La prière du "Notre Père" est tirée de deux prières juives de l'époque pré-rabbinique, le Qadish ou "sanctification du Nom", et les Shemonei 'Esrei ou "dix-huit bénédictions".
Le Qadish est une prière de piété dont voici le texte :
« Que son grand Nom soit magnifié et sanctifié dans le monde qu’il a créé selon sa volonté ! Et que règne son règne, Et que germe sa délivrance […] Que son grand Nom soit béni pour toujours et pour les cycles des cycles ! Que soit béni, et que soit célébré, Et que soit glorifié, et que soit rehaussé, Et que soit élevé, et que soit honoré, Et que soit exalté, et que soit loué Le Nom du Saint, Béni soit-Il… »
Les Shemonei 'Esrei ou 18 bénédictions se récitent 3 fois par jour et la première série démarre à la troisième heure, la seconde à la sixième heure et la dernière série à la neuvième heure (Voir Actes 3,1 et Actes 10,3-30). En voici un extrait :
"Pardonne-nous, notre Père, car nous avons péché contre Toi, efface et enlève nos iniquités de devant tes yeux, car nombreuses sont tes miséricordes. Béni sois-tu qui pardonnes abondamment". "Bénis en notre faveur, Seigneur notre Dieu, cette année pour qu'elle soit bonne en toutes les espèces de récolte. Donne rosée et pluie sur la face de la terre et rassasie le cycle présent des trésors de ta bonté. Donne bénédiction à l'œuvre de tes mains. Béni sois-tu, Seigneur, qui bénis les années…!.
Le Notre Père est une compilation dans une formulation courte et synthétique des deux prières de la liturgie quotidienne et privée. Cependant, dans l'évangile de Matthieu, cette contraction fait disparaître deux notions :
1- Que ton Nom soit sanctifié à la place de Que son grand Nom soit magnifié et sanctifié. il n'est plus question de magnifier ou de glorifier le Nom du Père, mais seulement de le sanctifier, ce qui revient à rendre le Nom sacré Saint mais sans le manifester au monde.
2- Contrairement aux Shemonei 'Esrei, le seul cycle d'abondance qui est inscrit dans le Notre Père est un cycle journalier, et toute l'efficacité de la prière est en rapport avec la conscience au présent (contemporaine exactement de la prière) et non la conscience du passé et du futur durant les cycles annuels ou séculaires. La différence s'effectue ici avec le sens de l'expression "Seigneur Notre Dieu" qui évoque l'expression IHWH-Adonaï qui est dans l'AT l'Elohim (le Dieu) d'Israêl. Or le Notre Père est en rapport avec le Nom du Père (Abba) qui apparaît dans la nouvelle alliance comme le Père intégral, à la fois d'Israêl et des Goims (Gentils). La distinction est effectuée à travers les mots kurios (= l'hébreu Adonaï qui qualifie souvent IHWH) ou Seigneur, et Theos ou Dieu, (= Elohim en hébreu), selon la correspondance entre grec et hébreu issue de la Septante et de la version hébraïque de l'AT.
Il semble donc que le Notre Père renouvelle la prière juive en instituant une universalisation des intentions de l'adepte (et de la doctrine nouvelle), qui s'adresse au Dieu invisible qui est Celui de toute la création et non seulement le principe révélé et manifesté à Israêl. C'est aussi le sens d'Actes 10,28.
Par ailleurs, IHWH est un principe temporel, qui se distribue à travers le passé, le passant et le futur. Il est Celui qui était, qui est et qui Vient, et cela, autant que de cycles temporels. Or ce Temps est également divisé par la conscience (l'âme humaine) en deux par le passant (présent temporel) en Passé et Futur. Le présent n'est alors dans le temps qu'un point de pivot entre le Passé et le Futur, c'est-à-dire en hébreu, entre l'état accompli d'IHWH et l'Etat inaccompli d'IHWH, ou encore, si l'on vocalise, entre IOWAH (Jehovah) et IEWEH (Yahvé).
Or les Juifs ont toujours voulu reconnaître dans IHWH le principe de l'éternité, l'Eternel, c'est-à-dire du présent sans aucune découpe. En effet, l'Eternité est comme un temps où seul le présent occupe entièrement l'espace temporel. Il n'y a plus de passé et plus de futur, mais un présent constant dans une pleine conscience des causes et des effets, dans une vision complète du Verbe éternel. Et dans cette éternité, la succession des formes est seulement dictée par une succession logique de la conscience et non plus une succession chrono-logique comme dans l'existence temporelle cyclique. Et comme le mot Eternel suppose le présent au sens du temps des actions et des mots, la langue hébraïque ne permettant pas de décrire le temps présent par une quelconque forme des mots ou vocalise, la prononciation d'IHWH en tant que "L'Eternel" est donc une pure impossibilité, rendant le Nom sacré imprononçable en hébreu (même à voix basse !).
En excluant toute notion rapportée à IHWH ou au "Seigneur" dans le "Notre Père", la prière vise réellement l'exaltation de la conscience de l'adepte au présent, dans son désir de capter l'Eternel véritable (le véritable présent d'une conscience totale) qui est la relation exacte entre l'Intemporel Elohim et le Temporel IHWH, et qui est notée IHWH-Elohim dans l'AT, seule expression méritant d'être traduite par l'Eternel, comme c'est habituellement le cas dans le chapitre 2 de la genèse. Or le Nom du Père est sanctifié dès lors que le Nom du Fils IHWH devient réellement imprononçable, passant du temporel à l'éternel. N'étant pas prononçable, il ne peut pas être "magnifié" ou encore "rehaussé". Imprononcé, il est l'image exacte du Père invisible et inaudible dans le Verbe exprimé (dans l'Ecriture). C'est le seul mot réellement imprononçable et qui est le seul Nom à pouvoir manifester le Père, par une sorte de "silence" placé au milieu de tout le reste exprimable.
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