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Message Publié : 02 Mai 2007 10:23 
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Polybe
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Au mois de décembre dernier, j'ai lu Les Bienveillantes de Jonathan Littel que j'ai littérralement dévoré de la première à la dernière page. Au final, j'ai vraiment été bouleversé.
Cependant, j'ai lu dans le numéro de l'Histoire de ce mois-ci un article sur ce roman qui est très nagétif. Il remet en cause toutes les données du livre. Au final, pour l'auteur de l'article, il ne s'agit que de voyeurisme...

Qu'en pensez vous :?: Et puis est ce que la véritable ambition de Littel était de faire un roman historiquement "vrai" ou juste un roman :?:

Voilà, j'attends vos commentaires sur le sujet...


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Message Publié : 02 Mai 2007 19:34 
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Philippe de Commines
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Il y avait un "topic" sur "Les Bienveillantes", mais le "méga-bug" qui a fait "le ménage" a tout effacé. Les administrateurs le rétabliront peut-être.

Je ne sais pas si l'ambition de Littel était de faire un roman historiquement vrai ou un roman humainement vrai. La première phrase du livre plaiderait plutôt en faveur de la seconde hypothèse : "Frères humains, laissez-moi vous raconter comment ça s'est passé. On n'est pas votre frère, rétorquerez-vous, et on ne veut pas le savoir. Et c'est bien vrai qu'il s'agit d'une sombre histoire, mais édifiante aussi, un véritable conte moral, je vous l'assure. Ça risque d'être un peu long, après tout il s'est passé beaucoup de choses, mais si ça se trouve vous n'êtes pas trop pressés, avec un peu de chance vous avez le temps. Et puis ça vous concerne : vous verrez bien que ça vous concerne..."

Je vous recommande d'écouter cette émission de la radio de l'Académie des Sciences morales et Politiques : http://www.canalacademie.com/Jonathan-Littell-Les.html


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Message Publié : 02 Mai 2007 19:56 
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Restitution de ce sujet (mars 2007)

Citer :
solal cohen
Que pensez-vous du roman les Bienvaillantes de Jonathan Littel?
Un livre parfois malsain mais écrit de manière remarquable.
Qu'en pensez-vous comme historiens?


Citer :
Plus oultre
Bof.
Sur la forme, rien de remarquable justement. La structure paraissait intéressante à première vue, mais le tout se révèle presque exclusivement cursif, et le chapitrage n'est qu'une façon de créer ce décalage terrible du "raffinement dans l'horreur" (petit musique de l'horreur habituelle : Menuet, Rondeaux, etc...).
Quant au style, il est sobre et assez impersonnel, limite XIXème, ça blablate platement comme dans un quelconque journal, c'est un compte-rendu, bref : inexistant. C'est voulu évidemment, d'une part du fait de la forme alléguée (mémoire, confession), d'autre part pour accréditer une certaine banalité de l'horreur. Donc, d'un strict point de vue esthétique pour moi, le livre perd toute opportunité de présenter un quelconque intérêt ou de se rattraper.

Dans le fond, c'est autre chose. Dire ce qu'il dit, ça ne me choque pas. Après tout, la littérature ne doit pas se donner de limites et l'art et la morale n'ont jamais fait bon ménage, à peu de choses près... Mais bon, je comprends que ça choque (on se rappelle de Sartre qui déclarait à propos du Mur qu'il s'était arrogé un droit qu'il n'avait pas de dire certaines chose, ou Genet qui ne se permettait d'écrire que que ce qu'il avait vécu : un problème d'éthique littéraire qu'on a peut-être dépassé). Seulement, si dans le cas de Littell ce n'est pas une littérature du témoignage, si c'est une littérature de l'invention et en définitive du fantasme (et c'en est une), je trouve le fantasme plutôt malsain. Dire l'horreur, d'accord. S'y complaire, non merci (d'ailleurs c'est parfois limite rébarbatif -les massacres à répétition des Einsatzgruppen pendant la campagne de Russie-, voire ridicule -certaines scènes d'exécution dont il essaie de tirer tout ce qu'il peut d'impensable, la fin aussi est grotesque). Les Bienveillantes d'une certaine façon c'est aussi ça, de la complaisance, et c'est pour ça qu'il n'offre à première vue aucune issue.

En dehors de ça, Littell pose le problème important de la responsabilité de l'individu face à l'idée et au système. Dommage qu'il caricature le mal, ça enlève du poids à cette problématique qui me semble pourtant importante.
A part ce problème de fond bien stimulant sur lequel il pond de belles pages, je garderai aussi le souvenir d'une certaine ambiance assez réaliste voire troublante, notamment celle de la SS et de la bureaucratie nazie "vue de l'intérieur" (liée certainement à sa grosse documentation pré-écriture), et puis la partie sur Stalingrad, pour l'action.

Le côté psychologique et le problème de l'inceste me semblent à oublier (alors même qu'il fonde son personnage sur cette grosse névrose de la gémellité). Je suis partagé quant au traitement de l'homosexualité, mais bon après tout c'est juste un argument psychologique pour un personnage encore un peu plus dévasté, et c'est sûrement comme ça qu'il faut le considérer.

En définitive, tout dépend de la façon dont on le lit : comme de la littérature (et c'est pas terrible), comme un florilège un peu malsain d'horreurs (certains y ont sûrement trouvé leur compte), comme un vaste questionnement moral voire métaphysique, comme un roman historique (et on appréciera peut-être l'aspect reconstitution), comme une thérapie individuelle de Littell (et là, on est encore plus voyeur), comme une leçon ou un avertissement à la face de l'humanité... ?

Avec le recul, peut-être plus de battage médiatique qu'autre chose (d'ailleurs je pense qu'il ne fera pas date, justement, dans l'"histoire de la littérature"). Mais je n'avais pas la même impression quand je l'ai lu (fin août - d'ailleurs si par hasard j'ai dit des âneries ci-dessus c'est parce que ça commence à remonter).


Citer :
Deshays Yves-Marie
Qui aurait lu Les Malveillantes qui décode Les Bienveillantes... mais dont j'ai omis de relever le nom de l'auteur?


Citer :
Plus oultre
Je n'ai pas lu. L'auteur est Paul-Eric Blanrue, "historien des mystifications" et créateur du cercle zététique.
Voir son site ici. A propos de l'écriture des Bienveillantes, il y a un petit texte à télécharger sur cette page et qui devrait vous intéresser YMD. L'auteur relève toutes les bizarreries et les anglicismes qu'il a pu répertorier dans le roman. Sa thèse : c'est une traduction, l'idée séduisante de l'américain qui écrit directement français est une fiction médiatique.

D'autres réactions à propos du roman de Littell, notamment celle du philosophe Michel Terestchenko (qui a beaucoup écrit sur la question du Bien et du Mal). Il a publié récemment son analyse, mais je ne trouve plus le titre.
A lire ici un bref résumé de son avis sur la question (avis que je partage assez en fait).


Citer :
Finrolf Sarmate
Citer :
L'auteur relève toutes les bizarreries et les anglicismes qu'il a pu répertorier dans le roman. Sa thèse : c'est une traduction

mouais, ça m'a pas l'air très convaincant: je suis bilingue, avec le français en langue maternelle, et bien je peux vous dire qu'il m'arrive d'utiliser involontairement des anglicismes, des tournures syntaxiques peu communes, et autres...sans pour autant "traduire" ! alors imaginer pour un auteur americain...ça me semble tout a fait raisonnable !


Citer :
Deshays Yves-Marie
Julien GREEN, Américain né et élevé à Paris, ne commettait ni anglicismes en écrivant en français ni gallicismes en écrivant en anglais...
Pour avoir enseigné l'anglais pendant quelque quarante ans, j'ai eu à exercer une vigilance soutenue pour éviter ces écueils et ne glisser ni dans un franglais ni dans un anglais ou un américain "midatlantic"...


Citer :
Alfred Teckel
Ne comparons pas le très classique et merveilleux Julien Green avec le jeune et cosmopolite Littell!

_________________
Tous les désespoirs sont permis


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Message Publié : 05 Mai 2007 10:53 
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Polybe
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Je trouve cette conversation bien dure avec Littell qui a tout de même écrit une véritable épopée avec bien des erreurs mais il me semble que cela reste très convenable. Et puis, un livre qui alimente autant la polémique et qui divise autant, c'est souvent signe d'un grand livre...


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Message Publié : 05 Mai 2007 16:49 
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Fustel de Coulanges
Fustel de Coulanges
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Il parait que Littell a fouillé pas mal d'archives allemandes et ukrainiennes avant d'écrire l'ouvrage. A la lecture, ça paraît vraisemblable ou c'est une pure annonce marketing?


Vinc': si c'est moi que vous trouvez dur pour Littell, je ne le suis pas (je n'ai pas lu le livre), mais quand je demandais de ne pas comparer Green et Littell, c'est principalement parce que leurs thématiques, leur éducation et leur époque n'ont rien à voir ;)

_________________
"[Il] conpissa tous mes louviaus"

"Les bijoux du tanuki se balancent
Pourtant il n'y a pas le moindre vent."


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Message Publié : 05 Mai 2007 17:28 
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Polybe
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Inscription : 13 Avr 2007 12:39
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Localisation : Isère
Je ne parlais pas de vous en particulier, ne vous inquiétez pas!

Pour les archives, il me semble en effet qu'il y ait eu un véritable effort même s'il faut reconnaître que Littell ne sait certainement pas les utiliser comme un historien mais ce n'était pas son but. Il a fait oeuvre d'écrivain et à mon sens, plutôt bien même si l'on tombe parfois dans le voyeurisme pervers, il faut bien le reconnaître...

Voilà pour mes explications. Cela reste pour moi un livre à lire!


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Message Publié : 05 Mai 2007 18:25 
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Plutarque
Plutarque
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Bien sûr que c'est à lire, mais bon...
Par contre oui c'est très documenté. C'est de la fiction historique et plus vraiment de la littérature. Tout dépend en fait de ce qu'on attend de la littérature. Si c'est moi que tu trouves dur, disons que c'est parce que je n'aime pas trop la fiction historique. Donc là ça passe, parce que c'est de la fiction historique réussie, mais bon d'un point de vue littéraire... Bref je n'ai pas changé d'avis :)

_________________
"L'insécurité, voilà ce qui fait penser."
Albert Camus


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Message Publié : 05 Mai 2007 20:52 
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Polybe
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Inscription : 13 Avr 2007 12:39
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Localisation : Isère
Je ne compte pas te faire changer d'avis, je donne juste mon opinion, c'est tout...
Et on est d'accord, c'est de la fiction historique, y a pas de problème :wink:


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 Sujet du message : Les Bienveillantes
Message Publié : 15 Mai 2007 14:26 
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Hérodote
Hérodote

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L'argument critique de "voyeurisme" adressé par Husson dans son article de la revue Histoire résume l'argumentation que nous avons présentée dans le livre que nous avons récemment publié ensemble, "Les Complaisantes, Jonathan Littell et l'écriture du mal" (François Xavier de Guibert, avril 2007). Un parti pris "voyeuriste" explicitement assumé par Littell dans la référence au petit mythe de Platon dans République Iv, la fascination de Léontios pour les cadavres, mais que Littell utilise à la faveur d'un radical contre sens. Ce qui en soi ne serait pas grave - Littell n'est pas philosophe. Les implications de la position du narrateur sont bien plus graves. Je vous les exposerais bien volontiers si vous le désirez.
Michel Terestchenko


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Message Publié : 15 Mai 2007 14:49 
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Philippe de Commines
Philippe de Commines

Inscription : 23 Déc 2004 6:42
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Ce livre a au moins le mérite d'évoquer un pan oublié du génoçide : celui perpétré par les Einsatztruppen.

Citer :
Et puis, un livre qui alimente autant la polémique et qui divise autant, c'est souvent signe d'un grand livre...
Hum, je ne crois pas que le Da Vinci Code soit un grand un livre :lol: !


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Message Publié : 15 Mai 2007 15:49 
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Savinien a écrit :
Ce livre a au moins le mérite d'évoquer un pan oublié du génocide : celui perpétré par les Einsatztruppen.


Pas oublié, moins médiatiquement connu. Actuellement, il semblerait que toute la part de l'histoire qui est moins connue des médias est occultée. Evidemment ce n'est pas le cas. A ce rythme-là, on va bientôt dire que Ulm est une bataille "oubliée" de Napoléon puisqu'elle n'est pas aussi bien connue qu'Austerlitz.


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Message Publié : 15 Mai 2007 16:03 
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Philippe de Commines
Philippe de Commines

Inscription : 23 Déc 2004 6:42
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Oui :oops: je n'ai pas été très judicieux dans l'emploi du terme, je voulais juste dire qu'il porte à la connaissance du "profane" un aspect néanmoins peu connus du génoçide.
Car il n'y a pas que les médias à s'en désintéresser : l'Education Nationale, du moins mais cours de secondaires, n'ont évoqués du génoçide que l'aspect industriel.

Citer :
A ce rythme-là, on va bientôt dire que Ulm est une bataille "oubliée" de Napoléon puisqu'elle n'est pas aussi bien connue qu'Austerlitz.

Je ne suis pas certain qu'Ulm soit systématiquement évoquée dans les cours d'histoire de secondaire :wink:


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Message Publié : 02 Avr 2009 21:45 
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Le Monde des livres du jour propose un dossier sur la réception globalement négative du livre à l'étranger:


Citer :
Etats-Unis : les critiques cherchent à comprendre pourquoi le livre a eu un tel accueil en France

C'est avec ces mots assassins que, en février, la journaliste Michiko Kakutani - critique littéraire la plus célèbre et la plus redoutée outre-Atlantique - terminait, dans le New York Times, sa recension des Bienveillantes : "Qu'un tel roman puisse gagner en France deux des plus grands prix littéraires (Goncourt et Grand Prix du roman de l'Académie française) n'est pas seulement un exemple de la perversité occasionnelle des goûts français (...). Nous en sommes arrivés au point où le portrait d'un nazi psychopathe, évoquant avec force détails histrioniques la barbarie des camps, en vient à être acclamé par Le Monde, comme une "époustouflante réussite"."

C'est justement sur la violence d'une partie de la critique qu'a misé Harper, l'éditeur américain des Kindly Ones, à qui Andrew Nurnberg, l'agent de Littell, aurait vendu les droits du livre pour 1 million de dollars. Jonathan Burnham, directeur d'Harper, se félicite même de la polémique : "J'ai tout de suite compris que ce serait un phénomène sensationnel dans le monde éditorial !", dit-il.

Les enjeux financiers pour sa maison sont énormes, Harper ayant de surcroît financé une campagne de marketing : 4 000 dossiers de 60 pages, assortis de communiqués de presse sur l'accueil critique en Europe, articles et interviews à l'appui. Les épreuves ont été envoyées à 2 000 journalistes et libraires.

Jonathan Burnham a lui-même appelé les établissements les plus stratégiques. Barnes & Noble a ainsi acheté le livre dans des quantités réservées aux best-sellers, et table sur un succès lié à la polémique. Mais d'autres librairies, comme Powell's Books, ne croient pas à l'engouement du public pour un roman de près de 1 000 pages qui ressemble, selon le directeur des achats, à "une bizarre retranscription des 120 journées de Sodome". Harper devra vendre au moins 75 000 exemplaires pour amortir son avance, et bien plus encore pour justifier ses frais de marketing. Or, à ce jour, la maison ne semble pas disposée à révéler ses chiffres de ventes, et le livre n'apparaît toujours pas, trois semaines après sa parution, sur la liste des 35 meilleures ventes américaines.

"RÉGIONS OBSCURES"

Au fil des semaines, néanmoins, la critique n'a pas été uniformément négative. Bien au contraire. Le livre que Michiko Kakutani décrivait comme "une cascade détestable, délibérément répugnante", a été salué par Michael Korda, ancien directeur de la maison Simon & Schuster, comme le "chef-d'oeuvre d'un génie". Et un jeune professeur de littérature à Harvard, Leland de la Durantaye, parle quant à lui de la "texture littéraire d'un roman dont l'adresse au lecteur, ainsi que de nombreux passages sur la guerre, sont de véritables petits morceaux de bravoure".

La critique la plus magistrale est signée dans la New York Review of Books par Daniel Mendelsohn, un helléniste de renom, auteur d'un livre à la fois sobre et poétique sur la perte de six membres de sa famille dans l'est de la Pologne, qu'il qualifie lui-même, non sans humour, d'"anti-Bienveillantes" (Les Disparus, Flammarion, 2007). A ses yeux, le style de Littell est tout à fait prosaïque, mais sa vraie force réside dans une résonance littéraire profondément française. Littell, dit-il, a tenté ce que Sartre, selon Maurice Blanchot (dont Littell lui-même est un fervent lecteur), a échoué d'accomplir dans Les Mouches : écrire "l'impiété" dans toute sa violence, s'attaquer à "nos pudibonderies et à nos idées reçues sur ce qu'un roman sur les nazis est censé être". Littell chercherait ainsi à incarner - en tant qu'écrivain qui n'a pas lui-même été témoin de la Shoah - cette part obscène du passé, et à rompre avec "le genre littéraire désormais "commode"" du roman sur l'Holocauste.

"L'histoire de Littell est répugnante ?, s'interroge Mendelsohn. Après tout, pourquoi pas." Le problème du public face aux Bienveillantes, dit-il, n'est pas tant le traitement de la Shoah dans le cadre d'une fiction baroque et volontairement abjecte, que le malaise suscité par le fait que "l'événement n'est plus entre les mains des personnes à qui c'est arrivé". Ajoutez à cela un narrateur qui est un bourreau et non une victime, comme dans la majorité des livres sur la Shoah, et voici qu'émerge l'histoire d'un "frère humain" transformé en collabo. "Or la honte et la culpabilité, même passives, sont des régions obscures de la psyché française, et peut-être est-ce précisément pour cela que l'oeuvre de Littell retentit en France avec une force qui n'aura pas son égale en Amérique."
Lila Azam Zanganeh (à New York)


Citer :
Allemagne : après un lancement en fanfare, l'"effet Littell" est retombé

Treize mois après le "phénomène" Die Wohlgesinnten en Allemagne, où le lancement du roman de Jonathan Littell avait été savamment orchestré par son éditeur, Berlin Verlag, en parle-t-on seulement encore ? L'énorme livre (1 380 pages) à la sobre couverture blanche, qui s'est vendu à 140 000 exemplaires au prix de 36 euros (11 euros de plus que l'édition française grand format), semble s'être laissé oublier. Ce qui, rétrospectivement, incite les intellectuels allemands à s'interroger sur l'accueil enthousiaste qui lui a été réservé en France. "C'est à se demander quels fantasmes les Français nourrissent à l'endroit du nazisme, observe l'historien Peter Schöttler, de l'Institut d'histoire du temps présent (IHTP-CNRS). A moins que ce ne soit l'effet Goncourt, qui, en Allemagne, n'impressionne personne..." Le moins que l'on puisse dire est qu'outre-Rhin, en effet, Les Bienveillantes n'ont pas "électrisé" le lectorat comme elles l'ont fait en France.

Certes, le quotidien de référence Frankfurter Allgemeine Zeitung leur a consacré, à leur sortie, un "salon de lecture" sur son site Internet. Mais ce forum inédit, où spécialistes et internautes ont pu échanger sur toutes les questions que le livre soulève, n'a pas suscité l'intérêt que la rédaction attendait. D'une façon générale, la presse s'est d'ailleurs montrée plutôt sévère à l'égard d'un livre qu'elle a quasi unanimement qualifié de "kitsch" - en référence à ses aspects pornographiques. Un adjectif très péjoratif en Allemagne, où il sert en particulier à décrire l'esthétique nazie.

Delf Schmidt, éditeur chez Berlin Verlag, se défend : "Kitsch ? Trop vite dit ! C'est surtout une facilité pour ne pas avoir à approfondir la critique du roman." Dans l'ensemble, Delf Schmidt estime que, en Allemagne comme aux Etats-Unis, le livre de Jonathan Littell a "souffert de trop fortes attentes, et que jamais les bonnes questions n'ont été soulevées à son sujet. En particulier par les historiens."

En Allemagne, où la réalité de la "Shoah par balles" comme le fonctionnement de l'administration nazie sont sans doute mieux connues du grand public qu'en France, les historiens ont souligné les inexactitudes que recèle le texte de Littell, là même où ce dernier a toujours mis en avant la solidité de son travail de documentation.

"UN LIVRE DANGEREUX"

Surtout, les chercheurs se sont indignés que Littell ait pu prétendre aider à comprendre le nazisme de l'intérieur, alors que son personnage d'officier pervers et lettré est à l'opposé du profil type du nazi tel que la recherche historique a pu le dessiner : "La plupart des nazis étaient malheureusement beaucoup plus banals, explique Peter Schöttler. En plus d'un mauvais livre, il s'agit donc d'un livre dangereux. Car le risque, c'est qu'on lui donne valeur de témoignage." Ce qui, à croire cet historien, n'en rend que plus "effrayant" le projet des éditions Berlin Verlag. Delf Schmidt annonce en effet que Les Bienveillantes n'ont pas achevé leur parcours en Allemagne : "Des colloques ont lieu (au sujet du livre), et il sera bientôt lu dans les écoles", indique l'éditeur.

Après une édition documentée, assortie d'un cahier critique d'une centaine de pages contenant notamment une interview de l'historien Pierre Nora ainsi que des lettres de Jonathan Littell à ses traducteurs, le roman sortira en collection de poche à l'automne, touchant ainsi un nouveau lectorat.
Lorraine Rossignol (à Berlin)


Citer :
Israël : ni polémique ni scandale, l'envie de comprendre

Nir Ratzkovsky s'en souvient comme d'un travail extrêmement difficile. Pendant une année, le traducteur israélien des Bienveillantes s'est plongé dans le personnage de Maximilien Aue.

"Il fallait pénétrer dans la tête de cet officier psychotique, trouver sa voix, ses mots, ses sentiments, s'identifier à lui comme un comédien qui joue le rôle d'un personnage déplaisant, dit-il. C'est avant tout une difficulté mentale plus que linguistique. Le nazisme, c'est un langage et Jonathan Littell le sait parfaitement, c'est pourquoi le travail qu'il a fait pour être le plus près possible de la réalité est fantastique. Il fallait donc être le plus proche possible de sa pensée."

Nir Ratzkovsky ne se pose pas la question de savoir s'il fallait ou non traduire le livre, comme certains critiques l'ont affirmé, notamment Ariana Melamed, du site Ynet, pour laquelle c'est "un livre abominable" qu'elle n'a jamais pu lire.

"C'est la première fois qu'il y a un regard froid, historique qui permet non pas comme c'est le cas habituellement de se souvenir mais de comprendre l'Holocauste", plaide le traducteur, qualifiant l'ouvrage de "salutaire, nécessaire, indispensable".

Publiée il y a un an, la traduction israélienne des Bienveillantes a dans l'ensemble été bien accueillie par les critiques. Cette plongée dans une machine de guerre et d'extermination a intéressé les Israéliens. Dov Alfon, qui travaillait à l'époque aux éditions Kinneret - il est devenu depuis le patron du quotidien Haaretz - avait acheté les droits du livre relativement cher.

Ziv Lewis, chargé dans la même maison de l'achat des droits de livres étrangers, se souvient que la compétition a été rude entre les éditeurs. Il annonce que 10 000 exemplaires ont déjà été vendus et que les ventes sont toujours bonnes en dépit du prix élevé du livre.

UN INTÉRÊT SOUTENU

Aujourd'hui encore, le roman de Jonathan Littell suscite beaucoup d'intérêt en Israël. En janvier, un débat a ainsi rassemblé plus de 400 personnes à la Cinémathèque de Tel-Aviv. Et un colloque est prévu en juin à l'université hébraïque de Jérusalem. "Les Israéliens veulent comprendre les ressorts d'un mécanisme qui a broyé tant de gens. Nous sommes très fiers de l'avoir publié", affirme Ziv Lewis.

En fait, il n'y a ni polémique ni scandale. Peut-être cela se serait-il produit si l'auteur était venu en Israël ? Il a seulement donné un entretien au quotidien à grand tirage Yediot Aharonoth, dans lequel il a critiqué le comportement de l'armée israélienne. Ce qui n'a pas été du goût de tout le monde !
Michel Bôle-Richard (à Jérusalem)

_________________
"Il est plus beau d'éclairer que de briller" (Thomas d'Aquin).


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Message Publié : 03 Avr 2009 7:02 
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Eginhard
Eginhard

Inscription : 14 Août 2007 10:17
Message(s) : 868
Localisation : paris
Bonjour,

Sait-on si un film est en préparation?

K


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