Le document qui changera la face du Monde ? Le testament de Jésus oublié dans un coin de la série J des archives départementales de Haute-Saône ? Je m'excuse de ce brin d'ironie initial qui ne se veut en aucun cas méchant.
Peut-être, pour commencer, que votre conception de l'Histoire en tant que champ d'études ne correspond pas tout à fait à celle de ceux qui la pratiquent : ils ont conscience que leurs travaux ne changeront pas la face du Monde (même s'ils nourrissent peut-être l'espoir que leurs travaux à tous contribueront un temps soit peu, par une connaissance plus riche et nuancée du passé, à éclairer leurs contemporains et - qui sait - influer positivement sur leur(s) horizon(s) d'attente. Mais ce sont de vastes questions que celles des ambitions et de l'utilité de l'Histoire !).
Il se peut aussi que l'idée que vous vous faites de la pratique de la recherche en archives soit quelque peu, disons, optimiste. L'immense majorité des documents d'archives, sinon leur totalité, n'ont de valeur - ou, en tous cas, ne prennent toute leur valeur - que confrontés à d'autres, mis en séries... Ce qui m'amène à dire - mais c'est une banalité - que les documents ne deviennent franchement intéressants - en-dehors de leurs valeurs esthétiques, anecdotiques... - que lorsqu'ils peuvent nous aider à répondre à des questions posées au préalable (étant entendu que les questionnements peuvent évoluer au fil de l'étude des sources). C'est là une des raisons qui expliquent que des fonds d'archives restent largement inexploités : ils n'entrent pas en adéquation avec les questions qu'on se pose... Mais peut-être que ce sera le cas un jour ! Il faut aussi bien dire que, aujourd'hui, les fonds d'archives traditionnels, nos chers vieux papiers, qui constituent l'essentiel des fonds conservés dans les centres d'archives ne constituent pas, et de loin, les seules sources de l'historien !
Pour expliquer cette subsistance de fonds relativement ou totalement inexploités on peut évidemment aussi invoquer les manques de moyens bien réels de la recherche comme celui des centre d'archives. L'explication méthodologique reste cependant plus stimulante à mon goût.
Si un archiviste tombe sur quelque chose comme un nouveau rapport khrouchtchev il est quand même fort possible qu'il le signale... Les rapports entre archivistes et chercheurs existent bien et les progrès dans le signalement des ressources archivistiques facilité évidemment les mises en rapport. Les publications et conférences dans les sociétés savantes locales existent également... Et ces mises en valeur de fonds peuvent effectivement attirer l'attention de chercheurs...
... Maintenant, pour conclure, créer des postes de chercheur pour rechercher systématiquement ce qui peut révolutionner notre connaissance mais que personne n'a remarqué me semble passablement illusoire pour les diverses raisons évoquées plus haut. A défaut de problématique pour orienter ses recherches il en serait réduit à chercher des documents fantasmés tels que le testament du Christ ou la recette de la pierre philosophale...
_________________ "Tout détruire, c'est se vouer à construire sans fondations ; il faut ensuite tenir les murs debout, à bout de bras." (Albert Camus, L'homme révolté)
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