Très bonne question... Je me la pose depuis une étude d'une inscription chrétienne réalisée lors d'un cours d'épigraphie, où nous avions cherché plusieurs solutions, sans trancher. Je mets la chose ici, si ça peut aider à avancer :
Citer :
Inscription (ICVR N.S. 1, 942 (= ILCV 1706)) :
[In hoc s]epulcro requiescet puella, uirgo sacra, b(onae) m(emoriae) Alexa[ndra, | quae recep]ta caelo meruit occurrere Χρ(ist)o ad resurrec[tionem, | praemium (?) ae]ternum suscipere digna. Hec dep(osita est die septimo ante) kal(endas) ap[riles, | die sabb]ati (ante) uigilias sacras, cons(ulatu) Fl(auio) Asturio, u(iro) c(larissimo), co[nsule].
"Dans cette tombe repose la jeune fille, vierge sacrée, de bonne mémoire, Alexandra, qui, reçue au Ciel, a mérité d'aller à la rencontre du Christ pour la Résurrection, digne de recevoir une récompense éternelle. Celle-ci a été inhumée le septième jour avant les Calendes d'avril, jour de Sabbat avant les vigiles sacrées (nuit pascale), sous le consulat de Flavius Asturius, clarissime, consul." (25 mars 449).
(...) (je passe les problèmes de restitution, de traduction, de datation et du formulaire pour en venir au commentaire : )
Cette inscription exprime des conceptions de l’au-delà et on y trouve cinq idées bibliques, que l’on peut confronter à des références bibliques.
- L’idée de repos : l’emploi du verbe requiescere montre que la mort est un repos, un sommeil dont on peut se réveiller. La mort comme un repos est une idée typiquement chrétienne.
- L’idée de dissociation du corps et de l’âme : la restitution recepta caelo, "reçue au Ciel", est presque sûre. Ce parfait indique quelque chose de déjà passé, qui serait donc arrivé immédiatement après la mort. Pourtant, si dans la mort, Alexandra est reçue au Ciel, elle est dans le même temps in hoc sepulcro, "dans cette tombe". Il semble y avoir une incohérence, que l’on peut résoudre en voyant là, exprimée de façon implicite, une dissociation de l’âme et du corps. Mais attention, des inscriptions disent explicitement, elles, l’opposition corps-âme.
- L’idée d’une rétribution : Alexandra "a mérité" (meruit), elle a "une récompense éternelle" (praemium/munum aeternum).
- L’idée d’une rencontre avec le Christ : Alexandra a "mérité d’aller à la rencontre du Christ" (meruit occurrere Χρo), dans le Ciel, juste après la mort.
L’expression "courir vers le Christ" est une référence biblique : cf. Jn 11, 20, Martha ergo, ut audiuit quia Iesus uenit, occurrit illi…, "Lorsque Marthe apprit que Jésus arrivait, elle alla au-devant de lui…". Dans notre inscription, est dit d’une femme Alexandra ce qui est dit d’une autre femme, Marthe, dans l’épisode de la résurrection de Lazare.
- L’idée d’une résurrection : ad resurrectionem, "vers, pour la résurrection". On peut s’interroger sur le rapport qu’il y a entre cette résurrection et l’idée d’aller au Ciel et de rencontrer le Christ. Nous avons en fait deux destinations : l’individu meurt à un moment et le monde va mourir à un autre, le jour du jugement, avec la résurrection suivant le jugement. Alexandra est donc en dehors de l’histoire, elle est recepta caelo et elle va à la rencontre du Christ (occurrere Χρo), et ce tout de suite après la mort. Et elle va ad resurrectionem, digne de recevoir une récompense éternelle (praemium/munum aeternum suscipere digna), ce dont on peut penser que c’est une projection vers le dernier jour, le jour du Jugement.
Ad resurrectionem correspond à une référence biblique : Ph 3, 11, …si quo modo occurram ad resurrectionem, quae est ex mortuis., "…si je puis, à la résurrection d'entre les morts.". Une autre référence biblique éclaire le problème des deux destinations : Lc 23, 43 (épisode des deux larrons (latrones) crucifiés avec Jésus), Et dixit illi Iesus : Amen dico tibi : Hodie mecum eris in paradisum., [b]"Jésus lui répondit : Je te le dis en vérité, aujourd’hui tu seras avec moi dans le paradis.". Le "aujourd’hui" (hodie) indique qu’il y a un devenir immédiatement après la mort, sans attendre la résurrection. Les gens pouvaient avoir ce texte en tête pour penser qu’il se passait immédiatement quelque chose après la mort, la rencontre avec le Christ au ciel, avant autre chose à plus long terme, la résurrection.
Sur une "ligne des temps" :
____________1.___________________________________________________2. > 3.
1. Mort d'Alexandra => elle est recepta caelo et elle peut occurrere Χρo (elle est reçue au Ciel et courre vers le Christ)
2. Jugement puis
3. Résurrection => ad resurrectionem et praemium aeternum suscipere digna (elle va vers la Résurrection et elle est digne de recevoir une récompense éternelle).
Il est difficile de penser les deux aspects en même temps : un au-delà immédiatement donné au défunt et un au-delà à long terme attendant le jugement dernier. On aurait donc une période d’immortalité de l’âme, puis une période de résurrection où l’âme et le corps se retrouvent. On a vu que les textes bibliques permettent de retrouver certaines de ces idées.
C'est de l'épigraphie, donc ce n'est pas une réponse des Pères de l'Église ou une réponse théologique, cela montre seulement que, à la fin du Ve siècle, les chrétiens qui enterraient leurs morts et dédicaçaient leur tombe se posaient la même question, sans vraiment savoir quoi en penser.