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Message Publié : 01 Avr 2013 10:00 
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Jean Mabillon
Jean Mabillon

Inscription : 07 Sep 2008 15:55
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J'ai trouvé dans la revue "XXè siècle" (n°107) une intéressante étude (de G Cuchet) sur la place des idées de Jean Delumeau dans les débats internes au catholicisme français des années 1960 et suivantes.

En résumant très rapidement, Delumeau défendait trois thèses qui eurent un grand succès (auprès des historiens et des croyants cultivés des années 1970 ) aujourd'hui nuancées par de nouvelles générations d'historiens:
- les campagnes occidentales n'auraient pas été réellement christianisées avant le XVIè siècle : idée qui reposerait sur une définition très restrictive du christianisme. En gros il existerait pour Delumeau un "vrai" christianisme raisonnable, illustré par Erasme et répandu par les deux réformes (protestante et catholique) et sans rapport avec le christianisme superstitieux et archaïque du moyen âge. Thèse aujourd'hui rejetée au nom du refus de l'idée d'une "pure" foi a-historique. Ce n'est pas parce que les hommes du Moyen âge ne partageaient pas les idées de Delumeau qu'on doit leur dénier leur identité chrétienne !
- la "pastorale de la peur" promue par le clergé aurait été la cause de la déchristianisation. Que la rigueur implique le doute et le rejet est une idée pour le moins paradoxale. Cuchet souligne au contraire que l'esprit d'"amour" promu par Vatican II a pu au contraire favoriser la distanciation désormais sans risque surnaturel. Il pense même que l'accusation portée sur cette pastorale est une façon de dédouaner l'esprit conciliaire d'après 1965 de toute responsabilité dans l'absence de gains pastoraux visibles après l'abandon des discours rigoristes traditionnels ;
- la thèse de Delumeau sur la pastorale de la peur centrale dans le discours catholique jusqu'en 1965 n'est pas invalidée totalement mais nuancée car dès le XIXè siècle la douceur fait son entrée (ou son retour?) en force dans les discours et pratiques catholiques - la dévotion mariale en étant le meilleur exemple. Delumeau ayant d'ailleurs à la fin da sa vie admit l'existence parallèle d'un discours de séduction.

Conclusion : autant qu'une étude objective sur l'Eglise catholique et ses méthodes pastorales, l'oeuvre de Jean Delumeau est aussi (et surtout) l'expression des idées (voire des préjugés) des intellectuels catholiques de la seconde moitié du XXè siècle, leur refus des Traditions et leur enthousiasme pour le renouveau conciliaire auquel aucune ombre ne peut être imputé.

Pardonnez moi pour la brièveté et le simplisme de ce résumé que je soumets à votre examen critique.


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Message Publié : 01 Avr 2013 10:15 
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Philippe de Commines
Philippe de Commines
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Inscription : 26 Déc 2005 21:13
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Localisation : Metz
Aigle a écrit :
- les campagnes occidentales n'auraient pas été réellement christianisées avant le XVIè siècle : idée qui reposerait sur une définition très restrictive du christianisme. En gros il existerait pour Delumeau un "vrai" christianisme raisonnable, illustré par Erasme et répandu par les deux réformes (protestante et catholique) et sans rapport avec le christianisme superstitieux et archaïque du moyen âge. Thèse aujourd'hui rejetée au nom du refus de l'idée d'une "pure" foi a-historique. Ce n'est pas parce que les hommes du Moyen âge ne partageaient pas les idées de Delumeau qu'on doit leur dénier leur identité chrétienne !


Effectivement cette thèse est remise en cause aujourd'hui, mais elle est davantage nuancée que rejetée. Effectivement, il y a une évolution nette de la foi autour des Réformes (protestantes et catholique) et le seuil de tolérance des clergés baisse vis-à-vis de croyances traditionnelles (ce n'est pas un hasard si la grande époque de la "chasse aux sorcières" date des années suivant le concile de Trente). Mais cela n'empêche pas qu'aux XVIe et XVIIe siècles, on observe un vrai mouvement missionnaire dans les pays chrétiens visant, précisément, à les christianiser, à les "discipliner" et, en bref, à les acculturer selon les canons des communautés confessionnelles se mettant en place.

Ce qui est sûr, c'est que l'oeuvre de Delumeau reste une grande référence pour les historiens actuels.

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«L'humanité est comme un paysan ivre à cheval: quand on la relève d'un côté, elle tombe de l'autre.»
(Martin Luther)


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Message Publié : 01 Avr 2013 10:37 
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Pierre de L'Estoile
Pierre de L'Estoile
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Inscription : 09 Juin 2010 14:22
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Bonjour,
l'œuvre de Jean Delumeau m'a toujours paru un peu bizarroïde. Bon, il reste bien sûr un grand historien (je crois que c'est un académicien ). Je sentais bien que quelque part dans ses travaux sur l'enfer et le diable, il condamnait implicitement une vision à ses yeux archaïques : la pastorale de la peur. Je ne connaissais pas l'expression exacte mais j'en avais la sensation. Vous confirmez, ça me conforte sur mes positions.
Bien à vous.

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et tout le reste n'est que littérature


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Message Publié : 01 Avr 2013 17:32 
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Jean-Pierre Vernant
Jean-Pierre Vernant
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Inscription : 08 Juin 2009 10:56
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Remis en perspective avec la christianisation de l'Antiquité tardive c'est pour le moins chargé de problèmes. Dans cette période syncrétique on en arriverait à dénier le christianisme des masses converties qui pourtant conservent des pratiques issues du paganisme, à travers des rites immémoriaux répétés par tradition. Si on se positionne après l'interdiction de la pratique publique du culte païen par Théodose on y perd son latin. C'est à mon sens raisonner trop par l'élite et de façon beaucoup trop restrictive.

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Scribant reliqua potiores, aetate doctrinisque florentes. quos id, si libuerit, adgressuros, procudere linguas ad maiores moneo stilos. Amm. XXXI, 16, 9.


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Message Publié : 01 Avr 2013 19:53 
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Philippe de Commines
Philippe de Commines
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Inscription : 26 Déc 2005 21:13
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Il ne faut pas oublier que les plus grands historiens (et Delumeau, professeur au Collège de France, en a été un) sont les fils de leur temps. Il a été (et est) un chrétien engagé, marqué par Vatican II et les espoirs de l'oecuménisme. On ne peut pas comprendre son oeuvre autrement que dans le contexte qui l'a produit.

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Message Publié : 01 Avr 2013 20:35 
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Jean-Pierre Vernant
Jean-Pierre Vernant
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Bien évidemment, il me semble que cela tombe sous le sens. L'historiographie, qu'elle soit d'hier ou de l'époque antique s'analyse toujours à travers un contexte. Entendons-nous bien, j'apprécie énormément le travail de Delumeau, en particulier son ouvrage sur la Peur en Occident, mais il me semble nécessaire néanmoins de pointer un détail qui fait écho avec un matériel historique que je commence à connaitre. D'un coté on a une vision très restrictive de ce qu'est être chrétien, alors que dans une période plus haute les historiens sont beaucoup plus porté à composer avec les nuances dans les pratiques du culte notamment. Cela rejoint l'expression de Piganiol il me semble sur le "triomphe du christianisme".

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Message Publié : 01 Avr 2013 20:44 
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Philippe de Commines
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Inscription : 26 Déc 2005 21:13
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Effectivement, Delumeau a une conception de l'identité chrétienne qui est celle des réforme et de la construction des identités confessionnelles. Et quand on regarde en arrière avec ces critères, on ne peut que constater le changement. Si je n'avais pas tant de respect pour Delumeau (je suis le disciple d'un de ses disciples lol ), je dirais que finalement son constat des campagnes non christianisées n'est qu'un anachronisme, mais un anachronisme assumé et maîtrisé. Comme chrétien convaincu, il a peut-être eu du mal à admettre que le dogme et la foi catholiques ont varié avec le temps et que le concile de Trente a été la pierre angulaire de cette évolution.

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Message Publié : 01 Avr 2013 22:52 
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Jean-Pierre Vernant
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Inscription : 08 Juin 2009 10:56
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C'est certain. Moi aussi je vois les choses de mon point de vue, surtout de ma période favorite. A un moment d'émergence on voit se mettre en place des pratiques alors que d'autres sont encore bien vivace. On remarque aussi et surtout à mon sens combien les convictions religieuses peuvent être différente du quidam jusqu'au penseur qui ne cesse de se poser des questions sur Dieu, qui s'est entièrement pénétré des textes philosophiques afin d'affiner autant que possible sa perception de l'intangible. Ce qui par contre a tendance à me faire réagir c'est quand on établi une gradation dans les pratiques sur une échelle de valeur. A mon sens le christianisme ou tout autre pratique religieuse est en même temps une émanation des préoccupation de l'époque. Ce que je retire de la lecture d'ouvrage d'ethnologie c'est que l'on n'a pas à établir ce qui est le bien ou le mauvais, l'erreur ou la Vérité, c'est là la conviction de chacun, mais plutôt de suivre son "moi cognitif" comme le dit Godelier, qui nous invite à nous dégager quelque peu de ces "passions". On ne peut malheureusement pas y échapper complètement, mais cela limite un peu leurs émanations.
Pour en rajouter une couche sur l'évolution du christianisme, je dirais même que c'est tout le XVe siècle, avec tout ce qu'il contient de crises et notamment religieuse, d'étapes dans la construction d'Etat moderne, de drames dans la guerre ou les épidémies, qui prépare La Réforme, au sens le plus large du terme puisqu'au delà d'un mouvement de rupture c'est à l'origine une réforme du christianisme romain. Et puis bon, tout cela ce n'est pas à Delumeau que je vais l'apprendre! lol

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Message Publié : 02 Avr 2013 6:49 
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Eginhard
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Inscription : 04 Juin 2008 20:24
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Et n'oublions pas que l'excellent Guillaume Cuchet (une étude sur le purgatoire au XIX-XXe s. qui a fait date) doit probablement avoir lui aqussi des convictions ! Difficile d'imaginer qu'on consacre sa vie de chercheur à l'au-delà sans avoir un certain intérêt personnel pour les questions religieuses... S'attaquer - justement - comme il le fait à Delumeau (il n'y a pas de vaches sacrées en histoire, quitta à ensuite réévaluer ce qu'on a dévalué) c'est aussi poser un jalon dans des débats tout à fait contemporains sur la pastorale, la sacramentelle et même l'ecclésiologie dans le catholicisme d'aujourd'hui. Et c'est très bien comme ça ! Les religions, à mon avis, ont besoin de connaissance historique.

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"Denken heisst überschreiten" : Penser signifie faire un pas au-delà. Ernst Bloch (1885-1977)


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Message Publié : 02 Avr 2013 8:42 
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Philippe de Commines
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Inscription : 26 Déc 2005 21:13
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Localisation : Metz
calade a écrit :
Et n'oublions pas que l'excellent Guillaume Cuchet (une étude sur le purgatoire au XIX-XXe s. qui a fait date) doit probablement avoir lui aqussi des convictions ! Difficile d'imaginer qu'on consacre sa vie de chercheur à l'au-delà sans avoir un certain intérêt personnel pour les questions religieuses...


Il y a plus d'athées et d'agnostiques que vous le pensez parmi les historiens du religieux :wink:

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Message Publié : 02 Avr 2013 13:15 
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Jean-Pierre Vernant
Jean-Pierre Vernant
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Inscription : 08 Juin 2009 10:56
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Localisation : Limoges
Je ne m'y suis pas intéressé directement, mais j'avoue que cela me fascine et de part mon sujet d'étude c'est assez difficile d'en faire abstraction ; pourtant je suis athée.

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Message Publié : 02 Avr 2013 16:18 
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Eginhard
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Inscription : 04 Juin 2008 20:24
Message(s) : 749
Citer :
y a plus d'athées et d'agnostiques que vous le pensez parmi les historiens du religieux :wink:

Peut-être dans les périodes que je ne connais pas mais l'histoire religieuse contemporaine est largement structurée autour de figures qui sont des chrétiens engagés et dont les vues religieuses se nourrisent d'histoire et vice-versa. René Rémond, ancien de l'ACJF en est un exemple frappant, André Latreille, qui a été sous-directeur ddes Cultes à la Libération, ou Jacques Gadille, spécialiste des missions, qui vient de disparaître. On peut éplucher l'annuaire de l'Association française d'histoire religieuse contemporaine et trouver les tendances paroissiales des uns et des autres... Il ne s'agit nullement d'une condamnation bien entendu, mais plus les historiens du religieux se rapprochent de notre temps, plus on sent dans leurs travaux le poids des débats surtout post-Vatican II. Ce qui ne veut pas dire que ce ne soit pas aussi le cas chez certains antiquisants, médiévistes ou modernistes (Marrou en est un bon exemple, tout comme Delumeau) mais le côté engagé est moins prégnant. Encore une fois, cela n'enlève rien à la scientificité des travaux, les noms que j'ai cités sont la pour le prouver.

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Message Publié : 24 Jan 2014 22:18 
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Philippe de Commines
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Localisation : Lorraine
Jean-Claude a écrit :
[...] et le seuil de tolérance des clergés baisse vis-à-vis de croyances traditionnelles (ce n'est pas un hasard si la grande époque de la "chasse aux sorcières" date des années suivant le concile de Trente).
Le seuil de tolérance baisse d'autant plus que les peurs obsidionales du clergé chrétien (protestant et catholique) augmentent : le clergé pense que le combat apocalyptique qui, selon les prophéties, précèdera le jour du Jugement (ou le début du Millenium) est commencé. Ce qu'ils voient, c'est que les chrétiens et le christianisme sont assiégés par les légions du diable. Ce sont elles qui provoquent cataclysmes naturels, pestes, guerres, poussent le Turc aux portes de l'Italie...etc. Pire que ça : les avant-gardes infernales sont déjà dans la place (hérétiques, possédés, sorcières etc... jusqu'au pape lui-même, ou bien Luther, selon le camp auquel on appartient qui est l'antéchrist, ...). La "chasse aux sorcières" n'est qu'une des manifestations de la volonté des élites de colmater les brèches de la citadelle assiégée.

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