Comme vous y allez avec la pauvreté de l’histoire !
Une chose est certaine : il faut abandonner l’idée simpliste qu’une discipline en surpasse une autre par sa nature même.
Je préfère (en bon historien et en foucaldien du dimanche) chercher les lieux qu’habite le pouvoir et expliquer tout cela par des équilibres mis en place au fil du temps (on ne se refait pas : on est historien ou pas).
L’Histoire en France s’appuie sur le vaste socle de l’enseignement secondaire et sur l’impératif de formation du citoyen (but premier de son existence. Elle « sert » à ça). Cela a deux incidences : outre la surface institutionnelle que cela lui confère (budgets, nombre de postes, positions décisionnelles), cela provoque un écho chez tous les français qui savent à peu près de quoi on parle quand on prononce le mot « histoire ». Avec l’archéologie ou la numismatique, c’est déjà beaucoup moins certain. D’où l’existence d’un marché plus étendu, plus rentable, et une idéologie qui confère à l’histoire de l’importance pour le commun.
Tout cela (même si mon analyse est faite à truelle) donne à la discipline une masse critique qui attire des sciences plus jeunes et/ou moins fournies en personnels, écho populaire, marché.
Quant à la tentation de « vampirisation », elle trouve son origine – toujours selon moi, ce qui est tout de même bien relatif – dans le flirt prolongé de l’histoire avec la politique : l’histoire est le terreau principal de compréhension du fait politique en France, une école du politique (peut-être à cause de l’héritage lointain gréco-latin qu’il faut saisir par l’histoire pour s’en inspirer ensuite dans les praxis politiciennes). Cela donne un couple exogamique dans lequel l’histoire « fait un beau mariage » avec le politique et en retire de substantiels avantages : la possibilité de parler d’à peu près tous les sujets, une méthode généraliste caractérisée par son heuristique qualitative, une proximité de ses acteurs avec ceux qui exercent le pouvoir politique (quel homme public à responsabilité ne nous a pas gratifié de sa biographie historique ?), une place de premier plan dans l’enseignement.
A contrario, toute l’histoire de la philosophie se construit sur une tactique de prise de pouvoir interne : la philosophie forge elle-même ses outils pour subordonner les autres sciences (de l’homme ou du vivant) grâce au développement de l’épistémologie. Alors que l’histoire est rivée à une forme du discours marqué par le généralisme (pas de néologismes (il faut en rester à la langue de la cité ; encore une marque de l’importance du politique dans tout cela), compréhension aisée par l’honnête homme), la philosophie cadenasse un réseau étroit tissé de termes bien à elle qui donne au projet épistémologique sa cohérence (il ne faut pas sous-estimer la puissance de la désignation : celui qui connaît le nom maîtrise la chose) où la justification est puisée dans l’aspect systémique de la réflexion.
Entre ces deux pôles, les sciences auxiliaires sont marquées par la prégnance du concret dans leur développement (la numismatique est la science des pièces et médailles, la paléographie, celle de la chose écrite, l’archéologie, de la chose enfouie). Comme le montre assez bien Jean-Claude Beaune, ce qui relève du concret est toujours mésestimé au profit de ce qui tient de l’abstrait. Premier facteur d’infériorité des sciences auxiliaires.
Deuxièmement, j’aime à voir dans ces « techniques » une très nette trace de leur milieu d’origine : l’amateurisme. Ce n’est pas du tout péjoratif dans ma bouche, bien au contraire, mais cela l’est sûrement dans l’esprit de certains autres. L’objet antique exhumé naît dans le studiolo, le cabinet de curiosités. C’est un passe-temps pour gens fortunés et ça l’est resté en partie. Quel handicap dans notre société où l’on établit un fossé quasiment infranchissable entre l’amateur et le professionnel !
J’arrête là parce que je me rends à la relecture compte que je deviens difficile à suivre (une journée complète aux archives, ça vous use un homme
). J’espère que ces quelques lignes trouveront à être matière à débat.
Bien à vous