qui se battent pour la liberté. D'emblée : "la guerre était une connerie"... Ensuite une étrange "grande personne" est arrivée. C'était la nouvelle institutrice. Cruellement, inexorablement, implacablement il a fallu apprendre à s'asseoir devant une table, ne plus rire, ne plus bouger et entendre mes histoires se faire dépecer, une à une pour laisser place à l'Histoire. Sans compter que le « H », il faut se le farcir en majuscule... C'est là que j'ai compris que je ne grandirai jamais quelque part, ne serait-ce que pour faire mentir les grands. L'Histoire est devenue étrange : il y avait l'Histoire en classe et une autre histoire à la maison... J'ai tout détesté en bloc : la classe, la maison, l'histoire, le catéchisme... En grandissant, je cherchais la faille chez ces grands savants... Et toujours, je trouvais. L'Histoire est alors devenu un champ de bataille et à la fois un camp dans tous les sens du terme ; la preuve : "il fallait choisir son camp..." ; j'ai compris alors que les adultes en avaient plusieurs, suivant les moments et l'auditoire. Pas tous les adultes... Je n'ai pas eu le goût de l'Histoire, pas celle qui pouvait se décliner mais j'ai été accrochée par elle car à travers ses exemples, on pouvait s'autoriser à juger ceux qui étaient intouchables. L'Histoire fut donc une douceur suivie d'un vaste fracas où "tous les coups étaient permis". J'ai donc développé une méfiance face à ceux qui enseignaient l'Histoire. Leurs héros avaient forcément quelque chose à se reprocher, restait à trouver quoi et je trouvais... L'Histoire n'a rien à voir avec la sérénité, la paix ou autre billevesées. Elle se construit dans les rapports de force, les concessions, les "déculottées" et autres joyeusetés. On ne retient que guerres et révolutions, on se bat à coup de morts, on encense le dernier canon sorti, on joue avec les mots et les chiffres ; pire : on ne ressent rien pour l'Histoire, elle est apprise selon une méthode et pour ceux qui font des études, elle est analysée selon des critères qui là encore sont très variables mais toujours les meilleurs selon qui a fait le plat du jour.
La conclusion est qu'au-delà de tout ceci, il existe en effet des êtres humains pas infaillibles mais "propres", pas géniaux mais "droits", pas belliqueux mais "humains", pas ambitieux mais "justes" et je retrouve dans "Corbulo" ou autres des histoires qui me rattachent aux valeurs de mon enfance. Celles d'avant l'école, lorsque je me sentais libre sans encore savoir ce que la liberté était : libre de penser, de courir, de savoir, libre des entraves du temps ; à l'âge ou 15 H 00 est trois "i" majuscule et "18 H 00" veut dire "vi"... L'heure du lit est "viii" pour la petite aiguille et "vi" pour la grande, le tout accompagné d'un son... Voici comment j'ai découvert l'histoire et voilà comment je l'aime : apprise en douceur par des "grands" qui savent expliquer aux enfants ; donc de "grands enfants" et c'est rassurant de constater qu'il en existe encore... Même des géniaux, comme quoi...Une autre conlusion, il faut toujours faire très attention à ce que l'on dit devant les enfants concernant l'Histoire, rien n'est jamais oublié, même si le silence est de mise...
Le plaisir : constater qu'il n'existe pas "une histoire" mais bien "des histoires" dans l'Histoire et il n'est pas la peine de s'en faire ; la boucle est donc bouclée : c'est bien, c'est beau, c'est rond... J'ai su transmettre à ma façon et atténuer les jugements mais la jeune génération ne rêve plus alors l'Histoire est condamnée, c'est une question... de temps !