A la lecture récente d'une biographie de Lyautey, cette information : une de ses premières décisions a été d'inscire aux Monuments de France le centre ancien des grandes villes marocaines, pour leur éviter le sort de Casablanca, où les constructions nouvelles se faisaient de façon anarchique. Cette inscription impliquait par la la suite l'autorisation des Monuments de France pour toute construction nouvelle ou aménagement dans ces quartiers anciens.
Maintenue après le départ de Lyautey - la règle était acquise - cette décision a évité que la modernisation des villes marocaines se fasse au détriment de leur patrimoine architectural ancien.
On voit bien que la colonisation ne s'est pas faite partout selon les mêmes modalités. L'auteur insiste sur le fait que le Maroc de l'époque constituait déjà un Etat, certes un peu anarchique, mais avec une administration traditionnelle et des cadres constitués. Toutes choses impossibles à balayer sans provoquer un soulèvement général.
La colonisation a été plus brutale là où elle n'a pas trouvé de relais d'autorité déjà en place, et trop solides pour qu'on les néglige.
Il me semble que l'histoire coloniale est un sujet passionnel dans tous les cas où elle a balayé les cadres existants ou imposé un cadre là où il n'existait pas. D'autant plus que ces pays ont très logiquement l'impression que les structures actuelles restent celles de la colonisation - forcément - quand bien même elles seraient tenues depuis l'indépendance par des responsables nouveaux.
Dans la balance des influences culturelles, il est important de souligner cette exportation d'un modèle administratif - et politique - de référence, européen, que bon nombre de pays ont aujourd'hui du mal à modifier, adapter ou remettre en cause, faute d'autre schéma disponible.
Il y a là matière à réflexion prospective pour bon nombre de pays anciennement colonisés. Or il me semble que très peu d'entre eux ont réellement ouvert ce chantier, et que beaucoup s'en tiennent à un discours récurrent sur le néo-colonialisme. (Cela conduit à vivre encore aujourd'hui la relation avec l'ancienne puissance coloniale sur le mode de la revendication ou de la fatalité, et ne contribue sûrement pas à dépassionner les relations et la lecture de l'histoire)
Les seuls à avoir fait sauter ce cadre sont ceux qu'une décolonisation violente a poussé vers le contre-modèle communiste : l'Algérie et le Vietnam. Ceux-là sont par la force des choses amenés à faire évoluer leurs pratiques. Par contre ils sont affligés de structures post-communistes dont le fonctionnement est quasiment féodal (ça fonctionne par fiefs) et qui sont très difficiles à modifier.
Au total, on a des pays qui n'ont pas eu l'occasion historique de se demander : quelle forme d'organisation des pouvoirs (politique, économique, administratif) serait la meilleure pour nous ?
C'est peut-être justement dans l'histoire coloniale qu'ils peuvent trouver matière à éclairage : qu'est-ce qui a réussi ? Qu'est-ce qui n'a jamais pris et jamais marché ? Quelles structures plus anciennes ont été balayées à tort ? Tout un inventaire qui permettrait à chaque nation de se réapproprier sa capacité d'évolution, plutôt que de rester dans une plainte éternelle sur le colonialisme, le néo-colonialisme, et maintenant la mondialisation.
Je me dis en l'écrivant qu'un tel travail ne ferait pas de mal à la société française,
où ce discours victimaire - mondialisation, OMC, ultralibéralisme - devient pénible, surtout quand on voit quelles levées de boucliers provoque toute idée de réorganisation des pouvoirs. Il faudra pourtant bien y venir, si on veut remettre une capacité d'action dans ce fouillis administratif qu'est devenu la décentralisation. (ce sujet est abordé dans le forum géopolitique) En France comme ailleurs, je trouve que la mondialisation a bon dos...