Après quelques interventions sur divers fora tel que Restauration, je me suis dit qu’il serait peut être intéressant ici de parler un peu des regalia, ces insignes qui autrefois servaient à sacrer les rois de France (ou qui ont également servi pour certain à sacrer Napoléon Ier). Cela permettra de faire un point et de réaliser une synthèse de ce qui a pu être dit.
Les personnes connaissant le sujet remarqueront que je vais largement m’inspirer ici du catalogue de l’exposition : Regalia : les instruments du sacre des rois de France, les Honneurs de Charlemagne (musée du Louvre 1986-1987).
Je propose donc de commencer par une étude des régalias d’Ancien Régime, puis nous nous intéresserons aux honneurs de Charlemagne.
Nous parlerons donc successivement ici des couronnes, des sceptres, des mains de justice, de l’épée, des éperons, des vêtements et des objets liturgiques ayant servi aux sacres des rois et des reines de France jusqu’en 1775
La couronne du roi dite Première couronne française de tradition.
Historiquement cette couronne pose un certain nombre de problèmes. En effet, on sait qu’elle formait une paire avec la couronne de la reine (qui deviendra par la suite la « seconde » couronne française de tradition et que nous étudierons après la présente). Hors la première mention dans les archives d’une paire de couronne n’apparaît pas avant le legs que fait Philippe II Auguste à l’abbaye royale de Saint-Denys. Le fils de Philippe Auguste, Louis VIII, rachète les couronnes de son père et de sa mère, Isabelle de Hainaut à l’abbaye. Elles ne seront redéposées au trésor qu’en 1261, lorsque le saint roi Louis IX les confie aux bénédictins de Saint-Denys pour qu’elles servent à « couronner les rois et les reines ». Le baron Hervé Pinoteau identifie donc cette paire de couronne avec celle qui, jusqu’à la Ligue, est conservée dans les armoires di trésor. Selon lui, elles auraient été créées en 1180 pour le double sacre du roi et de la reine. Cette couronne fut fondue en 1590 par les ligueurs qui cherchaient des fonds pour financer la « fronde » des Guise.
Cette couronne a porté de nombreux noms mais celui qui lui est resté apparaît au XIVe siècle, où dans les procès verbaux des sacres on l’identifie avec la couronne ayant servi au sacre de Charlemagne le 25 décembre 800.
Comme le dit Danielle Gaborit-Chopin dans le catalogue
Regalia : les instruments du sacre des rois de France, les Honneurs de Charlemagne, on pourrait parfaitement admettre cette identification et cette datation si les couronnes de tradition ne présentaient pas un certain nombre de problèmes stylistiques.
Comment se présenter la couronne française de tradition ?
Contrairement à sa jumelle, on ne conserve que très peu de représentation de la couronne ayant servi aux sacres des rois de France. On peut même dire que l’on n’en possède que deux représentations avec les gisants de Philippe VI de Valois et de Jean II le Bon conservés tous deux dans la basilique de Saint-Denis. En effet, les premiers rois Valois, pour asseoir leur légitimité au trône de France se sont faits représentés ceints de la couronne de tradition.
Gisant de Philippe VI de Valois, Basilique de Saint-Denis
Gisant de Jean II le Bon, Basilique de Saint-Denis
Pour ces deux gisants, il est probable que les couronnes étaient enrichies de pierres ou de verre coloré qui imitaient les véritables gemmes de la couronne du sacre. Ces pierres ont disparu, et les couronnes ont été fortement restaurées au XIXe siècle lors de la remise en place des gisants.
Elle se présentait sous la forme de quatre plaques rectangulaires convexes surmontées chacune d’une fleur de lys. Les plaques étaient reliées entre elles par des charnières. La couronne du roi était relativement lourde puisqu’elle pesait 15 marcs, ce qui représente un peu plus de quatre kilogrammes (pour comparaison, la couronne de Saint-Edouard servant aux sacres des souverains britanniques pèse un peu moins de la moitié du poids de la couronne de Rance). Chacune des plaques rectangulaires étaient cantonnées par quatre saphirs, sertis dans des bâtes à gradins, accompagnés de trois émeraudes placées en triangle pointe dirigée vers le bas, également serties dans des bâtes à gradins. Au centre des plaques, on trouvait une rubis maintenu par une bâte à griffes. Sur les fleurs de lys, on trouvait dans chaque lobe un rubis, et une émeraude marquée la tige.
La couronne possédait également un bonnet (il s’agissait en effet d’une couronne ouverte, et non d’une couronne fermée qui à l’époque médiévale était réservée à l’empereur). Cette coiffe était haute et conique et était couverte de perles et de pierreries. L’aspect rigide donnait l’impression d’une couronne fermée, et de ce fait on l’appelle parfois dans les textes « la grande couronne impériale ». Ce bonnet était surmonté d’une grande fleur de lys à laquelle on ajouta en 1360 un rubis balais offert parle roi Jean II le Bon qui rentrait de sa captivité en Angleterre. Une inscription à la base de la fleur de lys commémorait cette donation.
Les problèmes liés à la datation de la couronne.
Ce qui est marquant avec cette couronne c’est le dépouillement qui laisse une place majeure à la surface métallique nue. On peut rapprocher le traitement de la couronne avec le traitement de la plaque supérieure du fourreau de l’épée du sacre, et nous amènerait donc à une datation à la fin du XIIIe siècle ou au début du XIVe siècle. De plus, la manière dont sont dessinés les fleurons de la couronne du roi ne correspondent pas non plus avec les quelques œuvres d’orfèvrerie des années 1200 conservées, comme la couronne reliquaire de Namur ou la croix offerte par Philippe II Auguste au trésor de Saint-Denis et connue aujourd’hui par une des gravures des armoires du trésor par Félibien. Sur ces deux œuvres, les fleurons sont beaucoup plus arrondis et n’ont pas de tige. Par contre, on peut rapprocher la forme des fleurons de la couronne française de tradition avec ceux de la couronne du chef-reliquaire de Saint-Louis connu lui aussi par la gravure, ou ceux de la croix des dominicains de Liège. On la daterait donc plus facilement de l’époque des « rois maudits »
Couronne reliquaire, musée diocésain de Namur
Croix de Philippe Auguste d'après Félibien
Croix des dominicains de Liège, autrefois dans la collection des princes de Saxe
Buste reliquaire de Saint Louis, d'après du Cange
Ainsi, on voit que cette couronne n’est pas forcément celle offerte par Philippe Auguste au religieux de Saint-Denis, mais on ne peut pas l’affirmer. En effet, on ne possède souvent que des actes mentionnant le dépôt par tel ou tel souverain d’une ou plusieurs couronnes. Ainsi, on ne sait rien des couronnes de Philippe V ou de Charles IV. De même, cette couronne semble indissociable de sa jumelle ayants servis jusqu’en 1610 aux sacres des reines de France, et cela sous-entend donc qu’elles ont été créer pour un double sacre, mais il y eut un certain nombre d’occasion au cours du XIIIe siècle, comme en 1286 avec les sacres de Philippe IV le Bel et de Jeanne de Navarre.