J’aimerais revenir sur le sujet qui nous intéresse afin d'amorcer une démonstration.
Notre analyse va se limiter aux
Chapitres 12-25 de la Genèse qui relatent l’histoire d’Abraham. Pour parvenir à démontrer que ce récit était à l'origine un document légal, nous allons avoir besoin d'une nouvelle grille d'interprétation. Cette grille repose sur quelques clés qui vont nous permettre d'en faire une lecture contextuelle.
Clé #1 : Restituer les termes Yahvé et Élohim d'origine.Il convient premièrement de s’interroger sur l’emploi des termes Yahvé et Élohim dans le récit des Patriarches. Plusieurs modèles d'analyses ont été développés afin d’expliquer l’origine de ces différentes appellations : l’hypothèse documentaire, celle des compléments ou encore des fragments, en plus de quelques variations. Or, nous rejetons ces différentes théories parce qu'elles reconnaissent toutes
une dimension divine au Yahvé d’Abraham.
Dans le cadre de notre hypothèse de travail et de la relation présumée entre Abraham et son « Seigneur », c’est-à-dire d’une relation physique et de proximité, on s’attendrait à ce que
le terme « Yahvé » soit toujours utilisé pour désigner ce seigneur. Le terme « Élohim » ne devrait donc être employé que lorsqu’Abraham s’adresse à une divinité immatérielle, en accord avec la religion païenne pratiquée à l’époque. À quelques exceptions près, c’est effectivement le cas, ce qui semble confirmer que le récit des Patriarches est demeuré fidèle à l’esprit de l’époque où il a été rédigé. Les quelques « erreurs » peuvent donc être attribuées à des maladresses de scribes qui s'expliquent facilement par l'unicité présumée de ces termes.
Une analyse même sommaire des textes de la Genèse permet de les détecter facilement. Pour cela, il suffit de parcourir la Bible en s’interrogeant sur la nature de la relation au premier degré qui existe entre Yahvé-Élohim et Abraham.
Voici deux versets qui illustrent la problématique. Le premier (Gn 15 :13) témoigne d’une relation physique, car
c’est « Yahvé » qui parle avec Abraham. Si Yahvé est un suzerain, on ne détecte ici aucune incohérence :
Citer :
Gn 15:13 Et « Yahvé » dit à Abram: Sache certainement que ta semence séjournera dans un pays qui n'est pas le sien, et ils l'asserviront, et l'opprimeront pendant quatre cents ans.
Pourtant, quelques versets plus loin, lorsque ce même suzerain s’éloigne d’Abraham, c’est le terme « Élohim » qui le désigne :
Citer :
Gn 17:22 Et ayant achevé de parler avec lui, « Élohim » monta d'auprès d'Abraham.
À mon avis, il s’agit d’une « erreur » car le terme « Élohim » ne devait être employé que pour désigner une divinité païenne immatérielle et non ce suzerain mortel.
Voici un verset dans lequel Abraham implore une divinité païenne pour obtenir la guérison.
Le choix du terme « Élohim » est donc tout à fait approprié :
Citer :
Gn 20:17 Et Abraham pria Élohim, et Élohim guérit Abimélec, et sa femme et ses servantes, et elles eurent des enfants:
En revanche, plusieurs autres versets nous aident à mieux saisir l’origine du quiproquo qu’il convient de résoudre. Dans les deux versets suivants,
« Yahvé » est perçu comme un « Élohim ».
Citer :
Gn 14:22 Et Abram dit au roi de Sodome: J'ai levé ma main vers « Yahvé », le « Élohim » Très-haut, possesseur des cieux et de la terre:
Abraham reconnaît donc implicitement une certaine dimension « divine » à ce grand seigneur.
Il est remarquable de voir combien, dans l’ensemble du récit des Patriarches,
les termes d’origine ont été scrupuleusement respectés, et ce malgré les innombrables transcriptions dont il a été victime.
Bien entendu, de nombreuses substitutions se sont malgré tout glissées au fil du temps. Une étude des textes permet d’identifier les passages où les termes de Yahvé et de Élohim ont été dénaturés...
En parcourant la Bible de Darby (ainsi qu’une majorité d’autre traductions), le lecteur attentif remarquera que les Chapitres 12, 13, 14, 15, 18 et 24 ne comportent aucune « erreur ». Dans ces Chapitres, l’emploi du terme « Yahvé » correspond toujours à une relation physique alors que l’emploi du terme Élohim correspond à une relation divine immatérielle. À lui seul, le Chapitre 24 comporte 25 occurrences correctes. Dans les autres chapitres, on observe des utilisations incorrectes.
C’est ainsi que dans le Chapitre 16, les termes Yahvé et Élohim sont employés à sept reprises de manière conforme aux attentes. Une seule occurrence soulève le doute. Il s’agit du verset suivant :
Citer :
Gn 16:2 Et Saraï dit à Abram: Tu vois que « Yahvé » m'a empêchée d'avoir des enfants; va, je te prie vers ma servante; peut-être me bâtirai-je une maison par elle. Et Abram écouta la voix de Saraï.
En effet, on comprend mal comment un suzerain, tout puissant soit-il, pourrait être tenu responsable de la stérilité de Sarah. C’est donc plutôt “Élohim” qu’il aurait fallu transcrire et non pas Yahvé. Voilà pourquoi nous qualifions ce choix d’« incorrect » et croyons que c’est une « erreur ».
Il conviendra donc de surveiller l’emploi de ces termes et de les substituer le cas échéant.
Une fois ces substitutions complétées, il devient possible d’entreprendre la relecture des Chapitres 12-25.
Quelques observations découlent de cette relecture :
- on découvre qu'il est très possible qu'Abraham ait conclut une alliance avec un roi (Yahvé)
- Abraham apparait comme un homme important, issu d'une tradition nomade
- La religion pratiquée par Abraham est en harmonie avec la religion païenne de l'époque
- Isaac n’est pas issu de la semence d’Abraham, mais plutôt de celle de Yahvé...
- Le récit nous amène à nous questionner sur l'identité du fils demandé en sacrifice
Cette première clé d'interprétation n'est pas une "preuve". Par contre, elle permet de confirmer que le récit des Patriarches maintient sa consistance lorsqu'interpréter selon ce modèle. Bien entendu, il reste encore de nombreux points à éclaircir, mais voilà une première étape capitale qui semble n'avoir encore jamais été franchie.
À suivre…
PS Il est sans doute utile de rappeler que Yahvé est généralement traduit par “l’Éternel” et Élohim par “Dieu” dans les traductions modernes.(c) Bernard Lamborelle