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 Sujet du message : Décès de Jean-Pierre Vernant
Message Publié : 15 Avr 2007 4:51 
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Sujet restitué (janvier 2007)
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Alfred Teckel
PARIS (AFP) - Le philosophe et historien, Jean-Pierre Vernant, héros de la Résistance et l'un des grands spécialistes mondiaux de l'antiquité grecque est mort mardi à l'âge de 93 ans, a-t-on appris mercredi auprès de sa famille.

Né le 4 janvier 1914 à Provins (Seine-et-Marne), orphelin à 8 ans, il suit des études de philosophie et devient cacique de l'agrégation dans cette discipline en 1937.

Décrit par Claude Levi-Strauss comme "un frère en mythologie", ce professeur honoraire au Collège de France et agrégé de philosophie, Compagnon de la Libération, s'est imposé dès son premier ouvrage, "Les origines de la pensée grecque" (1962), comme un des interprètes les plus novateurs de la mythologie grecque. Celle-ci incarne "le goût de la liberté et du débat intellectuel qui rendent la vie plus belle", confiait-il à l'Express en 2003.

Défenseur de l'enseignement du grec, qui "ne sert à rien sauf à fabriquer le cerveau, à composer ce qui s'appelle la culture", Vernant a établi de nombreux ponts entre la Grèce antique et la société contemporaine, en explorant les mécanismes qui ont conduit à la naissance concomitante de la pensée moderne, de la politique et de la démocratie.

Jeune militant antifasciste entré dans les Jeunesses communistes alors qu'il n'a pas 20 ans, il est des bagarres dans le Quartier latin contre les tenants de l'Action française.

Démobilisé à Narbonne en 1940, il devient professeur à Toulouse, où il se lie avec Ignace Meyerson (1888-1983), fondateur de la "psychologie historique" dont il a suivi le cours à la Sorbonne, et par lequel il rejoint la Résistance.

Début 1942, il entre dans le réseau Libération-Sud, fondé par Emmanuel d'Astier de la Vigerie, avant de commander les Forces françaises de l'intérieur de Haute-Garonne sous le pseudonyme du "colonel Berthier".

Après la guerre, ce "fervent champion de la variété" (selon l'expression de son ami Pierre Vidal-Naquet) qui restera membre du PCF jusqu'en 1970 tout en ne ménageant pas ses critiques, s'aménage un espace de liberté dans l'étude de la Grèce ancienne.

Commence une longue carrière de chercheur: attaché, puis chargé de recherches au CNRS, il est ensuite directeur d'études à l'Ecole pratique des hautes études de 1958 à 1975. Deux ans après la publication de son premier livre, il fonde le Centre de recherches comparées sur les sociétés anciennes.

De 1975 à 1984, il est professeur au Collège de France, titulaire de la chaire des études comparées des religions antiques.

Artisan de plusieurs ouvrages collectifs, Vernant a notamment publié "Mythe et pensée ches les Grecs" (1965, Maspero), "Mythe et société en Grèce ancienne" (1974, Maspero), "La Mort dans les yeux. Figure de l'autre en Grèce ancienne" (1985, Hachette) ou encore "L'Individu, l'amour, la mort" (1989, Gallimard).

Publié au Seuil, "Entre mythe et politique" (1996) est un ensemble de textes qui retrace son double parcours de militant et de chercheur.

"La mythologie affirme l'idée qu'il n'est pas de problème qui ne puisse être résolu par l'enquête intellectuelle et le débat culturel", affirmait celui que tous décrivent comme un homme chaleureux et modeste.

Embrassant la Grèce ancienne et le XXe siècle autour des notions d'engagement, de mémoire et de mort héroïque, son dernier ouvrage, "La traversée des frontières" (2004, Le Seuil) aborde les difficultés qu'a l'historien à aborder "avec le détachement nécessaire les faits passés qui imprègnent encore le souvenir des contemporains".

Il était membre du comité de parrainage de la Coordination française pour la Décennie de la culture de paix et de non-violence. Il soutient, depuis sa création en 2001, le fonds associatif Non-Violence XXI.

Léo
Oui il y a tout une serie d'hommages programmés sur France culture, un programme est disponible ici : http://www.radiofrance.fr/chaines/franc ... 7/vernant/
C'est drôle juste avant de lire l'annonce du décès de JP. Vernant sur le forum, j'apprenais la citation suivante à propos de la mort héroïque chez les grecs :
Citer :
La mémoire collective fonctionne comme une institution assurant à certains individus le privilège de leur survie dans le statut de mort glorieux.

Comme quoi il est possible de trouver une grande actualité dans l'étude de la Grèce antique.

Rapentat
" Pour être soi, il faut se projeter vers ce qui est étranger, se prolonger dans et par lui. Demeurer enclos dans son identité, c'est se perdre et cesser d'être. On se connaît, on se construit par le contact, l'échange, le commerce avec l'autre. Entre les rives du même et de l'autre, l'homme est un pont "
Jean-Pierre Vernant (La traversée des frontières)

Verchinine
Il reste Madeleine Jost, Pauline Schmitt-Pantel et Louise Bruit-Zaidman.

Alfred Teckel
Et n'oubliez pas Jacqueline de Romilly malheureux! Même si ce n'est pas un historienne à proprement parler, elle a tellement fait pour les études hellénistes.


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Tous les désespoirs sont permis


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Message Publié : 15 Sep 2007 17:01 
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Les éditions du Seuil annoncent pour début octobre la sortie dans la nouvelle collection Opus (équivalent de Bouquins ou Quarto Gallimard) la parution de deux volumes sous coffret d'Oeuvres de JP Vernant.

Je n'ai pas encore plus de détails quant au contenu exact de ces recueils, qui devraient logiquement reprendre les ouvrages déjà disponibles au Seuil.

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"Il est plus beau d'éclairer que de briller" (Thomas d'Aquin).


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Message Publié : 15 Sep 2007 17:19 
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Grégoire de Tours
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Voici le détail de ces volumes (proposés en souscription par Le Grand Livre du Mois/ Club Histoire et qui ont pris un léger retard) :

Le coffret de deux volumes s'intitule Religions - Rationalités - Politiques
Volume 1 (1200 pages):
- l'Univers, les dieux, les hommes
- les Origines de la pensée grecque
- Mythe et pensée chez les Grecs
- Mythe et société en Grèce ancienne
- Mythes grecs au figuré
- Mythe et religion en Grèce ancienne
- Divination et rationalité
- La Cuisine du sacrifice en pays grec
- Les Ruses de l'intelligence
- Mythe et tragédie en Grèce ancienne
- La Grèce ancienne III - Artémis et le sacrifice préliminaire au combat

Volume 2 (1200 pages) :
- L'Individu, la mort, l'amour
- La Mort dans les yeux
- Problèmes de la guerre en Grèce ancienne
- Figures, idoles, masques
- Dans l'oeil du miroir
- Religions, histoire, raisons
- Les Langues du paradis
- Entre mythe et politique
- La Traversée des frontières

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Ad augusta per angusta
"Nul n'est plus esclave que celui qui se croit libre sans l'être..." Goethe


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Message Publié : 15 Sep 2007 17:24 
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Très intéressant. Cela s'apparente quasiment à des oeuvres complètes. Il y a là aussi bien les livres publiés au Seuil qu'à la Découverte, aux Puf et chez Gallimard.

Vraiment alléchant. Le coffret (au Seuil) est annoncé à 69 euros.

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Message Publié : 17 Sep 2007 20:32 
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Grégoire de Tours
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Ce n'est vraiment pas cher, mais pour certains ouvrages, il n'a qu'une toute petite participation (en quantité, pas en qualité) : Dans l'Oeil du miroir, par exemple, est de Frontisi-Ducroux, Vernant n'en a écrit que la préface et la conclusion (au demeurant deux passionnantes études sur Ulysse et Pénélope, en regard l'un de l'autre).
J'espère que les éditions Seuil auront la courtoisie et l'honnêteté de citer les noms des autres auteurs qui ont travaillé avec Vernant !

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Ne parlez jamais sèchement à un Numide.


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Message Publié : 11 Oct 2007 13:30 
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La présentation de l'éditeur des Oeuvres de Vernant, en librairie la semaine prochaine:

Image

Citer :

En mai 2006, ce grand savant, qui était aussi un merveilleux conteur, décida de rassembler aux Éditions du Seuil ses oeuvres publiées chez différents éditeurs.

C'est au cours d'échanges avec Maurice Olender que Jean-Pierre Vernant élabora le contenu du projet en dressant l'ordre du sommaire.

Religions, Rationalités, Politique contient L'Univers, les Dieux, les Hommes ; Les Origines de la pensée grecque ; Mythe et pensée chez les Grecs ; Mythe et société en Grèce ancienne ; Mythe et religion en Grèce ancienne ; L'Individu, la Mort, l'Amour ; La Mort dans les yeux ; Religions, histoire, raisons ; Entre mythe et politique et La Traversée des frontières mais aussi les écrits issus d'ouvrages collectifs, notamment Mythe et tragédie en Grèce ancienne et Les Ruses de l'intelligence. La mètis des grecs.

Plusieurs index – index des notions et figures mythiques, index des noms anciens, index des noms d'auteurs modernes – viennent compléter cet ouvrage de référence.

Professeur au Collège de France, anthropologue et helléniste, Jean-Pierre Vernant (1914-2007) a renouvelé notre compréhension des mythes et des religions. Militant antifasciste, résistant de la première heure, Vernant a traversé son siècle sans jamais cesser de le scruter, reliant constamment
engagement et réflexion, passé et présent.

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Dernière édition par Florian le 13 Oct 2007 17:59, édité 1 fois.

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Message Publié : 13 Oct 2007 15:40 
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Autour des œuvres de Jean-Pierre Vernant et de Pierre Vidal-Naquet: deux journées d'études à l'INHA les 19 et 20 octobre 2007:

Citer :
Vendredi 19 octobre 2007

9h30-9h40 Ouverture : François de Polignac

Matinée : Temps, politique, histoire ou l’historien et le temps
Modérateurs : Pauline Schmitt Pantel et John Scheid

9h40-9h55 Catherine Goblot-Cahen, Archê eis to méson : vers la démocratie ?

9h55-10h10 Saber Mansouri, Pierre Vidal-Naquet "que donc je suis" : Athènes, la Shoah et Alger.

10h10-10h25 Claude Mossé, Pierre Vidal-Naquet et la lecture des historiens de l’Antiquité

10h25-10h40 Evelyne Scheid, Jean-Pierre Vernant et la dikè. Une définition de l’ordre juste.

Pause

11h-12h30 Discussion

Après-midi : Formes de l’imaginaire : mythes et image
Modérateurs : Stella Georgoudi et François Lissarrague

14h-14h25 Martine Denoyelle et Marie-Christine Villanueva-Puig, Pierre Vidal-Naquet et les « faiseurs d’images ».

14h25-14h40 Gabriella Pironti, Invitation au voyage. À propos d’Hestia-Hermès.

14h40-14h55 Nina Strawczynski, L’image : entre le kolossos et la mimésis.

14h55-15h10 Valérie Huet, Un regard « romain » sur quelques fragments de l’oeuvre de Jean-Pierre Vernant : images et religions.

Pause

15h30-17h Discussion

17h-19h Cocktail, salle Warburg
Samedi 20 octobre 2007

Matinée : Frontières et passage
Modérateurs : Françoise Frontisi et Bernard Vitrac (sous réserve)

9h30-9h45 David Bouvier, Jean-Pierre Vernant et Pierre Vidal-Naquet, lecteurs d’Homère

9h45-10h Sophie Lalanne, Pierre Vidal-Naquet et les chasseresses noires

10h-10h15 François de Polignac, Le concept de marge et de passage chez Jean-Pierre Vernant et Pierre Vidal-Naquet : vue comparée

Pause

10h30-12h15 Discussion

Après-midi : Méthode et comparaison
Modérateurs : Jean-Michel Carrié et Christian Jacob

14h-14h15 Marcello Carastro, La Grèce à l’épreuve de l’enquête comparative : réflexions sur l’usage et les fonctions du comparatisme dans les travaux de Jean-Pierre Vernant

14h15-14h30 Catherine Darbo-Peschanski, Etre soi-même en relation avec l’autre. Les perspectives de l’étude de la psychologie des Grecs selon Jean-Pierre Vernant.

14h30-14h45 Florence Dupont, Redécouvir la tragédie romaine depuis Mythe et tragédie.

14h45-15h Barbara Kowalzig, Le Centre Gernet – Entre imaginaire et expérience

Pause

15h15-17h Discussion


http://www.inha.fr/spip.php?article1592

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 Sujet du message : Jean-Pierre Vernant
Message Publié : 03 Jan 2008 4:57 
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Thucydide
Thucydide

Inscription : 14 Déc 2007 16:20
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Le 9 janvier, cela fera un an déjà que Jean-Pierre Vernant que je croyais éternel nous a quitté … Que j’en parle aujourd’hui est une coïncidence : J’étais partie pour acheter Dans l’œil du miroir – et - émerveillement : je suis tombée sur ce coffret des œuvres de Vernant – celui-là même dont vous faites état ci-dessus –. J’ai donc fait l’affaire du siècle : presque tout Vernant (2340 pages !) pour 65 et quelques euros avec la réduc enseignant. Les éditions du Seuil – en dépit de leur utilisation, hélas ! de papier bible, sont des bienfaiteurs de l’humanité (même si, paradoxe - de ces œuvres presque complètes, elles ont justement retranché Dans l’œil du miroir – je vais y revenir plus bas …).

Je pensais qu’étant donné la date de la parution de ce coffret (octobre 2007) il s’agissait d’un pieux travail de compilation effectué par des tiers. Vernant n’avait-il pas dit lui-même quelques années avant, lors de la parution de la Traversée des frontières, qu’il était arrivé « à un âge où il ferait bien de la fermer ». Eh bien, non, c’est J-P Vernant, qui, tel Ulysse « en personne », a tout organisé : il y a travaillé entre le printemps 2006 et le mois de décembre. Quelques jours avant Noël il a eu, paraît-il, en main la couverture des volumes portant le titre qu’il avait choisi. Il avait longuement parlé avec le directeur de la collection, Maurice Olender de la préface qu’il voulait écrire mais n’a pas eu le temps de rédiger. A défaut de celle-ci, Olender, après quelques lignes d’introduction, a repris un texte de JP Vernant publié en 1991.

C’est un véritable instrument de travail :– chose devenue fort rare en ce siècle de fer - du fait de la présence de véritables index :
- il y a un index très complet des noms anciens, notamment des écrivains
- l’index des noms modernes ouvre des horizons intéressants sur l’historiographie : certains font référence, comme par exemple Foucault ou Derrida. On y trouve des renseignements sur des gens qu’on ne penserait pas y trouver. J’ai fait un test : un historien que j’abhorre et ai toujours considéré tant sur le plan humain que sur le plan intellectuel comme une véritable enflure – et bien son nom s’y trouve bien qu’il ne se soit jamais préoccupé d’antiquité grecque (et on apprend même qu’il a fait quelque chose de bien : signer une pétition sur je ne sais plus quoi aux côtés de J-P. Vernant). Même chose pour un historien pour qui j’ai une grande admiration mais qui à ma connaissance ne s’est jamais occupé non plus d’histoire grecque : son nom y figure également dans un combat qui l’a rapproché de ceux menés par Jean-Pierre Vernant. Bref, ce dernier « ratisse large » et sa vaste culture permet des rapprochements extrêmement fructueux à travers les siècles et les disciplines. Il nous fait « traverser les Frontières », toutes les frontières (voir le très beau texte qu’a cité Rapenat dans ce fil).
- Ce qui m’a paru extrêmement précieux, c’est ce qu’il appelle « notions et figures mythologiques ». Ne nous y trompons pas, ces « notions » recoupent nos préoccupations les plus actuelles (en tout cas les miennes) : « travail », « nature », « mythes », « mémoire » : tout cela nous aide dans notre réflexion sur l’histoire et sur notre propre insertion en elle. En effet, la perspective de Vernant est résolument « comparatiste » comme il dit, ce qui élargit singulièrement nos horizons. Il s’en explique de façon très simple dans Vacarme 07 (http://www.vacarme.eu.org/article92.html) dans un entretien intitulé « l’autre invraisemblable ».

Il y a cependant deux ouvrages qui ne sont pas dans ce coffret et que j’aurais voulu y trouver :
- Dans l’œil du Miroir (contrairement à la liste d’ouvrages primitivement prévue pour ce coffret et dont la liste figure dans un des posts que vous avez donnés). Il faut donc débourser 22,11 euros de plus pour s’en rendre propriétaire. Seul le premier et le dernier chapitre sont de Jean-Pierre Vernant, le reste étant de Françoise Frontisi-Ducroux. C’est un livre de 1997 mais réimprimé depuis, aux éditions Odile Jacob.
Dans un autre fil, Aspasie mineure a très bien parlé de ce livre et m’a donné envie de le lire. Il est très riche (je n’ai lu pour le moment que les chapitres de Vernant). Il y a toutes ces évocations du texte d’Homère (j’ai autrefois sué sur certaines traductions, un œil sur la page d’en face du Budé). Mais ce qui m’a particulièrement intéressée c’est cette étude de la reconquête par quelqu’un qui a beaucoup vécu, qui a beaucoup erré, de sa propre identité – identité personnelle et identité retrouvée dans l’enracinement dans l’histoire de sa propre cité.
Au risque de décourager l’éventuel lecteur de ce message, je fais un copié-collé des 3 passages qui me paraissent essentiels.

« Perdre son identité, n'être plus personne, cela veut dire, pour un Grec de l'époque archaïque, que se sont effacés les repères conférant à un individu dans sa singularité le statut d'être humain: son nom, sa terre, ses parents, sa lignée, son passé, sa gloire éventuelle. Quand ces marques s'estompent ou se brouillent, tout mortel, si grand soit-il, cesse d'être lui-même. Sans lieu fixe où s'enraciner dans la vie présente, sans tradition d'autrefois où se rattacher, il n'y a• plus de place qui lui soit assignable dans le monde des « mangeurs de pain ». Sa figure, son nom, sa mémoire disparaissent engloutis dans la même Nuit où sombrent, aussitôt descendus dans l'Hadès, tous ceux qui ne laissent derrière eux nulle trace, nul souvenir de ce qu'ils furent vivants. Effacés, leurs fantômes se perdent dans la foule indistincte des morts sans visage, son nom, sans remembrance ; ils forment la masse de ceux qu'Hésiode, pour les opposer aux héros brillants, appelle nonumnoi, les « sans-nom » ». (p. 40-41)

« Par décision divine la situation enfin se débloque. Sur l'esquif qu'il a lui-même construit, Ulysse va reprendre la mer. Il n'est pas au bout de ses peines, mais quand il met le pied en terre phéacienne, chez ces « passeurs » situés entre deux mondes, il entame un cheminement qui, le ramenant au pays des hommes, jusque dans son palais d'Ithaque, le fait par étapes redevenir lui-même. Redevenir lui-même à travers le regard de ceux qui, tour à tour, seront conduits à reconnaître dans l'affreux mendiant en haillons Ulysse en personne. Mais c'est au miroir des yeux de Pénélope, quand ils lui renvoient, intacte, sa propre image qu'Ulysse reconquiert pleinement son identité héroïque et se retrouve à la place qui lui convient, comme époux, père et roi ». (p. 50).

« Il n'y a pas de miroir dans l'épopée. Ni Héra, s'apprêtant, dans l'Iliade, à séduire Zeus avec l'aide d'Aphrodite, ni Hélène, ni Circé, ni Calypso, ni Nausicaa, ni Pénélope, dans l'Odyssée, ne sont jamais montrées un miroir à la main. Elles chantent, elles tissent, elles filent seulement. C'est Pénélope, partenaire égal d'un lien amoureux où l'échange est réciproque des regards, des paroles, des souvenirs, des caresses, c'est Pénélope qui renvoie à son époux l'image de l'homme qu'il est redevenu quand faisant retour à Ithaque pour la rejoindre, il découvre en elle, au miroir de ses yeux et de son passé, qu'il est bien et toujours lui-même : Ulysse en personne. (p. 285) ».


Il y a aussi dans ce livre l’étude de la conscience de soi différente qu’ont les hommes et les femmes dans la Grèce archaïque (étude associée à celle de l’utilisation du miroir - ou de son absence d'utilisation - par l’un et l’autre sexe).


Un autre livre qui ne se trouve pas dans le coffret, c’est Pandora, la première femme, Bayard Centurion, Essais, septembre 2006. J’étais inconsolable mais j’en ai trouvé trace sur Internet : la présentation de ce livre dit qu’il s’agit de la reprise d’une conférence donnée à la BNF en 2005. Cette conférence se trouve à http://www.ac-grenoble.fr/lycee/diois/L ... eFemme.htm

On a donc la voix de Jean-Pierre Vernant qui n’est pas celle d’un vieillard. On y trouve son aptitude à s’exprimer simplement tout en jouant de façon facétieuse sur les niveaux de langue. Un véritable régal.
Il y a par ailleurs aussi sur Internet la trace d’une autre conférence un peu antérieure avec manifestement le même texte : http://www.mfo.ac.uk/uk/publications_uk ... ant_uk.htm


Le point de départ est le texte d’Hésiode. Pan-dora est la première femme, le cadeau (doron) que tous (pan) les dieux ont fait aux êtres humains (« anthropoi » et pas seulement, je suppose « andrès » - donc à tous ?? les êtres humains). Cela débouche sur une réflexion sur les genres, sur le statut ambigu de l’humanité aussi (qui participe à la fois de la divinité et de l’animalité), sur le rayon divin qui vient illuminer de bonheur l'existence des hommes, sur le savoir -le rapport entre le Vrai et le Faux, la réalité et l'apparence, sur la mort. En Pandora se résume le bonheur et le malheur d'être un être humain.

Je suis surprise que cette conférence ait pu faire l’objet de tout un livre. Quelqu’un sait-il de qu’apporte le livre par rapport à la conférence ?

Encore deux choses qui nous éclairent en partie sur ce qui a fait courir Jean-Pierre Vernant :

- La phrase finale du directeur de collection du Seuil Maurice Olender :
« Un jour, au tout début de l’été 1990, où je tentais de comprendre ce qui l’unissait à tant d’amis différents, de générations diverses, venant d’horizons professionnels et d’univers quelquefois éloignés, Jean-Pierre Vernant a eu cette réponse simple, qui tenait en un seul mot ; « l’insoumission ».

- Et un passage où il se met en scène, dans les années 1970, racontant « des histoires » à son petit-fils :
"Il y a un quart de siècle, quand mon petit-fils était enfant et qu'il passait avec ma femme et moi ses vacances, une règle s'était établie entre nous aussi impérieuse que la toilette et les repas: chaque soir, quand l'heure était venue et que Julien se mettait au lit, je l'entendais m'appeler depuis sa chambre, souvent avec quelque impatience: «Jipé, l'histoire, l'histoire! ». J'allais m'asseoir auprès de lui et je lui racontais une légende grecque. Je puisais sans trop de mal dans le répertoire de mythes que je passais mon temps à analyser, décortiquer, comparer, interpréter pour essayer de les comprendre, mais que je lui transmettais autrement, tout de go, comme ça me venait, à la façon d'un conte de fées, sans autre souci que de suivre au cours de ma narration, du début à la fin, le fil du récit dans sa tension dramatique: il était une fois ... Julien, à l'écoute, paraissait heureux. Je l'étais, moi aussi. Je me réjouissais de lui livrer directement de bouche à oreille un peu de cet univers grec auquel je suis attaché et dont la survie en chacun de nous me semble, dans le monde d'aujourd'hui, plus que jamais nécessaire. Il me plaisait aussi que cet héritage lui parvienne oralement sur le mode de ce que Platon nomme des fables de nourrice, à la façon de ce qui passe d'une génération à la suivante en dehors de tout enseignement officiel, sans transiter par les livres, pour constituer un bagage de conduites et de savoirs «hors texte» : depuis les règles de la bienséance pour le parler et pour l'agir, les bonnes mœurs et, dans les techniques du corps, les styles de la marche, de la course, de la nage, du vélo, de l'escalade ...
Certes, il y avait beaucoup de naïveté à croire que je contribuais à maintenir en vie une tradition d'antiques légendes en leur prêtant chaque soir ma voix pour les raconter à un enfant. Mais c'était une époque, on s'en souvient - je parle des années soixante-dix -, où le mythe avait le vent en poupe. Après Dumézil et Lévi-Strauss, la fièvre des études mythologiques avait gagné un quarteron d'hellénistes qui s'étaient lancés avec moi dans l'exploration du monde légendaire de la Grèce ancienne".


- et pour finir, le nom de la discipline qu’il dit avoir « un peu fondée ici en France (car elle existait ailleurs) : l’ « Anthropologie historique du monde grec ancien ». Et il affirme qu’il est impossible de comprendre un sujet d’étude sans le comparer avec d’autres – et sans le comprendre avec d’autres (cf le texte repris ci-dessus par Rapentat).

_________________
"Si l'histoire peut servir à quelque chose, c'est à ouvrir les yeux" (Pierre Vidal-Naquet).

Ou encore : "Le travail historique n'est pas l'évocation d'un passé mort, mais une expérience vivante dans laquelle l'historien engage la vocation de sa propre destinée" (H.I. Marrou, cité paraît-il souvent par P. Vidal-Naquet).


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Message Publié : 28 Sep 2008 10:09 
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Un colloque intitulé Relire Jean-Pierre Vernant se tient à Paris du 9 au 11 octobre.

Citer :
Jean-Pierre Vernant n’a jamais séparé son action de citoyen engagé de sa réflexion scientifique. Une réflexion développée tout au long d’un parcours qui l’a vu successivement chargé de recherches au CNRS (1948-57), directeur d’études à l’EPHE, VIe Section (1957-68), puis Ve Section (1968-75), enfin professeur au Collège de France (1975-84).
Ce lien étroit entre sa façon de penser et son engagement politique a fortement marqué toute son œuvre, une œuvre riche, variée, poikilomorphe, associant constamment passé et présent. C’est à une relecture de cette œuvre que sera consacré le Colloque organisé par les Institutions qui ont constitué, pour Jean-Pierre Vernant, le cadre privilégié d’une réflexion comparatiste, d’un dialogue avec les autres, d’interrogations portant autant sur les cultures anciennes que sur le monde contemporain.

Relire Jean-Pierre Vernant, c’est revisiter cette production foisonnante d’une façon approfondie, réfléchie, sans faire l’économie d’une approche critique. C’est aussi appréhender l’impact que cette œuvre a eu, l’influence qu’elle a exercée aussi bien en France qu’à l’étranger. C’est encore essayer d’entrevoir, dans ses travaux, des thèmes qui y sont restés en herbe, des voies qui y sont à peine ouvertes. C’est enfin aller au-delà de ses écrits, poser certaines questions autrement, formuler d’autres interrogations et même proposer, dans certains cas, d’autres conclusions.


Le programme du colloque:

http://actualites.ehess.fr/download.php?id=639

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Message Publié : 01 Oct 2008 20:32 
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Il est mort ? 8-|

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L'histoire, c'est cool - Churchill
L'histoire, c'est tantôt du sucre glace, tantôt de la farine de blé - Citation perso


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