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 Sujet du message : Histoire et complot
Message Publié : 22 Oct 2006 20:41 
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Plutarque
Plutarque
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Inscription : 16 Oct 2006 0:12
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Localisation : Paris et Toulouse
Notre époque se passionne de plus en plus pour le mythe du complot. X-files, Da Vinci Code, tout concorde à prouver, pour ses thuriféraires, que "on nous cache tout, on nous dit rien", comme disait Dutronc. L'histoire n'est plus faite par des hommes, ni par des mouvements de fond seulement modifiés par l'action de l'homme, mais par des puissances occultes, par un complot permanent, plusieurs fois millénaire, multiforme, et cependant toujours mis en échec.

Une lecture d'une "histoire qui se fait malgré soi", qui tend même, parfois, à un fatalisme de l'action humaine : pourquoi faire si ce que nous faisons est contrôlé par l'occulte, ou même, pire, dicté inconsciemment par lui ?

Sommes-nous au final dans une lecture de l'histoire passagère, reflet d'une angoisse, ou, plus machiavélique (plus comploteur serais-je tenté de dire :D ), jouet d'une demande commerciale d'un public qui lui se passionne pour le complot, ou dans un mouvement de fond qui remet en cause les certitudes acquises jusqu'à présent et qui tendrait à prouver, du moins essaierait, que l'histoire se fait par les passions ?


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Message Publié : 23 Nov 2006 9:20 
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Hérodote
Hérodote

Inscription : 22 Nov 2006 22:06
Message(s) : 3
Je crois qu'il faut pas tout confondre.
Les complots, c'est pour la fiction, le divertissement.
Dans quelle mesure voyez-vous l' Histoire se construire ou se comprendre en ces termes ? Moi je ne vois pas vraiment...peut-êrt que vous avais des examples ?

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Soit heureux un instant, et que cet instant soit ta vie...


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Message Publié : 23 Nov 2006 11:22 
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Philippe de Commines
Philippe de Commines
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Inscription : 23 Oct 2004 9:14
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Localisation : village des Pyrénées
Justement, le numéro hors série de la revue l'Histoire de ce trimestre (les collections de l'Histoire) est entièrement consacré à ce sujet.
Je copie ici la présentation qui en est faite sur leur site http://www.histoire.presse.fr/

Citer :
HORS SERIE LES COLLECTIONS DE L’HISTOIRE N°33
Les complots sont inhérents à la vie publique.
De César à Staline, rumeurs et conspirations alimentent les annales, en passant par la conjuration de Catilina à Rome, celle du Chevalier de Rohan contre le Roi Soleil ou les intrigues attribuées aux Jésuites.
Mais les rumeurs, notamment avec le développement de la presse sous la IIIe République, s’amplifient. Ainsi du formidable « complot » judéo-maçonnique, dont les échos résonnent jusqu’à l’époque contemporaine. Un faux avéré, les Protocoles de Sion, suscite encore un intérêt contestable dans les réseaux antisémites ou chez les islamistes. Sans parler des « coups tordus » orchestrés par la CIA, ni des manipulations véhiculées par Internet, cette caisse de résonance.


et une phrase de l'éditorial que je trouve tellement vraie:

Citer :
Le plus souvent [le complot] reste dans les annales parce qu'il a été éventé, le traquenard déjoué, que les auteurs ont été identifiés, arrêtés, parfois jugés, souvent exécutés pour l'exemple. Autant dire que d'ordinaire, le complot tourne mal : l'ordre établi est préservé, la morale est sauve.


Le numéro parle des complots avérés (mais pour tous il y a une part de mythe) :
- La conjuration de Catalina
- Les complots de l'époque des "rois maudits"
- L'affaire des poisons
- la conspiration du chevalier de Rohan sous Louis XIV
- Les machinations de Staline
- La cagoule

Et des complots carrément imaginaires (selon eux et selon moi), plus récents, sous la république:
- le mythe du complot judéo_maçonnique (avec son instrument le Protocole des sages de Sion)
- les 200 familles et l'argent roi
- les jésuites

Et pour finir les mythes du complot mondial, dont le dernier avatar est un livre trop connu pour le citer encore ici.

Un numéro passionnant de cette revue !

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"La vie des hommes qui vont droit devant eux, renaitraient-ils dix fois en dix mondes meilleurs, serait toujours semblable à la première. Il n'y a qu'une façon d'aller droit devant soi." (Pierre Mac Orlan)


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Message Publié : 23 Nov 2006 12:02 
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Hérodote
Hérodote

Inscription : 22 Nov 2006 22:06
Message(s) : 3
Très intéressant ce numéro Dédé !
Je crois que je vais courrir chez mon marchand de journeaux préférés !
Indiquent-ils le pourquoi des complots imaginaires ? Raisons politiques ?
La cagoule...c'étatit bien une Ligue d'extrême droite des années 30 non ? Ils avaient fomenté un complot ?

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Message Publié : 23 Nov 2006 12:24 
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Philippe de Commines
Philippe de Commines
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Inscription : 23 Oct 2004 9:14
Message(s) : 1903
Localisation : village des Pyrénées
Les actions de la Cagoule:
- le soutien à l'Italie fasciste dans le damaine du renseignement
- l'assassinat de carlo et Nello Rosselli, deux intellectuels italiens antifascistes, en échange de fusils fournis par mussolini
- la terreur, par l'assassinat, le 24 janvier 1937, de Dimitri Navachine, à la fois soviétique, communiste, et franc-maçon. Puis l'attentat de l'Etoile le 11 septembre 1937 (dont les communistes ont été accusés, et le sont encore ici même, nous en avons parlé l'an dernier, me semble-t-il)
- enfin, un véritable complot qui sera déjoué, dont le but était de renverser la république, dans la nuit du 15 au 16 novembre 1937.

Citer :
pourquoi des complots imaginaires ? Raisons politiques ?

je pense qu'il y a deux origines, essentiellement:
1- des origines politiques, effectivement: une organisation accuse ses opposants de complots, pour les mettre en difficultés.
2- Une origine plus obscure, plus profondément ancrée dans l'esprit des peuples, quelque chose comme: "tout ce qui m'échappe est le fruit d'un complot". Ainsi, aujourd'hui, cette idée que les puissants nous cachent des choses, pour nous manipuler et conserver le pouvoir. Et des artistes ou des intellectuels prétendument "engagés" savent bien surfer sur cette vague (parfois en toute bonne foi)
Georges Chelon, en 1969, a écrit :
Suppose qu'ils osent
Dire tout ce qu'ils ont en eux
Dire tout ce qu'ils savent des clauses
Qui mettent notre vie en jeu
Suppose qu'ils osent
Décrire l'invisible à nos yeux
Nous dire clairement ces choses
Qu'ils assourdissent de leur mieux
Suppose que du jour au lendemain
Tous les secrets accumulés
Discrètement depuis des siècles
Chez quelques papes en quelques sectes
Chez quelques sages en quelques Indes soient révélés
Ce s'rait la fin du monde
D'un monde

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Message Publié : 23 Nov 2006 18:16 
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Plutarque
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Inscription : 16 Oct 2006 0:12
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Localisation : Paris et Toulouse
(Dédé, c'est parce que j'ai lu ce numéro que ce topic a été posté. :D )

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L'histoire, c'est cool - Churchill
L'histoire, c'est tantôt du sucre glace, tantôt de la farine de blé - Citation perso


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Message Publié : 23 Nov 2006 18:19 
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Polybe
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Inscription : 03 Nov 2006 21:56
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Localisation : Sur les hauteurs dominant la Bièvre, ( pays des castors ) - Isère.
Il y a bien pourtant uen chose qui mène le monde et c'est historiquement prouvé : c'est la soif de l'argent ou de la puissance ( ce qui revient littéralement au même )

J.

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"Le temps est la substance dont je suis fait"
Jorge Luis Borges


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Message Publié : 23 Nov 2006 18:50 
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Plutarque
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Inscription : 16 Oct 2006 0:12
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Localisation : Paris et Toulouse
C'est un peu prendre le particulier pour le général. La soif de l'or et de pouvoir n'est qu'une des facettes des passions humaines. La jalousie, voire, pour ceux qui aiment la philosophie et la psychologie de la mort, le divertissement pascalien, peuvent être des approches de l'histoire.

Il y a même encore autre chose : Robert Muchembled a étudié les rapports entre la sexualité et l'édification des sociétés. Ne serait-ce pas quand les sociétés se contiennent sexuellement que, par logique freudienne, leur libido se dirige vers l'art, la guerre (virilité détournée ?), ou la construction ? A l'inverse, l'assouvissement complet de tous ses désirs ne conduit-il pas les sociétés à la décadence ?

A ce titre, la soif de l'argent ou du pouvoir n'est soit qu'un mythe développé par des historiens angoissés (pourquoi une campagne militaire ne serait-elle pas l'expression inconsciente d'une angoisse existentielle du vide, de la mort, ou l'assouvissement abstrait et inconscient d'une libido nerveuse ?), soit qu'un pan circonstanciel des humeurs humaines, que les sources ont souhaité consacrer. Prenons l'exemple de la guerre de Troie : le déclic est une banale affaire de jalousie amoureuse.

Il ne faut pas non plus confondre matérialisme et argent. L'évêque qui se fait construire une monumentale cathédrale pour paraître plus important que son homologue ou le bellâtre qui veut acheter une voiture plus grosse que son voisin agissent historiquement de la même façon. Ils cherchent un pouvoir de domination sur autrui qui ne coïncident pas avec un pouvoir de domination in abstracto. On est là dans la logique d'une résolution de conflits entre individus.

C'est une approche de l'histoire que l'on tend souvent à dénigrer, j'ai l'impression. Non pas qu'elle ne nous plaise pas, mais parce qu'on a une impression inconsciente et inavouée que nos ancêtres n'avaient sans doute pas les mêmes passions, les mêmes humeurs. Or, si aujourd'hui je veux paraître plus important que mon voisin en achetant une plus grosse voiture et si ma compagne veut dominer sa voisine en augmentant son pouvoir de séduction, pourquoi nos ancêtres n'auraient-ils pas voulu en faire autant ?

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Message Publié : 25 Nov 2006 2:15 
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Grégoire de Tours
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Inscription : 01 Nov 2006 16:49
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Localisation : Triangle des bermudes
Citer :
C'est un peu prendre le particulier pour le général


En ce qui concerne le complot imaginaire ;

La paranoïa a sûrement provoqué un grand nombre de complots, mais aussi de grandes figures de l'histoire quant elles ont su la surmonter.
Aussi, je verrai le mécanisme du complot plutôt comme une analyse sur le général focalisée sur un particulier. Ce phénomène sociologique peut se manifester à différentes échelles, de l'individu à la masse.

Je voudrai exprimer une autre façon d'interpréter le complot. Croire en dieu ou les dieux peut engendrer des analyses dont la répétition des coincidences provoquerait une forme d'assurance dans le choix de son action. Or, à l'instar de la généralisation la preuve scientifique manque en raison de la multitude des paramètres. Par conséquent, la relativité devient une philosophie du bonheur qu fait barrière à l'édification imaginaire du complot par le désintérêt, le rejet ou la contemplation( :idea: )

Citer :
Ne serait-ce pas quand les sociétés se contiennent sexuellement que, par logique freudienne, leur libido se dirige vers l'art, la guerre (virilité détournée ?), ou la construction ?


Peut-être bien oui, j'ajouterai que les savoirs techniques sont très important pour orienter le contenu dans un contenant...

Citer :
A l'inverse, l'assouvissement complet de tous ses désirs ne conduit-il pas les sociétés à la décadence ?


Forcément, l'individu à moins d'être très dangereux, construit ses limites dans la communauté proche et lointaine. L'assouvissement complet ne me semble pas être une bonne formulation.

Citer :
pourquoi nos ancêtres n'auraient-ils pas voulu en faire autant ?


L'austérité des uns contrebalance le paraître des autres...

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Message Publié : 25 Nov 2006 22:32 
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Grégoire de Tours
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Inscription : 23 Avr 2005 10:54
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Puisqu'on est dans un forum d'épistémologie, je propose une autre manière d'expliquer l'importance de la thèse du complot en histoire. Elle serait liée à l'écriture de l'histoire elle-même. J'avais déjà fait part de cette thèse dans un topic il y a longtemps, alors je me contente d'un copy/paste :

-

Je lisais tout recemment un epistemologue des sciences sociales, et ce qu'il écrivait a propos de l'histoire m'a semblé intéressant à rapporter ici.

La discussion portait sur la problématique du passage du micro au macro.

En effet, on observe le comportement d'un individu. Sur ce comportement on infere une intention, une motivation : "Brutus poignarda Cesar parce qu'il refusait la perpective de la tyrannie".

Considérons éventuellement qu'un historien d'aujourd'hui dispose de textes écrits par les historiens ou chroniqueurs précédents, contemporains de l'évènement, et qui ont déjà accompli ce travail d'inférence pour lui : Xus relata la participation de Brutus à l'assassinat de Cesar, Yus celle d'un autre, Zus celle d'un troisième, etc.
Notre historien d'aujourd'hui, étudiant les textes anciens, "connait" donc ainsi les motivations de plusieurs personnages à un même évènement historique.

Mais que se passe-t-il dès lors qu'on s'attaque, par exemple, à des mouvements sociaux ? En toute rigueur, comment un historien peut-il passer de l'explication du comportement d'un ou plusieurs individus à celle de manifestations de groupes, de foules, etc. ? Comment caractériser, par exemple, les motivations de la foule lors de la prise de la Bastille ?

Cet épistémologue écrivait que cette problématique est peut-être l'une des raisons pour laquelle l'histoire s'est si longtemps cantonnée à l'évènementiel et à l'histoire politique, diplomatique et militaire. Autant de perspectives en effet dans lesquelles on est en droit de considérer les groupes comme des structures hiérarchiques, obéissant donc à un, ou quelques, individu(s).

Mais maintenant que l'histoire sociale, economique, etc. a considerablement progressé, et incite à étudier des groupes non hiérarchisés, voire des agrégats d'individualités, l'auteur notait deux stratégies, qu'il présentait comme régulières chez les historiens, pour contourner la difficulté : La thèse du grand homme, qui cristallise les évènements autour de sa personne, et en devient l'unique moteur ; et celle du complot, qui réduit les évènements historiques à la volonté de quelques-uns.

-

Pour résumer autrement, on l'a dit, l'histoire ne peut pas se passer d'expliquer ou au moins -ce qui ne renvoie pas aux mêmes traditions de pensée- de faire comprendre, donner du sens. Or, à quoi attribuer la cause d'un évènement ? En histoire, la question a tendance à se poser ainsi : A qui attribuer la cause d'un évènement ? -du moins, dans certaines conceptions de l'histoire, qu'on qualifie communément d'"évènementielle" ou de "politique".
Je crois que la thèse du complot est une manière de répondre à cette question, d'attribuer une cause "humaine" identifiable à des évènements dont les causes "réelles" se perdent dans l'enchainement contingent des causes et des conséquences dont se nourrit la vie sociale.

Mais il me semble que "le comploteur", c'est aussi souvent celui qui échoue dans son action, non ? Je me dis que si Napoleon avait échoué lors du 18 Brumaire, il aurait sans doute été appelé "comploteur" par les historiens ultérieurs -et par ses contemporains, d'ailleurs, sans doute !


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Message Publié : 26 Nov 2006 0:33 
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Plutarque
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Localisation : Paris et Toulouse
Non, je crois que le complot relève de la pratique cryptée.

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Message Publié : 27 Nov 2006 9:53 
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Salluste
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Inscription : 02 Juil 2006 20:33
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Localisation : Nalanda Monastery, France
Depuis Platon, la vérité qui se cache "derrière" ou "au dessous" des choses est un grand souci. On a le souci des profondeurs, pensant toujours qu'il y a quelques vérités "derrière" les choses : c'est le dualisme sujet / objet, subjectif / objectif et dans la sphère du politique, ça donne officieux / officiel.

N'est-ce pas ça, en vérité, le model de la théorie du complot ?

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« Suffering also has its worth. Through sorrow, pride is driven out, and pity felt for those who wander in samsara; Evil is avoided, goodness seems delightful. »

Shantideva


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 Sujet du message : Re: Histoire et complot
Message Publié : 16 Oct 2008 10:04 
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Inscription : 10 Avr 2002 17:08
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Localisation : Paris
La théorie du complot se porte toujours bien comme en atteste la parution d'un livre de Franck Ferrand (chroniqueur à Europe 1) au titre on ne peut plus racoleur:

Image

Présentation affligeante d'autocélébration de l'éditeur:

Citer :
ALÉSIA n’est pas en Bourgogne, mais dans le Jura. JEANNE d’ARC était manipulée à son insu. CORNEILLE a rédigé les pièces de MOLIÈRE. NAPOLÉON n’est pas dans le tombeau des Invalides. L’AFFAIRE DREYFUS en cachait sans doute une autre.Ces vérités historiques – pourtant démontrées – sont niées en bloc par le monde universitaire et médiatique. Il fallait, pour les clamer haut et fort, la passion contagieuse de FRANCK FERRAND. « Le présent ouvrage va me faire des ennemis, écrit l’auteur, m’attirer la condescendance des mandarins et peut-être, me créer des ennuis. On ne s’attaque pas impunément à certains bastions… Cependant j’assume les inconvénients de cette entreprise, et d’autant plus volontiers que j’ai le sentiment, en bravant quelques interdits, d’oeuvrer à l’avancée de la seule cause qui vaille pour un homme dont l’existence est vouée à l’histoire événementielle : le lent progrès – l’inexorable progrès – de la vérité. »


Le Figaro littéraire a eu la bonne idée d'interroger Jacques Le Goff à propos de ce genre littéraire dont la vigueur ne se dément pas:

Citer :
LE FIGARO LITTÉRAIRE. - Comment se fait-il que des idées fausses continuent de circuler au sujet de certains événements alors que les travaux historiques ont établi les faits ? L'historien n'est-il pas concurrencé par le fabuliste ?

Jacques LE GOFF. - Il en a toujours été ainsi. Il faut savoir que, jusqu'à la Révolution française, l'histoire n'était enseignée ni dans les écoles secondaires ni à l'université. Et qu'au XIXe siècle les mythes et légendes couraient plus facilement qu'aujourd'hui. L'imagination avait plus de pouvoir autrefois. Depuis toujours les hommes aiment qu'on leur raconte des histoires. Malgré les progrès de la connaissance, il y a des thèmes qui ont la vie dure. On dit que l'histoire a toujours été un roman. Le public souhaite que l'histoire soit un bon roman.

Les idées reçues perdurent même quand le travail des historiens les a battues en brèche ?

Bien sûr. Alors que depuis près d'un siècle de grands historiens comme Marc Bloch ou Georges Duby ont montré que le Moyen Âge n'était pas une période noire, on continue de rabâcher le thème de la « barbarie du Moyen Âge ». Ce ne sont pas seulement des ignares qui véhiculent cette idée mais aussi des gens savants, récemment Alain Minc ou ­Jacques Attali. Parce que la religion y était déterminante, on en fait un moment obscur de l'histoire humaine alors que nous savons que le Moyen Âge, pendant lequel se sont érigées les cathédrales, a été une période brillante, créatrice. Et même il faut oser le dire : une période de progrès.

Parmi les fables concernant le Moyen Âge, il y a celle qui raconte que Jeanne d'Arc ne serait pas morte brûlée à Rouen…

Jeanne d'Arc est le personnage du Moyen Âge sur lequel nous sommes le mieux renseignés. Et pourtant c'est elle qui a suscité le plus de légendes et d'idées fausses ! Au XVe siècle, quand une personne de grande popularité disparaissait dans des circonstances exceptionnelles, on avait tendance à ne pas croire à sa mort. Il arrivait que des individus en quête de destin tentent de se faire passer pour le défunt. Cela a été le cas de Claude des Armoises après la mort de la Pucelle. Mais que l'on continue de nourrir ce genre de doute est scandaleux. On peut s'étonner qu'une chaîne comme Arte ait récemment fait écho à ces fantaisies (1). Colette Beaune, qui a consacré le meilleur livre qui soit à Jeanne d'Arc (voir ci-dessous), explique ce qu'il en est. Nous sommes sûrs que Jeanne d'Arc a été brûlée par les Anglais à Rouen. Nous savons que, contrairement à la légende, elle était une paysanne aisée et non une bergère. Ce que nous ne connaîtrons jamais, c'est la nature des voix qu'elle a cru entendre.

Existe-t-il des grands personnages sur lesquels planent encore d'importants mystères ?

Oui, sur Charlemagne par exemple, on ne sait pas grand-chose. Curieusement on alimente plus de mystères sur les personnages que l'on connaît bien - c'est le cas avec Napoléon dont on sait avec certitude qu'il est mort d'un cancer en 1821 et non empoisonné à l'arsenic comme certains l'ont prétendu - que sur d'autres dont la biographie est évanescente. Peut-être parce qu'avec les personnages qui nous fascinent on ne se satisfait pas de la réalité, une fois qu'on l'a établie. On préfère continuer à imaginer…

Une véritable obsession s'attache à certains phénomènes, celui des Cathares par exemple. Est-ce parce qu'ils nourrissent la fantasmagorie ?

Je pense avoir été l'un des premiers à montrer l'importance de l'imaginaire dans l'histoire. L'historien a pour mission de se fonder sur des documents authentiques mais les fantasmes collectifs font aussi partie de l'histoire. Nul doute que l'imaginaire joue un grand rôle au sujet des cathares dont on a exagéré le nombre et l'importance. Des historiens spécialisés ont amplifié le phénomène. Certains cathares ont été traités de façon cruelle, mais les cathares brûlés sont moins nombreux qu'on ne l'a dit. Quand je vois ce que nous savons de leurs idées je me félicite, non qu'ils aient été maltraités - la création par l'Église de l'Inquisition fut une chose infâme - mais qu'ils aient été vaincus. S'ils avaient triomphé, ce qui aurait triomphé avec eux, c'est un christianisme violent et rigide, en quelque sorte terroriste. Ils voulaient exiger de tous les chrétiens qu'ils abolissent le plaisir. C'était des talibans en puissance.

Des croisades à Napoléon, l'histoire semble être devenue un enjeu politique. La recherche est-elle menacée par l'idéologie ?

Le métier de l'historien est de comprendre le système de valeurs de la période qu'il étudie et non de juger les hommes de ce temps. Personnellement, je n'aime pas juger. Je me souviens de la phrase de saint Paul : « Ne jugez pas. » Mais il faut expliquer, et pour cela connaître la sensibilité des hommes et des femmes de l'époque concernée. C'est pourquoi il faut étudier l'histoire dans son intégralité. L'histoire événementielle d'une période est inséparable de l'art et de la littérature. Qu'est-ce que le Moyen Âge sans La Chanson de Roland ou le roman arthurien ? Par ailleurs je suis persuadé que l'histoire a fait de gros progrès vers l'objectivité, même si elle ne pourra jamais échapper à la subjectivité des historiens et à l'esprit systématique des idéologues. Ce n'est pas une science exacte mais c'est une science dont les méthodes d'investigation sont faites pour aboutir à la vérité et à l'authenticité.

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"Il est plus beau d'éclairer que de briller" (Thomas d'Aquin).


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