Merci Arcadius
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Céline a appelé clairement au meurtre de masse des juifs dans un contexte historique où ils étaient victimes du pire. Cela suffit à faire de l'homme un criminel et un immonde salopard.
Hitler, Staline, Napoléon, et Gengis Khan aussi. Et l'on peut soutenir cette opinion à propos de milliers d'autres personnages de l'histoire.
Et donc, franchement, est-il nécessaire de poster ce genre de condamnation morale dans chaque débat sur un personnage historique? Est-il vraiment indispensable, à chaque fois qu'un fil est ouvert sur tel ou tel, que chacun y aille de son verdict et nous fasse savoir s'il le considère comme un "immonde salopard" ou pas?
Au moins, donnez nous des faits, des sources, des citations, des points de vue d'historiens (ou de critiques), une analyse, pour justifier votre opinion.
Est-ce que tous les antisémites sont des immondes salopards? Dans ce cas, une forte proportion de la population française d'alors étaient d'immondes salopards. Est-ce que tous les écrivains qui avaient des idées proches de Céline mais qui les exprimaient avec plus de mesure sont d'immondes salopards? Dans ce cas, la crème des grands écrivains des années 30 sont d'immonde salopards: Morand, Drieu, Jouhandeau, Giraudoux, Gide même ont écrit des textes antisémites, et j'en oublie.
Puisque vous utilisez ce terme de "salopard", rappelons que l'antisémitisme est une "saloperie" collective: on n'est pas antisémite tout seul, on l'est parce qu'on appartient à un groupe où l'antisémitisme est répandu.
Dans certains milieux français des 30s, l'antisémitisme était la norme, on naissait dedans, et c'est le cas de Céline: son père était un antisémite convaincu, certains critiques soulignent (à tort ou à raison), l'influence d'une tradition socialiste antisémite d'inspiration proud'honienne dans le milieu familial de Céline.
De plus, en ce qui concerne l'antisémitisme, Céline est schizophrène, son antisémitisme ne peut pas être compris sans prendre en considération une dimension de pathologie mentale.
Je l'ai souligné, Céline voit des juifs partout, cela vous semble t'il indicatif d'un fonctionnement psychologique "normal"? D'après l'écrivain, Hitler est juif, les rois de France sont juifs, presque tous les antisémites français sont juifs, Picasso, Maupassant, Zola, Racine, Cézanne, Stendhal sont juifs. Nombre de critiques et d'écrivains de l'époque, à la lecture de "Bagatelles", ont classé son auteur comme "maboul", c'est le cas de Gide en particulier.
C'est un comportement d'autant plus étrange de sa part que le nom de famille de sa femme, Almanzor, pourrait être un nom juif espagnol. En tout cas, c'est le nom d'une des rues du ghetto juif d'une ville espagnole (citée par Brami).
Je bloque sur les pamphlets, je n'en ai lu que de larges extraits. J'ai survolé il y a longtemps "Bagatelles pour un massacre", le texte m'a rebuté. Pour ce que je m'en souviens, et d'après ce que mentionne la biographie citée (entre autres, et à vérifier), Céline n'aurait pas appellé explicitement à l'extermination des juifs mais à leur expulsion. Autant être précis, on est sur un site d'histoire, ce n'est pas tout à fait la même chose, bien que le glissement de l'un à l'autre soit sans doute inévitable.
Cela dit, il a des phrases insupportables dans ces pamphlets, dans le style "blame the victim" où il avance que les persécutions, les pogroms, les juifs doivent bien en être un peu responsables, et que s'ils avaient moins fait "ch..r le monde", "lassé bien des patiences", ils n'auraient pas "dérouillé".
Mais, et c'est l'une des nombreuses contradictions céliniennes, Céline déteste les juifs en tant que groupe mais les apprécie parfois (pas toujours) ou ne leur veut pas de mal en tant qu'individus. C'est classique: chaque raciste à eu/a son "ami noir" ou beur ou juif.
Et bien entendu, il a eu plusieurs maitresses juives, Brami en donne la liste en fin du livre. Ce qui est le plus étrange, c'est que Céline ne cite comme juifs dans ses textes, on peut dire ne dénonce comme juifs, que des non-juifs. Donc des propos calomniateurs irresponsables mais pas de conséquences vraiment dangereuses pour eux: ces calomnies sont manifestement absurdes et tout le monde sait que ces individus ne sont pas juifs. Par contre, l'écrivain se garde bien de dénoncer des vrais juifs qu'il connait personnellement et qu'il fréquente, comme Oscar Rosembly, qu'il reçoit régulièrement chez lui avec son groupe d'artistes montmartrois, ou le compagnon juif d'une de ses amies, Eliane Bonabel. Ou dans un autre ordre d'idée , les résistants dont il sait qu'ils se réunissent dans son immeuble.
Encore plus illogique, une amie Mme L.D., lui raconte les horreurs des rafles du Vel d'Hiv: il est atterré, effondré--c'est elle qui rapporte cette histoire.
Brami (juif lui même) souligne que Céline s'enthousiasme pour un antisémitisme théorique, abstrait, un antisémitisme en chambre, comme il y a des stratèges en chambre; mais il est déstabilisé, très perturbé dès qu'il est confronté aux réalités "saignantes" d'un antisémitisme concret, mis en pratique: les détails des rafles l'horrifient.
Ce qui n'enlève rien à la charge criminelle des déclarations céliniennes, souligne Brami, à leur dangerosité foncière, et je suis entièrement d'accord avec lui. Et il ajoute: "d'un côté l'écrivain qui s'échauffe devant sa feuille, bouillonne, se laisse aller à une passion fantasmée, paranoiaque...; de l'autre, le médecin compatissant, l'homme bon, sensible, généreux.. ". Et son ami allemand Epping note ''le contraste profond entre sa prise de position à l'égard des collectivités impersonnelles, américains, anglais, russes, juifs, franc-maçons dans laquelle il pouvait être d'une cruauté qui allait jusqu'au paroxysme et son comportement à l'égard de l'individu concret, homme, bête, dans lequel il n'a jamais cessé de rester le médecin et le protecteur".
Médecin peu apprécié des collègues pour lesquels il faisait des remplacements à ses débuts, car il ne faisait pas payer les malades, cela le gênait--et c'est une habitude qu'il a gardée toute sa vie. Au dispensaire de Clichy où il a exercé pendant des années, il est considéré comme un bon médecin dévoué à ses malades, très apprécié par eux.
Témoignage d'une de ses malades: "il ne se comportait pas de manière arrogante comme parfois d'autres médecins. ..Il disait bonjour à tout le monde...sa gentillesse, et sa disponibilité pour les enfants semblaient inépuisables".
Comportement dédoublé assez parallèle avec celui qu'il avait avec les femmes: sur la question des femmes, Céline était philosophiquement, en paroles, d'une misogynie radicale, très proche de la misogynie nietzschéenne. Et pourtant, avec ses relations féminines, il semble avoir été plutôt correct, celles de ses amies interrogées après sa mort ne disent pratiquement rien de négatif sur lui.
Des questions se posent: est-ce que les écrits de Céline ont contribué à envoyer plus de juifs dans les camps de la mort, dans un pays où l'antisémitisme, avant la DGM, était plutôt répandu? Céline n'a dénoncé aucun juif lui-même, il n'a rien fait de concret lui même, il n'est donc pas à ranger dans la même catégorie que les Laval, Pétain et autres dignitaires de Vichy qui ont donné une traduction légale à l'antisémitisme ambiant, et, sur la base de leur législation antijuive , ont agi concrètement pour envoyer des milliers de juifs à la mort.
Est-ce que les vaticinations délirantes de Céline ont vraiment légitimé les opinions antisémites, ont vraiment amené massivement des gens à l'antisémitisme, ou n'ont eu que peu d'effet ou même ont desservi ces idées? Est-ce qu'il était vraiment populaire hors des milieux de la collaboration parisienne et des allemands occupants, lu dans la France profonde, apprécié à Vichy? Sans doute pas, les bourgeois et les gens de Vichy regardaient ce provocateur d'un mauvais oeil. Est-ce que Dieudonné, pourtant moins délirant que Céline, attire vraiment des militants à cette cause?
Et qu'est ce qui est le plus coupable, le plus dangereux, le plus susceptible d'influencer la France profonde, l'antisémitisme "raisonnable" , pratique , l'antisémitisme des gens sérieux comme les dignitaires de Vichy, ou l'antisémitisme épileptique et passablement inquiétant, de l'énergumène Céline?
Et surtout, à l'époque où Céline écrit plusieurs de ses pamphlets, la shoah n'avait pas eu lieu. Toute notre perception de l'antisémitisme des années 30 est colorée par la shoah, mais--et l'auteur le rappelle-- l'antisémitisme en France avant la shoah était une opinion relativement bénigne, sans graves conséquences. Lus après la shoah, ces textes céliniens, ou tous les autres textes antisémites de l'époque, prennent une dimension autrement redoutable.
Inconscient, dangereux, pyromane jouant avec des allumettes. Mais aussi agi par des "mèmes", contaminé par des croyances collectives fausses comme on est infecté par un virus, manipulé par un instrument politique de contrôle mental qu'il n'a pas su discerner comme tel. Et dans lequel il s'est investi avec une foi, un militantisme quasiment religieux, engagement qu'il a poussé plus loin que la plupart des antisémites "culturels" relativement tièdes de l'époque.
Un coupable mais aussi un pigeon, une dupe donc, victime consentante d'un vaste lavage de cerveau collectif, victime de l'enthousiasme et de l'aveuglement avec lequel il s'est livré à ce lavage de cerveau, et donc avant tout victime de lui même. L'expérience de la propagande-bourrage de crâne de la PGM n'a rien appris à Bardamu, pigeon il était, pigeon il est resté.
C'est ce qu'il avait compris après la guerre où il déclarera: "j'ai été en prison parce que j'ai voulu m'occuper des hommes...J'ai eu la triste veine d'être embarqué dans une triste histoire". Et à Siegmaringen où il dira à son ami Paul Bony : "si jamais je m'en sors, je m'installerai dans une vitrine de la salle des pas perdus de la gare Saint-Lazare avec un écriteau disant simplement: "Le Con"!