Mista a écrit :
Je suis un peu réservé, j'aimerais plus d'explications.
Je n'arrive pas à comprendre comment l'auteur conçoit la vérité. Ce que l'on croit ? Les traditions ? La culture ? Un mélange de tout ça ?
Si l'on prend l'exemple de l'enfant qui prend le père noël pour vrai, et qui sait que les parents placent les jouets devant la cheminée - c'est le seul qui corresponde à ma culture -, il me semble que c'est un état provisoire de l'enfant ; en réfléchissant, il va très vite prendre le père noël pour faux. Si quelqu'un lui pose la question, ou s'il doit exercer cette "vérité", alors il ne va plus la considérer comme vraie.
J'admets qu'il existe des relations complexes entre vérité, imagination, expérience, culture, etc. Cependant il me semble que le noeud essentiel se trouve entre vérité et réalité, même si celui entre vérité et imagination est majeur, comme le dit l'auteur. Effectivement comme il le dit, si la réalité n'entre pas en ligne de compte, alors l'imagination ne serait plus qu'un bocal qui se ferme, et nous ferions la vérité, nous ne la trouverions pas.
Prenons, d'ailleurs, le terme "imagination" lui même. L'auteur dit : Cette imagination, on le voit, n'est pas la faculté... Que voit-il ? Rien, s'il n'y a pas de réalité.
D'où le fait que l'histoire, qui revisite les traces de la réalité passée, puisse enrichir aussi bien notre compréhension du présent que notre imaginaire, à mon opinion.
Maintenant, il est difficile de se faire une opinion sur un texte aussi court qui aborde tant de choses. Pourriez-vous m'expliquer ?
Mais je crois que vous avez bien cerné le problème. Veyne est effectivement relativiste -j'avais tenté de définir ce qu'était le relativisme en histoire
ici. Veyne est d'ailleurs un cas très intéressant pour l'historiographie car il est sans doute, en France, celui qui assume le mieux, et je dirais, qui expérimente consciemment, une autre écriture de l'histoire. Jon Elster, un épistémologue des sciences sociales important, disait d'ailleurs que "Les Grecs ont-ils cru" est l'ouvrage le plus radical de Veyne. Dans "Le Pain et le Cirque", on est encore à un niveau où disons, la vérité "existe", mais elle est l'objet de manipulations de la part des acteurs historiques eux-mêmes. Dans "Comment on écrit l'histoire", l'influence de Foucault est plus évidente, et il s'agit de dire que la vérité est elle-même historique. Comme vous l'avez très bien vu, l'opinion de Veyne est que les hommes du passé pensaient dans des catégories qui étaient celles de leur temps et que, par conséquent, l'histoire appartient à l'histoire, et ne peut pas réellement servir à la compréhension de notre présent : Nous pensons, nous
comprenons le réel,
notre réel, avec des catégories de la pensée qui sont les notres, elles aussi -et qui, par exemple, ne sont pas celles des Grecs. En conséquence, l'histoire légitime ne peut être que descriptive, et s'attacher à essayer de voir le réel à travers les yeux des acteurs historiques -qui ne sont pas nos yeux à nous. C'est typiquement une approche phénoménologique, et je suis personnellement assez d'accord avec cela : Autant que possible, il faut essayer de
comprendre le réel historique comme pouvaient le comprendre les acteurs de
ce réel -et non pas nécessairement comme on le comprend, nous. Car si l'on ne respecte pas ce principe, on est naturellement porté à
juger les acteurs historiques, par exemple à leur attribuer inconsidérément des responsabilités pour des évènements qui se sont révélés "désastreux" par la suite, ou au contraire, à accorder trop d'importance à leur part personnelle dans l'occurence d'évènements qui se révèleront ensuite "bénéfiques". "Désastreux" et "bénéfiques" étant non seulement des jugements de valeur, mais encore, des évaluations dont les acteurs historiques étaient bien sûr incapables -je parle de tous ceux qui n'avaient pas le don de lire l'avenir.
Dans "Les Grecs ont-ils", le raisonnement est poussé au bout parce que l'ouvrage porte sur les croyances des acteurs historiques. Comment pénétrer les croyances d'individus qui ne pensaient pas comme nous, et surtout, comment juger de leur "vérité" ? Je reprends votre très bon exemple :
Citer :
Si l'on prend l'exemple de l'enfant qui prend le père noël pour vrai, et qui sait que les parents placent les jouets devant la cheminée - c'est le seul qui corresponde à ma culture -, il me semble que c'est un état provisoire de l'enfant ; en réfléchissant, il va très vite prendre le père noël pour faux. Si quelqu'un lui pose la question, ou s'il doit exercer cette "vérité", alors il ne va plus la considérer comme vraie.
Soit, mais qu'arriverait-il si personne ne lui posait la question ? Et même : qu'arriverait-il si l'enfant grandissait dans un "monde" (au sens du
réel tel qu'il est perçu par l'individu, son environnement, les phénoménologues appellent cela "Umwelt" ou "monde vécu") dans lequel
tout le monde croit au Père Noël ? N'y a-t-il pas des chances pour que l'enfant, en grandissant, continue de croire au Père Noël ? En fait, voici à peu près l'idée de Veyne : Dans ce monde-là, le Père Noël serait aussi vrai et aussi réel pour l'enfant devenu adulte que la relativité générale est réelle pour vous.
Autre manière de dire : Ce qui est vrai, c'est ce qu'on croit vrai et ce que tout le monde autour de nous croit vrai.