Eh bien ! Tant mieux si le pourfendeur de « l’histoire officiel des universitaires » s’améliore…
En revanche, dans le dernier numéro de la revue l’Histoire (p. 29) se trouve un court article signé par Jean-Jacques Becker, président d’honneur du Centre de recherche de l’historial de la Grande Guerre de Péronne, qui jette à nouveau le discrédit sur M. Ferrand. Je cite
in extenso :
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Le mercredi 16 novembre 2011, à 23 heures, était programmé un documentaire baptisé Clemenceau contre la paix et présenté par Franck Ferrand. Le titre paraissait curieux, mais le contenu confine au scandale. Ce film entend montrer que la guerre aurait pu s’arrêter en 1917, mais que Clemenceau l’a empêché et a donc fait tuer des centaines de milliers d’hommes supplémentaires. Il s’agit d’un mensonge grossier d’autant plus que Clemenceau n’était pas alors au pouvoir. Rappelons au contraire comment ce prétendu « belliciste d’une dureté incroyable » a accueilli la demande d’armistice des Allemands, en octobre 1918 : « Je me serais cru déshonoré, dira-t-il, si j’avais fait durer cette guerre un jour de plus qu’il n’était besoin. J’ai fait la guerre à fond pour la faire durer le moins possible. » Pour donner plus de poids à leur démonstration, les auteurs ont fait figurer dans leur émission de vrais historiens – dont l’auteur de ces lignes à qui on n’avait pas dévoilé l’objet réel de cette émission et dont on a conservé quelques phrases ou quelques mots sans rapport avec lui.
A cela s’ajoute un article de Michel Winock paru sur le site du journal Sud-Ouest daté du 12/12/2011 :
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L'Histoire « révélée », un tour de bonimenteurs
Il y a deux façons d'écrire l'Histoire, celle des historiens et celle des bonimenteurs. Les premiers s'échinent sur des sources, les comparent et, après un long travail, établissent ce qui se rapproche le plus du vrai sur un sujet donné. Les bonimenteurs, eux, ne se donnent pas tant de peine. Partant du principe que l'Histoire des historiens est prisonnière des idées reçues, ils ne tendent à rien tant qu'à « dévoiler » une vérité souterraine, occultée, « interdite », qui met en miettes la vérité « officielle ».
Un soir de novembre dernier, France 3 présentait un documentaire intitulé « Clemenceau contre la paix », dû à Franck Ferrand, auteur par ailleurs d'une « Histoire interdite » qui se vante d'offrir des « révélations sur l'histoire de France ». Eh bien vrai ! on en a appris de bonnes. On nous a raconté que Georges Clemenceau était un « nationaliste effréné », un « belliciste d'une dureté incroyable », et qu'à cause de cela il avait refusé une paix avec l'Allemagne qui aurait épargné des centaines, voire des millions de vies humaines. Un ramassis de contre-vérités qui le disputent à la mauvaise foi. Loin d'être l'enragé dépeint par les auteurs du film, Clemenceau a fait la preuve à plusieurs reprises d'une modération qui déplaisait fort à la presse chauvine et belliqueuse de son temps. Nullement « revanchard », il avait avant tout le souci, depuis 1905, d'éviter que son pays ne soit rayé de la carte. Lorsqu'il fut rappelé au pouvoir, en novembre 1917, il fit la guerre, certes, farouche, volontaire, décidé à vaincre, mais avec le souci de rester de plain-pied avec les combattants, visités sans relâche par lui dans les tranchées. Lorsque les Allemands et leurs alliés demandèrent l'armistice, Clemenceau exprima, le 7 octobre 1918, sa conviction, au cours d'une conférence avec les Alliés : « Je dois dire que mon désir est de demander ce qui est nécessaire et pas davantage. Il ne faut pas qu'on puisse nous reprocher d'avoir par des exigences excessives prolongé la guerre et fait tuer des centaines de milliers d'hommes. J'ai demandé à Foch d'y réfléchir… »
Pour le président de la République Raymond Poincaré, la demande d'armistice faite par l'Allemagne, l'Autriche-Hongrie et la Turquie est « impossible à discuter tant que l'ennemi occupera une partie quelconque de notre territoire ». Tel n'est pas l'avis de Clemenceau. Nullement jusqu'au-boutiste, conscient de la fatigue des troupes, désireux de ne pas voir se prolonger un conflit déjà interminable, il ne veut pas laisser échapper une chance de paix. Le responsable de l'émission ose dire que Clemenceau « aimait la guerre », en lui imputant le vœu de la continuer, qui n'était pas le sien mais celui, entre autres, d'un général Pershing s'opposant, en date du 30 octobre 1918, « à un armistice qui priverait les Alliés d'une victoire complète ».
Clemenceau s'est clairement exprimé sur son attitude, qui lui avait valu une polémique avec Poincaré, auprès de Jean Martet : « Je me serais cru déshonoré si j'avais fait durer cette guerre un jour de plus qu'il n'était besoin. J'ai fait la guerre à fond pour la faire durer le moins possible. Aux premières demandes d'armistice j'ai failli devenir fou… fou de joie !… C'était fini ! J'avais trop vu le front, moi. J'avais trop vu de ces espèces de trous pleins d'eau où des hommes vivaient depuis quatre ans. Le premier qui est venu me dire : "Les Boches n'en peuvent plus ; ils demandent la paix"…, je lui aurais sauté au cou, en pleurant. »
Tel est celui qu'une chaîne publique de télévision a voulu faire passer pour un va-t-en-guerre débridé. J'y vois deux penchants bien actuels. Primo, un amateurisme prêchant d'autorité contre les professionnels : un filon médiatique à base de sensationnalisme, autrement excitant que la mise en scène des faits établis par des générations de chercheurs. Secundo, une tendance à déboulonner les « grands hommes » - cette engeance odieuse à nos convictions égalitaires.
Michel de Montaigne disait de la grandeur : « Puisque nous ne pouvons l'atteindre, vengeons-nous à en médire. »
Michel Winock
Voilà, pour moi tout est dit sur ces « bonimenteurs », selon l’expression de Michel Winock. Pour faire de l’histoire rentable, il faut :
-faire de la « people-history » : sexe, complots, trahison
etc.-annoncer que l’on va briser des tabous, dire la vérité au bon peuple, à qui les dangereux universitaires cachent la vérité
-ne surtout pas se confronter aux sources, mais mettre bout à bout des textes ou des témoignages – parfois douteux – sortis de leur contexte.