Voici un aperçut d'une partie seulement de l'histoire littéraire en URSS. Une partie seulement...
A évoquer la littérature russe du XXème siècle, nous serions tenté d’analyser soit, une littérature pro-soviétique effectuée sur commande, soit, une littérature plus libérée comme celle de la période du «dégel » sous Krouchtchev.
Mais au-delà des thèmes et des époques abordés, nous nous arrêterons, non sur le fond mais sur la forme la plus marquante de cette littérature. L’exotisme encore bourgeois et campagnard hérité du XIXème siècle apparaît dans de nombreux récits du XXème. Le lyrisme de la langue russe - y compris dans sa traduction -, l’exubérance d’un peuple à travers ses joies et ses souffrances, avant même le thème de fond (l’histoire) ont su toucher le cœur des français.
La littérature russe reflète l’âme du pays. Un pays immense au climat continental passant sans transition du chaud au froid et du gel au dégel. De même, une population qui, dit-on, à l’image de son pays passe du rire aux larmes et des larmes au rire. Un pays doté aussi d’une riche culture musicale, théâtrale, picturale (peinture, iconographie, etc…) et gastronomique. Le tout à l’image même de la Russie, chaud, sensuel, populaire, profondément ancré dans des croyances ancestrales et développant le culte de l’amour pour la patrie.
La littérature est de même. Elle définit une musicalité d’écriture dans des thèmes et des styles forts différents les uns des autres. Il les accompagne comme un fil conducteur. Les auteurs transposent cette culture sous une forme de poésie romanesque accentuée par la beauté de la langue russe. A tel point qu’Anna Akhmatova, la poétesse rebelle, déclarait que ses textes prennent en français une lourdeur irrémédiable. Art toujours délicat que de traduire de la poésie! Souvent censurée par le régime soviétique, il n’y a guère qu’une trentaine d’année que l’occident la découvre vraiment. Ce court extrait de « Requiem » présente un caractère à la fois romantique et révolté typique de l’attrait que nous avons de la littérature russe.
Paisible coule le Don La nuit entre dans la maison La lune entre sans façon Elle voit une ombre dans la maison
Cette femme est malade Cette femme est solitaire Le mari mort, le fils est en prison Priez à mon attention
Ce passage oscillant entre poésie naturelle descriptive et détresse nous renvoie vers « Le Pays » de L. Petrouchevskaïa. Une description naturaliste d’une mère solitaire et alcoolique élevant seule sa fille. « …personne ne les voit s’endormir si tôt la tête posée sur l’oreiller, s’en retourner au pays qu’il leur faudra quitter tôt le matin… ». Une sorte de poème en prose baudelairien (Le vieux saltimbanque, etc…). Soljenitsyne développera lui dans « La maison de Matriona » un style réaliste. Le repas et les chants funèbres autour du poêle surchauffé ne sont pas sans rappeler un style et un thème propre à Barbey d’Aurévilly. Un siècle d’écart confondu dans une lecture identique. A l’heure où en France le roman explose et où, souvent, la quantité l’emporte sur la qualité, on retrouvera dans les romans et autres écrits russes du XXème siècle un style et des thèmes proches de nos classiques du XIXème. C’est en fait très attachant. Même des ouvrages de critique politique tel « Les aventures singulières du soldat Ivan Tchonkine » de V.Voïnovitch revêt un caractère propre à l’âme russe, c’est-à-dire, entre rire et larmes. Un pauvre homme battu Dieu sait pourquoi dans un bureau de police et qui, par homonymie avec le chef suprême Staline fait que le policier s’interroge sur sa conduite à tenir. Les scènes d’interrogatoire sont humiliantes mais elles nous renseignent sur les méthodes de certains fonctionnaires staliniens. En même temps, elles sont tellement ahurissantes que, même sans être drôles, elles provoquent un sourire. Dans la littérature russe, les personnages, opprimants comme opprimés, sont hauts en couleur!
Mais alors, la Russie littéraire du XXème siècle serait-elle « engluée » uniquement dans des thèmes de passion et de révolte ? Non, car à l’époque du «dégel littéraire » , nombreux sont ceux et celles qui ont voulu retrouver les sentiments humains (amoureux notamment comme chez Olga Bergoltz) détachés du productivisme et du machinisme. D’autres tel Ivan Bfremov avec « La nébuleuse d’Andromède » nous offre une politique-fiction sur une société idéale dans un monde interplanétaire. Simplement la Russie du XXème siècle vivait aussi bien de première place dans la conquête spatiale que de moujiks affrontant l’hiver sibérien dans leur izba isolée ; de révoltés des goulags que de héros du peuple. Ce sont ces forces vives, belles ou dramatiques et souvent antagonistes que nous recherchons dans la littérature russe.
On l’aura compris, réduire la littérature russe du XXème siècle à «L’archipel du goulag» de Soljenitsyne serait comme réduire la littérature française du XIXème à « Germinal » de Zola. Même si la dénonciation de la dictature stalinienne et en particulier des camps pris une ampleur internationale, ce qui combla avant tout le lecteur français, c’est la chaleur du style. Un engouement pour un style, une couleur. En Russie, le rouge synonyme de sang patriotique tsariste, de révolte socialiste ou simplement de beauté artistique pourrait être la couleur de la littérature nationale. En choisissant un ouvrage russe, c’est une couleur que nous choisissons de lire. Le rouge de l’amour, de la patrie, du sang et de la révolte.
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