Commencer à Porphyre, c'est commencer bien tard. C'est <très> délicat, comme sujet.
Bien avant cette "ouverture" par Porphyre et avant la querelle à laquelle répondent les nominalistes, il y a le conflit d'entre l'existentialisme et l'idéalisme. Je veux signifier entre Socrate et Platon (Platon et son engeance dont Aristote fait partie).
Je caricature.
Socrate .- Connais toi toi-même ; tout ce que je sais, c'est que je ne sais rien ; j'interroge mes interlocuteurs, les faisant accoucher de leurs idées ; leurs idées accouchées, ils jugent eux-même de la légitimités de celles-ci ; l'essentiel c'est ce renvoi à soi-même ; et ce broyeur de l'interrogation ; je procède en ne résolvant pas ; ce qui reste, tout passé au broyeur de l'interrogation, c'est la subjectivité déchirée (soi-même et son courage, sa vertu, son angoisse, son désespoir, sa crainte et son tremblement, sa nausée) ; ce qui reste, c’est le « je suis une question » ; il n'y a pas de concept d'existence, ni de concept d'ironie, ni l'un ni l'autre n'est réductible, etc. Connais-toi toi-même (bis) ; le message est indissociable de l'existence du messager.
Platon .- Mais non, malheureux. Tes sens sont trompeurs, tu ne peux pas te rapporter à toi-même ; plaçons le centre de nos soucis en dehors de l'individu ; faisons de l'individu un sujet à disséquer ; faisons de notre soucis l'objectivité froide ; pensons carrés ; pensons en géomètres ; accrochons-nous aux lignes droites qu'on aura tracées sur la feuille de l'existence ; spéculons ; vos sens sont trompeurs, la Vérité vous échappe (vous ne saisissez pas le vrai qu’il y a « derrière » les choses) mais je sais comment la trouver ; le politique me dit comment puisque c'est lui que je sers - même si je ne suis pas roi, je suis philosophe ; le politique, lui-même oligarchique, me dicte les universaux dont je vais vous parler, ouvrez votre bouche que je vous donne ce pain Vrai.
Il est très difficile de "penser l'objectivité" (pensée la réalité des objets, la réalité extérieure) sans tomber en même temps dans le schéma platonicien qui persiste à travers des figures telles qu'Aristote et les scolastiques (c'est-à-dire aussi la plupart des théologiens catholiques en tous cas jusqu'à Luther), telles que Hegel etc. et telles que « le chirurgien de tous les chirurgiens » : Descartes, celui qui dissèque du mort. Cela dit, on peut "penser l'objectivité" sans considérer des universaux. Les universaux n'étaient - à peu près - que l'illustration du pouvoir politique en place. Le discours "Il y a des essences qui participent de chaque existant et qui les déterminent" pointe du doigt ce qu'il y a "derrière" la chose et que l'homme ne peut atteindre en tant que "ses sens sont trompeurs et qu'il n'a des choses que des idées". On peut aussi penser que ses sens sont trompeurs tout en pensant la particularité "mes sens sont trompeurs, je n'ai des choses que des idées, je n'ai pas accès aux choses mêmes qui sont singulières et que rien de pré-existant ne détermine". Ce schéma là a dépendu – dépend - du pouvoir en place (de la structure sociale…). Le pouvoir du temps de Platon a voulu des universaux.
Il y a d'autres courants qui y échappent à la conception d'universaux, ce sont les empiristes, les positivistes, les nominalistes, les structuralistes. Ne parlons pas des existentialistes car en "principe" leur(s) souci(s) n'est pas là et tout ceci n'est que spéculation desquelles ils préfèrent se soustraire. (moi-même je préfèrerais presque mais d'un autre côté, j'aime causer et comme disait Brel "je préfère me tromper que me taire").
L'empiriste .- Les choses sont telles que j'en fais l'expérience. Il n'y a que du particulier.
Le nominaliste .- La science n'étudie pas les choses mais les mots (génériques) qui les désignent. Le concept de chien ne mord pas (Frege), Ceci n’est pas une pipe (Magritte), Alice fatiguée : Pouvez-vous arrêter une minute ? / Je ne peux pas arrêter une minute, le temps va trop vite (Carroll) – voyez les tares du langage (et, par extension, de la logique).
Les soucis carrolliens et le nominalisme ne sont pas non plus inconnus du mouvement surréalistes qui va "bosser" contre les universaux.
Tout ceci est bien entre-mêlé, c'est un sac de nœuds tissé de nuances et de circonstances politiques, historiques (bref, structurelles) et il faudrait bien plus qu’un forum pour apporter la lumière.
J'ai dit bien peu et j'ai trop dit.
_________________ « Suffering also has its worth. Through sorrow, pride is driven out, and pity felt for those who wander in samsara; Evil is avoided, goodness seems delightful. »
Shantideva
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