Merci Pédro pour l'aide-mémoire
Pour compléter les remarques de YetAnotherYves, quelques éléments un peu en vrac, tirés de divers livres.
Tout d'abord, il faut noter que les animaux du bestiaire roman ne sont pas présents seulement dans les sculptures à destination religieuse, mais aussi sur d'autres supports (peinture, arts décoratifs) et dans des oeuvres profanes (peu nous sont conservées, mais on peut citer la bordure de la tapisserie de Bayeux, quand même.). Quelques éléments sur les bestiaires dans des livres :
http://expositions.bnf.fr/bestiaire/index.htmDans la Bible, les relations sont étroites entre l'homme et l'animal : dans la Genèse, c'est, par exemple, l'homme qui nomme tous les animaux, dans ce qui est, en quelque sorte, un acte de seconde création. Dieu lui donne également le pouvoir sur les animaux. J. Le Goff explique ainsi : "Pour l'homme médiéval, l'animal est en quelque sorte une créature commune de Dieu et de lui-même, ce qui confère à sa relation avec l'animal une espère de caractère religieux et même sacré, un caractère allant bien au-delà du pittoresque des représentations animalières". (
Un Moyen-Âge en image, Hazan, 2000, p. 182).
De manière générale, je vous recommande le passage sur l'animal dans ce bouquin, qui s'appuie en partie sur Jacques Voisenet. Un petit résumé à grand traits
- l'intérêt porté aux monstres vient en partie d'une étymologie fantaisiste qui rapproche [i]monstrum de
monstrare, montrer, et même démontrer. Le monstre est un miroir qui, par contraste, fait ressortir les caractères de l'humanité.
- le monde animal est un univers symbolique, que l'on retrouve dans les fables notamment. L'animal est un moyen de connaissance (cf. le traité scientifique et théologique
De animalibus d'Albert le Grand) et un outil pédagogique, notamment à travers les
exempla.
- Les animaux sont généralement classés en deux catégories, les bons et les mauvais, mais tous restent polysémique, comme le sont les couleurs. Pour ce qui concerne la symbolique précise de certains animaux, il faut se référer aux ouvrages de M. Pastoureau et à ceux de ses élèves. La présence d'un animal dans la Bible lui donne une valeur.
Concernant spécifiquement le bouc chevauché, dont on trouve un exemplaire à l'abbatiale Saint-Pierre de Mozac (XIIe s.) (
Une image ici), son symbolisme est polysémique : il est à la fois un animal de sacrifice dans la Bible ("bouc émissaire), mais aussi, dans la tradition antique, lié à la luxure et à l'érotisme. Le diable peut-être représenté avec les attributs d'un bouc (cornes, pattes). Son chevauchement peut donc être positif, lorsque c'est un chasseur, mais aussi négatif (chevauchées maléfiques, ou chevauchées des sorcières à la fin du Moyen-Âge)
Les sources d'inspiration pour les représentations monstrueuses sont nombreuses. J'avoue être un peu sèche pour les influences celtes ou scandinaves, mais beaucoup proviennent également des textiles de luxe islamiques ou byzantins, qui voyageaient beaucoup vers l'Occident (beaucoup entourent des reliques). L'expo France romane du Louvre avait ainsi mis en parallèle des représentations d'éléphants ou de senmurv (un monstre spécifiquement iranien, avec une queue de paon, des griffes et une gueule de lion) avec des textiles islamiques, de manière plutôt convaincante.
La représentation de monstres et d'animaux dans une Eglise, si elle correspond donc bien à la mentalité religieuse romane, ne va pas sans opposition néanmoins, essentiellement dans les milieux monastiques. On connaît un célèbre texte de Bernard de Clairvaux, qui stigmatise ces représentations (comme tout art, d'ailleurs) comme ne servant qu'à distraire le moine :
Citer :
Et que signifient, dans les cloîtres, sous les yeux des frères lisant leur bréviaire, ces monstres ridicules, toute cette beauté informe, cette trop belle hideur, ces singes immondes, ces lions féroces, ces centaures, ces êtres à demi-humains, ces tigres tachetés, ces scènes de combat et de chasse ? On voit ici plusieurs corps pour une seule tête, ailleurs plusieurs têtes sur un même corps ; un quadrupère s'achève en queue de serpent, un poisson dresse une tête de quadrupède... De toute part une luxuriance de formes extraordinaires attire notre attention, nous nous prenons à aimer mieux lire sur le marbre plutôt qu'à méditer la loi de Dieu
(Cité dans De pierre, d'or et de feu
Il existe un vrai débat intellectuel, qui déborde du cadre de la querelle Cluny-Cîteaux dans le domaine de l'ornementation des églises, au XIIe s.
(Désolée pour le caractère touffu de cette réponse.)