La pyramideAttention, ceci n'est pas vraiment un roman historique ! Les fans de Christian Jacq peuvent passer leur chemin. Le grand écrivain albanais prend la construction de la pyramide de Chéops comme sujet de son livre, mais surtout comme prétexte pour montrer le fonctionnement des rouages d'une dictature, d'un totalitarisme, peut importe son nom, seule importe son but et sa fonction : broyer l'être humain dans une masse tournée vers l'adoration du chef, le fin du fin étant de parvenir à ce que cette adoration ne soit plus inspirée par la crainte mais spontanée. Mais je m'égare…
Mais avant tout, Kadaré dénonce ce qu'il connaît, et entre les lignes, on sait que l'Egypte décrite est en faite l'Albanie. Asservissement, délations, suspicions, purges et rumeurs autour d'une entreprise mégalomaniaque et délirante, tout est réuni pour faire penser à la "meilleure" époque des Hodja, Ceaucescu ou Kim-Il-Sung.
Cette construction de pyramide me fait surtout penser à ces immenses slogans de pierre que le régime albanais faisait ériger sur les montagnes.
Ce roman n'est pas le meilleur de Kadaré, mais il est celui qui montre le mieux, à travers la métaphore de l'Egypte antique, l'organisation du totalitarisme et l'écrasement de l'humain dans cette effroyable machinerie. L'auteur en démonte chaque ressort, mais le plus difficile à croire, c'est de voir Chéops (dans le rôle du "dictateur"), être encore plus malheureux que quiconque. On imagine alors sans peine, (au moins en ce qui me concerne), en lieu et place de Pharaon, Ceaucescu, tournant en rond dans son immense palais de Bucarest, en proie en une angoisse extrême et irraisonnée et au désespoir solitaire né de sa mégalomanie.
L'un des derniers chapitres quitte l'Egypte pour traiter de cette pyramide de crânes élevée en Asie Centrale, comme en écho aux semeurs de terreur et d'oppression.
Ce chapitre, intitulé "Crânaille" est impressionnant à bien des égards. Par sa terrifiante force d'évocation, il justifie à lui seul l'investissement de quelques euros dans ces 150 pages.
"Pour ce qui était du risque de payer de sa vie la moindre erreur, un autre groupe était encore plus en droit de le redouter : celui qui s'occupait des plans de l'aménagement intérieur de la pyramide, en particulier les entrées et les sorties secrètes du procédé de fermeture hermétique de la chambre funéraire, ainsi que des faux accès destinés à fourvoyer les pillards. Dès l'époque des premières pyramides, nul n'ignorait qu'aucun des membres de ce groupe ne ferait de vieux os. On découvrait toute sorte de prétexte pour les condamner ou les supprimer, mais le véritable motif de ces mesures était bien connu : le secret devait être enterré en même temps que ces détenteurs". (page 39)
Un lien avec une analyse autrement plus pertinente et développée que la mienne:
http://www.philagora.net/monde/pyramide.htm