Narduccio a écrit :
"L'horizontalité" se manifeste de manières différentes dans les diverses sociétés. Elle évolue aussi en fonction de divers critères. Des sociétés très ouvertes à une certaine période peuvent se replier sur la religion et devenir très fermées excluant de fait toute tentative de vivre sa foi autrement que ce qui est accepté par la communauté.
Ces changements peuvent survenir en période de crise. Si on prend le cas des flagellants, ils apparaissent à une période bien particulière. Après une période de prospérité, le SERG se retrouve la proie de pas mal de difficultés. On a des épidémies, des famines, des guerres, ... Certains prédicateurs commencent à annoncer qu'on va attendre la fin des temps et qu'il faut se préparer pour l’Apocalypse et le Jugement Dernier. Du coup, on voit apparaitre divers groupes de pénitents qui veulent, pour certains expier leurs péchés (ou supposés tels), pour d'autre expier les péchés de la société. Ces derniers estiment que la société est pourrie et qu'il faut en extraire le péché pour permettre l'avènement du règne de Dieu.
On peut ajouter à ce tableau la modification de la représentation du Christ, qui illustre bien la mutation de la "Verticalité".
La figure du Christ en majesté est vers cette époque supplantée par celle du Christ souffrant, de même que la représentation à 4 clous est remplacée par celle à 3 clous.
Narduccio a écrit :
es relations religieuses horizontales ont servi à unir certaines sociétés pour en faire des groupes unis. A d'autres moments de l'histoire, on voit que ces relations religieuses ne sont pas primordiales et certaines sociétés ont su agréger des gens qui avaient des dieux différents ou des manières différentes d'honorer les mêmes dieux ou le même dieu. La première conquête musulmane en est un exemple. Les conquérants n'ont jamais demandé aux conquis de se convertir. Toute conversion forcée leur semblait une corruption de la Foi (et c'est un courant qui existe aussi coté chrétien). Ils se sont contentés de leur demander de verser un impôt supplémentaire. D'ailleurs, d'après ce que j'ai lu à plusieurs endroits, le total des impôts demandé par les musulmans était plus faible que le tribut qu'ils devaient verser aux empires qui étaient leurs maîtres avant. C'est ce qui explique que les musulmans furent très bien accueillis par certaines populations. Ils laissaient la liberté de culte et de croyance (dans certaines limites) et ils demandaient moins que les anciens maîtres, qui avaient pourtant la même religion.
Attention, l'explication de l'expansion musulmane par la "bienveillance fiscale" est aussi sujette à caution que les autres. Bien malin qui pourrait dire quel était le montant des impôts avant et après la conquête à cette époque. Le principe de la djizzia existait déjà dans l'empire byzantin, et il semble, selon A. de Prémare, que les populations devaient acquitter un montant différent suivant qu'elles s'étaient rendues immédiatement ou après un siège. L'impôt devait donc s'apparenter initialement à un tribut.
Le "paléo-islam", l'islam des deux premiers siècles sur lesquels nous n'avons pas de sources sûres, peut montrer également l'exemple d'une mutation de la verticalité, qui impacte l'horizontalité. Au départ : il fonctionne comme une alliance entre Dieu et des tribus arabes qui partagent la même loi. Les victoires militaires sont la contrepartie de Dieu à leur culte. La conversion des ennemis n'est pas un but : il s'agit de dominer et d'imposer un tribut. On ne devient musulman qu'en s'apparentant par adoption ou mariage à une famille musulmane, puis en adoptant la charia. Des mesures sont prises pour limiter les contacts entre les populations vaincues et les combattants : installation de camps militaires qui deviennent de nouvelles villes (comme Le Caire) et prescriptions alimentaires et hygiéniques qui empêchent une vie en dehors de la communauté.
C'est après la Conquête, et probablement l'adoption de la philosophie grecque, que l'Islam acquerra son statut universaliste - pouvant et devant être adopté par tous, même si le rituel d'adoption perdure -, et que les rapports entre Musulmans et Dhimmis seront théorisés en rapport sociaux de dominants/dominés, avec une voie de sortie (sans retour...) pour ces derniers.
Julien_b a écrit :
Peut-on faire l'hypothèse que le périmètre du shirk ait quelque peu changé sous l'influence de la Salafiyya et du wahhabisme ? Et que le propos de Saladin, qui incarne effectivement un discours orthodoxe que l'on peut entendre assez souvent, soit un produit de cette histoire ?
Le "culte" des saints dans l'islam (prières spéciales, pélerinages) ressort de la religion populaire et de la pratique quotidienne. Il n'a jamais été reconnu par les juristes musulmans, comme l'a dit Saladin. Mais il n'est pas historique de considérer qu'il constitue une déviance par rapport à l'orthodoxie. Il reflète au contraire un besoin de matérialiser la "verticalité" dans la société. De plus, la chariah demeure un code de loi : elle est dépendante des moyens que mettent les États pour la faire appliquer.
Le wahhabisme a surtout innové en incitant à engager des moyens importants pour appliquer strictement la loi, et la lutte contre le culte des saints en est un axe : cela a commencé avec la destruction de sanctuaires en Arabie après la conquête saoudienne, pour aboutir à la destruction récente des tombeaux de saints au Mali - si on me permet cette incursion au-delà de la limite
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