Il me semble qu'il ne faut pas non plus confondre des historiens qui, tout en enrichissant nos connaissances disons "brutes", dans leurs conclusions et analyses en reviennent toujours à une vulgate marxiste-léniniste, se contentent de citer Marx et Lénine à tous les paragraphes comme des vérités indépassables ; et les historiens qui se sont servi des outils donnés par Marx pour penser l'histoire, le social, etc.
Ces derniers sont à mon avis beaucoup plus intéressants et stimulants comme historiens (et pouvaient se dire marxiste ou non). Je pense à des historiens comme Duby, Le Goff, Agulhon, Vovelle, mais aussi à Hobsbawm et plus encore à E. P. Thompson: il faut lire son (gros) livre
la formation de la classe ouvrière anglaise (couvrant la période qui va du milieu du 18° aux années 1830) pour voir, à mon avis, un modèle d'histoire qui se dit marxiste mais qui n'est ni simpliste, ni déterministe, ni de l'exégèse.
C'est un livre qui commence à dater (1963) mais qui fut traduit très tardivement en France: en 1988!! A lire notamment les préfaces et postfaces qui accompagnent l'édition française, où Thompson essaie de définir ce qu'est pour lui une "classe": passionnant! C'est en tout cas un classique d'histoire sociale, qui ne fait ni dans l'historicisme, ni dans le réductionnisme économique, ni dans l'opposition stricte infra-supersructure: une classe n'est pas une chose, mais un
rapport", qu'il faut donc étudier dans l'histoire, comme un
processus, où les acteurs sont actifs et non passifs; une classe s'autodéfinit en relation avec les autres (c'est-à-dire qu'il y a lutte des classes) et la conscience de classe est fondamentale dans ce processus: pour Thompson c'est la traduction en termes culturels et l'incarnation dans les traditions, institutions, systèmes de valeurs, idées, institutions d'
expériences (mot fondamental chez cet historien) communes à des groupes d'hommes (sans définition sociologique stricte, figée, a priori).
Et il mêle tout le temps le culturel, le social et le politique pour comprendre cette "formation".
A mon avis, lire Thompson permet de voir ce que peut apporter un historien marxiste "intelligent", qui critique aussi bien les historiens libéraux que les historiens marxistes "sclérosés" et montre les insuffisances de l'histoire quantitative labroussienne.
J'ai un peu insisté sur Thompson mais il est malheureusement souvent trop peu connu en France (en tout cas je crois qu'on en parle peu sur ce forum)
Et pour finir, une citation de Miguel Abensour qui signe la préface et qui montre un des aspects de la "révolution thompsonienne":
Citer :
Les classes ne luttent pas parce qu'elles existent, elles en viennent à exister parce qu'elles luttent
.
et puis tiens une autre
, célèbre, de Marx dans
Le 18 Brumaire qui éclaire sa conception de l'histoire et à laquelle, je pense, tous les historiens peuvent souscrire:
Citer :
Les hommes font leur propre histoire, mais ils ne la font pas de plein gré, dans des circonstances librement choisies; celles-ci, ils les trouvent au contraire toutes faites, données, héritage du passé.