Epsilon a écrit :
Bon on peut dire ce que l’on veut sur P. Perier il n’empêche que … c’est un très grand érudit mais que ses écrits sont … je parle essentiellement de ses deux livres cultes à savoir : les « colliers » et « karozoutha » les autres ne les ayant pas lu … très difficiles à lire et partant quasiment impossible à contester … il donne souvent des références/dires d’auteurs que lui seul mentionne.
Ceci dit je ne dirais pas comme vous le faites qu’il … « falsifie la vérité pour faire passer ses croyances personnelles » … non il surfe sur la Tradition en forçant, mais c’est impossible à démontrer, la vérité (si tant soit peu que qcq’un la connaisse) pour trouver les origines de l’Évangélisation de la Chine.
Je n'ai pas lu les deux livres que vous citez, mais j'ai lu le livre en référence, et étudié très sérieusement certains passages, et notamment le songe de Mingdi, qui est la pièce centrale de la "démonstration" de P.Perrier (lui-même écrit que c'est une pièce capitale).
Je ne peux pas affirmer que Thomas n'est pas allé en Chine.
Mais je peux affirmer que Pierre Perrier a grossièrement falsifié le texte ancien chinois qui lui sert de référence.
Dès les premières pages de ce livre, je suis gêné par le style, par les formules racoleuses (dossier extraordinaire, scoop,…), par l’apologie de l’auteur, par la répétition de l’affirmation que Thomas a été en Chine (alors que je n’ai encore aucune preuve), par l’accumulation des mots rigueur (rigoureux,…). Bref, je suis déçu car le livre n’est pas un livre d’historien, où l’auteur expose des faits précis, propose des interprétations et finalement conclut, toujours prudemment et en restant modeste.
Le songe de MingdiJe comprends vite que le songe de Mingdi est la clé de l’histoire et je vais rapidement à la page 40 pour en avoir une explication.
Puisque P.Perrier écrit qu’il n’y a qu’un seul texte qui en parle, le Houhanshu, je vais donc à sa recherche sur internet… et je découvre qu’une multitude de textes anciens chinois évoque ce songe de Mingdi. L’étude de Henri Maspéro écrite en 1910 (voir
①) « Le songe et l’ambassade de l’empereur Ming » détaille et analyse les 13 versions antérieures au VIème siècle, puisque, comme il l’explique « Cette histoire est racontée par un grand nombre d’écrivains. Mais depuis la fin du VIe siècle, tous ne font que reproduire un récit fixé pour le fond et pour la forme avant eux ».
La seule version que P.Perrier a trouvée est celle de Fan Ye écrite au Ve siècle, et dont la traduction, tirée de l’ouvrage de H.Maspéro, est la suivante :
"C’est une tradition courante que l’empereur Ming vit en rêve un homme d’or de haute taille qui avait une lueur brillante au sommet du crâne. Il interrogea ses fonctionnaires ; et quelqu’un d’entre eux lui répondit : « Dans la région d’Occident, il y a un dieu appelé Buddha, d’une taille haute de seize pieds et qui est couleur d’or jaune »La traduction de ce texte donnée par P.Perrier p.41 est la suivante :
«
Mingdi eut un songe qui lui fit voir un homme blond, grand, dont la tête était auréolée de lumière, […] il avait près de deux mètres, il était de teint doré… »
avec son commentaire p.42 :
«
Cette présence au pied du lit (venue probablement de l’Orient) d’un homme grand (près de deux mètres, soit beaucoup plus que la taille du souverain chinois et de ses sujets à l’époque) aux cheveux blonds ou châtains, à la peau claire et dont la tête portait une auréole de lumière surprend… la description élimine a priori un Chinois ; elle élimine aussi un indien, en raison de sa grande taille, de sa peau et sa chevelure « comme l’or ». »
P.Perrier recommence sa démonstration p.96. Il donne une traduction plus complète :
«
La tradition veut que Mingdi eût un songe qui lui fit voir un homme blond [doré ?], grand et dont le sommet de la tête était auréolé. L’Empereur questionna sur ce songe une foule de conseillers et l’un d’eux lui dit qu’en Occident existait un dieu dit « lumineux » [ou « l’Homme-Lumière »]. Son corps avait huit zhang [huit empans, soit deux mètres environ] et son teint était doré [ou « comme l’or »]avec dans son commentaire, p.101 :
«
La description que l’empereur Mingdi a donnée de lui recouvre les sémites du Nord, d’un blond châtain, à la peau halé (sic), de taille plutôt grande. »
P.Perrier a donc supprimé du texte original le mot « Buddha », a transformé « un homme d’or » en « homme blond », voir « blond châtain », et a introduit dans ce texte « à la peau claire », puis « au teint hâlé ».
L’auteur a donc falsifié le texte original et inventé une preuve qui lui sert à prouver que le songe ne pouvait concerner qu’un sémite du Nord !!Quant à la « grande taille » de l’homme, P.Perrier nous prend pour des enfants. Il est évidemment plus crédible de représenter un dieu anthropomorphe grand et doré plutôt que petit et maigrichon. On pourrait ajouter que l’homme le plus grand de la planète est actuellement un chinois, que dans tous les temples bouddhistes il y a plusieurs statues de bouddhas qui font plus de deux mètres,…
Dernière surprise … de taille :
Le texte originel indique : « d’une taille haute de seize pieds ».
La version de P.Perrier donne : «
son corps avait huit zhang [huit empans, soit deux mètres environ]… »
Pourquoi l’auteur a-t-il changé le texte ? : parce que la plupart des gens savent qu’un pied fait environ 30 cm (même en Chine – voir②) et donc que le texte initial indiquait une taille d’environ 4,80m. Il a donc inventé l’indication de « huit zhang – huit empans », pour pouvoir rendre cette indication de taille plus cohérente avec celle d’un homme,… mais pas celle d’un chinois…
La crédibilité de P.Perrier est anéantie et le château de cartes s’écroule.Je me suis longtemps demandé pourquoi P.Perrier indiquait qu’un seul texte mentionnait le songe de Mingdi, et pourquoi il avait choisi la version de Fan Ye (je n’imagine pas que P.Perrier puisse ignorer la multitude de versions existantes).
Quand on lit les 13 versions de H.Maspéro, on note que :
o 6 versions ne donnent aucune indication de taille (1, 2, 3, 8, 9 et 13)
o 2 versions disent seulement qu’il est grand (5 et 10)
o 4 versions disent qu’il mesure 16 pieds (4, 6, 11 et 12)
o 1 version dit qu’il mesure 20 pieds (ou 2 toises (7))
Pour la démonstration de P.Perrier, il était nécessaire de choisir une version qui donnait une indication de taille. Il en existe 5 versions (antérieures au VIe siècle). Pourquoi a-t-il choisi la version 6 (celle de Fan Ye) ? : parce que c’est la seule de ces 5 versions à comporter la phrase :
« Dans la région d’Occident, il y a un dieu appelé Buddha, d’une taille haute de seize pieds et qui est couleur d’or jaune », ce qui lui permet de la transformer en « Son corps avait huit zhang [huit empans, soit deux mètres environ] et son teint était doré [ou « comme l’or »] ». Il ne lui reste plus qu’à transformer « teint doré » en « à la peau hâlé », et le tour est joué.
A noter que page 167, dans une
7ème version (!) de ce songe, P.Perrier convertit 16 pieds en vingt mètres (sic) ! (On est dans la fantaisie la plus totale)
Je ne détaille ici que l'analyse du songe de Mingdi. J'ai étudié certaines autres "preuves" qu'il avance, et je peux montrer qu'il arrange les faits à sa façon pour arriver à la conclusion qu'il souhaite, et que beaucoup de ses affirmations sont totalement gratuites, voire inexactes.
Tout ceci est fait sous couvert d'érudition, d'équipes pluridisciplinaires qui "
se sont imposé de relire les textes anciens chinois" (c'est quand même la moindre des choses !). J'ai étudié les procédés de P.Perrier pour faire croire à son histoire. Ils sont suffisamment habiles pour tromper le lecteur qui a envie d'y croire et qui n'a pas le minimum de sens critique, mais très grossiers pour celui qui a l'habitude de croiser les sources et de vérifier les affirmations non démontrées.
① :
https://www.google.fr/url?sa=t&rct=j&q= ... 6428,d.d2k