Dans l’histoire des religions monothéistes, le test de loyauté représente le sacrifice ultime qui témoigne de la foi aveugle et de la soumission absolue d’Abraham envers son Dieu.
Citer :
Gn 22:1 Et il arriva, après ces choses, que « Yahvé* » éprouva Abraham, et lui dit: Abraham!
Gn 22:2 Et il dit: Me voici. Et « Yahvé* » dit: Prends ton fils, ton unique, celui que tu aimes, Isaac, et va-t'en au pays de Morija, et là offre-le en holocauste, sur une des montagnes que je te dirai.
Mais voilà que ce passage essentiel vient remettre en question notre interprétation du récit. En effet, si Isaac est bel et bien issu de la semence de Yahvé, il apparaît tout à fait illogique que ce dernier exige d’Abraham qu’il sacrifie Isaac, car du même coup, c’est le sacrifice de sa propre semence et de l’héritier désigné qu’il demanderait.
Pour que le récit maintienne sa cohérence, il doit y avoir erreur sur la personne. Et en effet, il est raisonnable de croire que c'est d'Ismaël que Yahvé exige le sacrifice. Il s’assure ainsi qu’Abraham sera loyal et ne donnera pas la succession à ce fils d’Égyptienne.
Par ailleurs, plusieurs lecteurs de la Bible restent perplexes devant l’expression «
Prends ton fils, ton unique » quand on l’applique à Isaac car on sait qu’Ismaël est né avant lui. Par contre, l’expression se comprend mieux quand elle désigne Ismaël, Isaac étant le fils de Hammourabi, et non d’Abraham. Le seul fils né de la semence d’Abraham, son fils unique, est bel et bien Ismaël!
Si juifs et chrétiens croient qu’Isaac est le fils qu’Abraham doit sacrifier, bien d’autres croyants sont convaincus qu’il s’agit plutôt d’Ismaël. En effet, chez les musulmans, il s’agit d’un dogme de foi. Capitale pour l’analyse, cette mésentente entre croyants vient appuyer notre thèse. Bien entendu, une partie de la vérité échappe également aux musulmans, car eux aussi, reconnaissent en Abraham un homme pieux, dévoué à son Dieu, plutôt qu’à son suzerain. C’est pourquoi nous croyons que le nom d’Isaac a été ajouté au texte a posteriori, à des fins partisanes. Le texte original se lisait possiblement :
Citer :
Gn 22:2 Et il dit: Me voici. Et « Yahvé* » dit: Prends ton fils, ton unique, celui que tu aimes, et va-t'en au pays de Morija, et là offre-le en holocauste, sur une des montagnes que je te dirai.
Comment vérifier cette hypothèse? Une analyse plus poussée des dates entourant cet événement apporte un éclairage supplémentaire. À quel moment précis a eu lieu le test de loyauté? La Bible ne donne aucune précision.
Chronologiquement, il se situe quelque part entre la naissance d’Isaac et le décès de Sarah. Or, si Abraham est né en 1810 AEC, on peut en déduire qu’Isaac serait né en 1750, alors que Abraham a 60 ans et Sarah a 54 ans (Gn 17 :17). On sait également que Sarah meurt à l’âge de 76 ans (Gn 23 :1), soit 22 ans plus tard en 1728. D’après la chronologie du récit, le test de loyauté aurait donc eu lieu entre 1750 et 1728.
Quel événement survient qui motive cette requête extrême? Est-ce uniquement dans le but de légitimer son propre fils, Isaac, que Yahvé exige ce sacrifice humain? Tout semble effectivement indiquer que Yahvé ait mis Abraham à l’épreuve immédiatement après la naissance d’Isaac. Pourtant, une telle demande semble disproportionnée dans le cadre d’une Alliance qui repose sur le respect mutuel et un fort lien de confiance. Cette requête inhumaine aurait tout aussi bien pu se retourner contre Yahvé si Abraham avait fait volte-face.
Y aurait-il une autre explication plus plausible?
L’histoire nous apprend que Hammourabi meurt en 1750, précisément l’année présumée de la naissance d’Isaac. À sa mort, c’est son fils qui lui succède. Il semble donc bien plus plausible que ce soit Samsu-iluna, nouveau maître de l’empire babylonien qui ait voulu s’assurer de l’absolue loyauté de l’un de ses gouverneurs, en l’occurrence Abraham.
Samsu-iluna
- qui est aussi le demi-frère d’Isaac - a pris le pouvoir au décès de son père et a régné de 1750 à 1712. Souvenons-nous que Yahvé a pleinement confiance en Abraham. Il peut compter sur lui : il sait qu’il honorera leur entente (Gn 18 :19). Mais comme l’Alliance a été conclue entre les deux hommes, rien n’est acquis pour Samsu-iluna. Il est donc fort probable qu’en héritant du trône, ce dernier ait cherché à asseoir son autorité par une démonstration de force en plus de mettre à l’épreuve la loyauté d’un homme fidèle à son père.
L’enjeu était de taille : il fallait s’assurer que la terre de Canaan reste bel et bien sous le contrôle de la famille royale amorrite. Vu sous cet angle, le sang « égyptien » d’Ismaël aurait effectivement pu ouvrir la voie à des revendications venues de l’extérieur, ce qu’il fallait à tout prix éviter. Samsu-iluna fait d’une pierre deux coups : il met à l’épreuve la fidélité de ce gouverneur tout en s’assurant qu’Isaac héritera du pouvoir à la mort d’Abraham.
Durement éprouvé par cette demande, Abraham se résigne et se montre totalement digne de confiance lorsqu’il s’apprête à sacrifier son fils :
Citer :
Gn 22:10 Et Abraham étendit sa main et prit le couteau pour égorger son fils.
Gn 22:11 Mais l'ange de « Yahvé » lui cria des cieux, et dit: Abraham! Abraham! Et il dit: Me voici.
Gn 22:12 Et il dit: N'étends pas ta main sur l'enfant, et ne lui fais rien; car maintenant je sais que tu crains « Yahvé* », et que tu ne m'as pas refusé ton fils, ton unique.
Samsu-iluna avait certainement ordonné à son messager («
angelos » en grec) d’épargner la vie d’Ismaël au dernier moment si Abraham savait se montrer digne de confiance. Ce geste de générosité témoigne de la perspicacité d’un fin diplomate car il permet de sceller le pacte sous le signe de la confiance et du respect mutuel. On s’imagine aisément qu’Abraham, à la fois fier et soulagé, deviendra pour Samsu-iluna un gouverneur dévoué et reconnaissant.
Cette relation gouverneur-seigneur se poursuivra donc au-delà de la mort de Hammourabi car Abraham maintiendra une relation de soumission à l’égard de ce nouveau « Yahvé », héritier de la dynastie.
*) Élohim dans le texte original
(c) Bernard Lamborelle