Comme il l’a été dit, il est évident que bien que le sociologue, Bourdieu a influencé directement ou indirectement bon nombre d’historiens. Ce qui n’est pas peu dire quand on connaît les dissensions entre les deux disciplines.
Je crois que l’on peut mettre, même si c’est toujours un peu acrobatique, la vision de l’Histoire de Bourdieu en relief avec celle de Durkheim.
Tout objet historique étant social et tout objet social étant le produit de l'Histoire, l'historien devait être sociologue et le sociologue historien, sous peine de manquer une clé majeure de compréhension.
Bourdieu, iconoclaste et s’il en est, a su imposer dans le second XXe siècle certains principes sociologiques que d’aucuns voyaient déjà dépassés avec la « révolution » de mai 68.
"habitus", "capital culturel/symbolique/économique"qui eux-mêmes se dessinent dans les « champs » C’est avec ces concepts que Pierre Bourdieu a assis sa sociologie. Ainsi, une sociologie opposée au subjectivisme et à l’image de l’objectivisme durkheimien.
Bourdieu prend donc appui sur les positions durkheimiennes(qui elles-mêmes s’appuient sur des positions souvent marxistes etc.c’est une histoire sans fin !)pour mieux les dépasser, notamment en important la dimension historique sur le terrain de l'ontologie et de l'épistémologie sociales. Il récuse tout d'abord la distinction, sur laquelle le directeur de l'Année sociologique entendait fonder la possibilité d'une "véritable science historique", entre les "événements historiques" et les "fonctions sociales permanentes", et les antinomies artificielles qui la sous-tendent, conjoncture et longue durée, l'unique et l'universel.C’était un peu définitif toute cette histoire.Le déterminisme historique est avec Durkheim presque une fatalité. Alors, Bourdieu appelle à œuvrer à une science de l'Homme véritablement unifiée, "où l'histoire serait une sociologie historique du passé et la sociologie une histoire sociale du présent", à partir du postulat que l'action, la structure et la connaissance sociales sont toutes également fruit du travail historique.
Une telle science doit, pour remplir pleinement son ordre de mission, procéder à une double historicisation. Historicisation de l’agent ou plutôt du sujet qui consiste à intégrer dans l’approche historique son concept sociologique qu est l’habitus (structures structurées prédisposées à fonctionner comme des structurantes, j’adore cette phrase) qui semble définitivement déterminer la personne dans une reproduction sociale presque fatale.Historicisation des mondes sociaux dans le cadre des champs. Ce qui agit de manière synchronique en sociologie agit de la même manière mais diachronique en Histoire.Selon Bourdieu la pratique historique du sujet ou de l’agent est moins issue de l’intention du sujet que des structures objectives.Cette pratique est largement tributaire des prédispositions que sont l'habitus et le champ, "l'histoire objectivée dans les choses" et "l'histoire incarnée dans les corps".
Pourtant, et c est là où Bourdieu dépasse Durkheim, ce qui au départ était un agent historique devient un sujet historique en prenant conscience de cette illusion de libre arbitre (qui ne fait que reproduire à travers les « champs » les processus de domination sociale.Dès lors, le sujet libéré peut prendre de la distance avec les forces inconscientes et sous-jacentes à la société et, au prix de gros efforts, se dégager de ses jugements, de ses pratiques, de ses peurs etc. qui altèrent son libre arbitre.
Ce qui nous permet de dire que Bourdieu se trouve être le juste milieu entre deux approches historiques concurrentes : l’objectivisme et le subjectivisme.
C’est un objectivisme libéré et un subjectivisme contraint.
Pour ma part, je trouve cette dernière assertion un peu gratuite. On dirait qu’il cherche à se justifier. Il faut absolument trouver une porte de sortie, un espoir. Je trouve que c’est dommage, il était si bien parti pour fermer le clapet à pas mal de subjectivistes trop souvent sur le devant de la scène. Après tout, qu’est-ce qui nous prouve que comme par magie, il suffit de prendre conscience de ce qui nous détermine pour nous en libérer. Peut-être, mais je ne vois rien de prouvé scientifiquement. Vous pouvez y voir une attaque en règle contre l’existentialisme sartrien, je ne m’en offenserai pas
. Je trouve que Sartre ne fait exister, à travers son mouvement philosophique, que ses fantasmes moralistes. L’Histoire mérite toujours la nuance, mais j’attends impatiemment que l’on me démontre le contraire et j’adapterai mon discours sur ce monsieur.
Ce n’est pas le sujet, je me laisse emporter par des considérations métaphysiques qui ne veulent pas plus – et peut-être pas moins – que celle d’un autre. Sur ce, je vous épargne la suite de mes élucubrations.
À vous et bien à vous.