J'ai depuis lu plusieurs articles de Michel Balard sur la question, notamment "Un marché à prendre : l'invasion occidentale" in Ducellier Alain, Constantinople 1054-1261, Autrement, 1996.
Il utilise tout de même le terme d'INVASION, qui selon lui est extrêmement mal vécue par les Byzantins.
Le pouvoir impérial avait besoin des flottes italiennes pour transporter les troupes en Italie du Sud et combattre les Normands sur mer.
En échange de cela les Vénitiens ne demandaient pas d'argent mais des avantages. Cela commence en 992 avec la concession par Basile II de l'abaissement du droit de passage à la douane d'Abydos (entrée du Bosphore).
Devant la menace normande, Alexis Comnène par le chrysobulle de 1082 permet aux Vénitiens:
- d'établir une colonie permanente à Constantinople,
- de commercer dans l'ensemble de l'Empire (exceptées îles égéennes et mer Noire) sans payer de droits de douane,
- d'être exemptés du kommerkion.
Une partie de ces privilèges est octroyée aux Pisans en 1111 et aux Génois en 1155 afin de susciter des rivalités inter- italiennes. Ce qui marche puisqu'en 1162 Pisans et Vénitiens pillent le quartier génois.
En 1171, Manuel Comnène fait arrêter les Vénitiens, confisquer leurs biens et navires.
En 1182, la population de Constantinople massacre les Italiens, sur fond d'ambiance profondémment hostile aux Latins.
Pourtant les empereurs ne peuvent revenir en arrière, Andronic rappelle les Vénitiens en 1184.
Ces derniers obtiennent même en 1198 que les causes juridiques des Vénitiens relèvent directement d'un légat vénitien.
Pour 1204, Michel Balard donne le témoignage de Nicétas Choniatès afin de décrire la haine entre Grecs et Latins:
"les maudits latins (...) sont altérés de nos biens et ils voudraient anéantir notre race (...). Entre eux et nous, il y'a un fossé de haine, nous ne pourrions pas nous unir d'âme avec eux et nous différons d'eux en tout".
Pour Michel Balard, la prise de la capitale en 1204 est l'aboutissement de cette montée d'antagonismes entre Grecs et Latins au cours du XIIème siècle.
La thèse semble vraiment solide, d'autant que l'historien est le grand spécialiste de la question.
Toutefois le cheminement est-il aussi simple?
Cette vision, parfaitement illustrée par le chroniqueur Nicétas Chôniatès, n'est-elle pas trop centrée sur la capitale?
Si les Italiens sont arrivés si facilement à Constantinople en 1204, n'y'a-t-il pas une part de responsabilités des provinces maritimes de l'Empire?
_________________ "Si, dans la pratique démocratique anglaise, l’opposition, selon un mot admirable, remplit un service public, dans les États totalitaires, l’opposition devient crime ", Raymond ARON.
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