Aurore c a écrit :
Je crois qu'il est question ici de deux débats différents :
D'une part, ce que l'histoire peut nous apporter pour nous comprendre nous-mêmes. Qu'est-ce qui, dans notre histoire personnelle, peut expliquer notre intérêt pour telle époque, tel événement ou tel personnage ?
Il me semble que c'est quelque chose que l'historien ne doit pas perdre de vue s'il veut éviter de s'aveugler sur son sujet.
L'autre aspect concerne l'histoire familiale et la généalogie, je suis plus réservée.
Je suis de l'avis d'Aurore c. Je ne pense pas que le sujet ici soit réellement "nos ancêtres nous transmettent-ils des gènes qui dictent nos actes ?"
La question, en simplifiant, serait davantage : comment notre vécu influence-t-il notre vision de l'histoire et nos recherches quand nos sommes historiens ?
Delumeau est très explicite dans le sens qu'il donne à sa recherche, qui est une véritable thérapie intellectualisée. Mais il n'est pas le seul. Michelet, au XIXe siècle, se sert de l'histoire de la même manière, mais sans l'avoir ouvertement proclamé.
Michelet appartient d'abord à la mouvance romantique, au moment où le "moi" d'une personne prend toute sa légitimité et trouve une tribune pour s'exprimer dans toutes les occasions.
Je pense notamment à son livre "Renaissance et Réforme" : en lisant, je me disais que pour la "Renaissance", il ne racontait et ne décrivait qu'avortements et accouchement dans la douleur (les guerres d'Italie, le Jugement dernier de la chapelle Sixtine, la mort de Savonarole, etc...), jusqu'au "Melancolia" de Dürer. Puis arrive Luther. Et que fait Luther ? Il chante, et avec sa musique remplit le monde de joie. Et Michelet s'identifie tellement à son histoire qu'il emploie soudain la première personne et raconte sans avertissement une vision totalement personnelle :
Citer :
"Dans un jour de malheur et d'imminent malheur où le ciel se cernait de noir, je vis un point d'azur qui luttait, grandissait, contre les nuées sombres, azur d'acier, sévère et sérieux où le soleil ne riait pas. N"importe, je m'y rattachai, je le suivais des yeux. Mon coeur chanta et j'étais relevé. Voilà la vraie Renaissance. Elle est trouvée. C'est la Renaissance du coeur."
Ce n'est pas le seul endroit de son livre où cela arrive, parce que le "je" est réellement omniprésent. C'est très étonnant au début, d'autant que Michelet se proclame scientifique, analysant des faits et des archives. En réalité, il a l'honnêteté de reconnaître qu'il entre une part de lui-même dans son analyse (une part... c'est même lui tout entier !), et je pense aussi que cela vient d'une conception philosophique de l'être humain qui consiste en ces quelques mots : "je suis humain, et je considère que rien de ce qui est humain ne m'est étranger". A ce titre, quand Michelet parle de son expérience, celle-ci a valeur universelle et permet d'éclairer la propre expérience de ses ancêtres qui sont déjà dans l'Histoire.
En retour, l'expérience collective (j'inssiste sur le "collectif") de ses ancêtres éclaire l'expérience individuelle de Michelet. Pour lui, c'est aussi une manière de s'iinscrire dans l'Histoire et de donner un sens à son existence.
Je répondrai brièvement à Bongobong sur le point suivant, bien qu'il me paraisse un peu hors du sujet :
Citer :
voici un autre exemple : dans une famille, les secrets, les non dits, de génération en génération vont se transmettre jusqu'à que cela éclate au grand jour et que l'on explique le secret. tant que l'on explique pas pourquoi on a rien dit et l'évènement secret , cet événement se répète dans les générations qui suivent.
Un "secret" qui peut éclater au grand jour n'en est pas un, contrairement à ce qu'on voudrait nous faire croire. Un secret vraiment oublié ne ressort jamais. S'il peut s'exprimer une ou deux générations suivantes, c'est qu'il a été entretenu, ou au moins que le traumatisme qu'il a engendré a été entretenu par la famille, de façon plus ou moins consciente. Mais en aucun cas, on ne peut expliquer les phénomènes de répétition par la seule génétique, qui nous priverait de notre libre arbitre et du fait que nous sommes des êtres de culture, pas seulement de nature
.
Il en va de même pour la "mémoire collective" et les "traumatismes collectifs".