Je ne pense qu'il y ait de la repentance vis-à-vis de la conquête napoléonienne, ni que cela soit utilisé par les partisans de l'Europe. Il y a toujours du chauvinisme en France, c'est évident : Napoléon, Charlemagne, Clovis, Louis XIV... Mais est-ce vraiment de la mémoire ? Je suis peu convaincu du fait que l'épisode napoléonien conditionne à l'heure actuelle certains discours et certains comportements collectifs ou individuels.
En tout cas, pour dresser un autre parallèle à propos de ce débat, c'est beaucoup moins marqué que le retour à la mémoire de la croisade dans le monde arabe. Je cite ici A. Maalouf :
A. Maalouf, Les Croisades vues par les Arabes, Paris, Lattès, 1983, p. 303-304 a écrit :
A la veille du troisième millénaire, les responsables politiques et religieux du monde arabe se réfèrent constamment à Saladin, à la chute de Jérusalem et à sa reprise. Israël est assimilé, dans l’acception populaire comme dans certains discours officiels, à un nouvel État croisé. Des trois divisions de l’Armée de libération palestinienne, l’une porte encore le nom de Hittin et une autre celui d’Ain Jalout. Le président Nasser, du temps de sa gloire, était régulièrement comparé à Saladin qui, comme lui, avait réuni la Syrie et l’Égypte – et même le Yémen ! Quant à l’expédition de Suez de 1956, elle fut perçue, à l’égal de celle de 1191, comme une croisade menée par les Français et les Anglais. Il est vrai que les similitudes sont troublantes. Comment ne pas penser au président Sadate en écoutant Sibt Ibn al-Jawzi dénoncer, devant le peuple de Damas, la "trahison" du maître du Caire, al-Kamel, qui a osé reconnaître la souveraineté de l’ennemi sur la Ville sainte ? Comment distinguer le passé du présent quand il s’agit de la lutte entre Damas et Jérusalem pour le contrôle du Golan ou de la Bekaa ? Comment ne pas demeurer songeur en lisant les réflexions d’Oussama sur la supériorité militaire des envahisseurs ? Dans un monde musulman perpétuellement agressé, on ne peut empêcher l’émergence d’un sentiment de persécution, qui prend, chez certains fanatiques, la forme d’une dangereuse obsession : n’a-t-on pas vu, le 13 mai 1981, le Turc Mehemet Ali Agca tirer sur le pape après avoir expliqué dans une lettre : « J’ai décidé de tuer Jean-Paul II, commandant suprême des croisés.» Au-delà de cet acte individuel, il est clair que l’Orient arabe voit toujours dans l’Occident un ennemi naturel. Contre lui, tout acte hostile, qu’il soit politique, militaire ou pétrolier, n’est que revanche légitime. Et l’on ne peut douter que la cassure entre ces deux mondes date des croisades, ressenties par les Arabes, aujourd’hui encore, comme un viol.
On peut peut-être nuancer le propos d'Amin Maalouf, mais il a au moins le mérite d'ouvrir une nouvelle piste : l'histoire comme bouée de secours. Je dirais même : l'histoire comme paradigme holiste. Pour une situation donnée à un moment T, il y a automatiquement une explication rationnelle dans le passé, qui se trouve alors être la solution, la lumière, et qui conditionne alors de façon totalement anachronique certains comportements. Mais ça reste à débattre.