Ah non mais ici, vous m'apprenez
vraiment quelque chose, et je vous en remercie ! Effectivement, c'était un peu ma question sous-jacente que de demander si la définition que vous proposiez était celle qui était désormais au programme. Et je m'avoue incompétent pour dire si oui ou non, c'est là le concept qui domine la recherche en histoire depuis 10 ans. Il est vrai que les historiens que je lis sont un peu plus... institutionnalisés que cela.
Cela étant, j'ai quand même une remarque, mais qui est bien
mon opinion personnelle -même si je vais l'étayer d'une référence. Sans vouloir aucunement paraitre désagréable vis-à-vis de votre ancien professeur -nous avons tous nos Maitres- sa définition me semble relativement... orientée. Et en la lisant, je dois dire que je crois mieux comprendre certaines de vos propres interventions.
Personnellement, je pense que M.Malia propose quelque chose de profondément intéressant avec sa nomenclature des historiographies de la révolution, qui rejoint l'idée de Furet selon laquelle il n'y a pas une, mais plusieurs histoires de la révolution.
Dans
Comprendre la Révolution Russe, Malia définit en effet 3 modèles d'interprétation : Libéral, conservateur, marxiste. Je vais essayer de les synthétiser rapidement.
Le modèle
libéral s'enracine dans la conviction qu'il existe un cours de l'histoire normal du développement des nations. Il n'exclue pas la rupture révolutionnaire, mais la rend non nécessaire : De Pierre le Grand à 1905, la Russie est sur le "bon chemin", mais 1917 vient briser cet élan. L'écueil, selon les historiens libéraux -dit Malia- c'est ou la Première Guerre Mondiale, ou la personnalité de Staline.
Le modèle
conservateur conçoit toute révolution comme suivant un mouvement pendulaire. "Toute révolution commence dans la joie des 14 Juillet pour se transformer en terreur". Autrement dit : "Qui va trop loin recule". Par conséquent, la révolution est fondamentalement superflue, elle n'est porteuse de rien, autre qu'idéologique : "Plus ça change et plus c'est la même chose".
Le modèle
marxiste considère que toute révolution est le produit d'une logique économico-historique. Par conséquent, 1917, par exemple, avait commencé de manière "satisfaisante", mais il s'est produit un "accident historique" : Le culte de la personnalité, qui détruit le processus révolutionnaire.
Malia dit très bien -à mon sens- que le conservateur est celui qui refuse la distinction entre révolution et révolte, ou qui assimile l'une à l'autre :
Martin Malia a écrit :
Pour les conservateurs, la révolution est une opération vaine et donc elle n'est pas souhaitable. En fait, la société change peu : après un excès en un sens il y a une réaction en sens inverse, et le résultat final est un retour au point de départ.
Par conséquent, pour le conservateur, la révolution constitue le plus souvent une explosion de violence "gratuite".
Il est un seul cas où la révolution est légitime pour le conservateur : lorsqu'elle est menée pour revenir à la règle ancienne. Comme dans le cas anglais où la Glorieuse Révolution a pour résultat le retour à l'ancienne Constitution.
Evidemment, derrière le modèle libéral repose l'idée qu'il existe un cours normal de l'histoire : Développement des sciences, développement économique, évolution politique. Une forme de déterminisme, donc.
Le problème-clef de la révolution, pour les libéraux, est donc de savoir s'arrêter à temps, de canaliser le progrès que représente la révolution, en l'empêchant de dériver vers la tyrannie : si l'on en contrôle le processus, elle peut en effet être orientée vers une solution libérale.
Martin Malia a écrit :
Telle est la grande découverte pour les libéraux : la révolution est ambivalente, en partie bonne, en partie mauvaise [...] Pour parler autrement, les libéraux croient en un modèle souple de révolution : il suffit de se garder des excès et de procéder graduellement et avec modération.
Qu'on se rassure, une bonne partie de l'ouvrage consiste à montrer les insuffisances du modèle marxiste. Disons que la critique essentielle de Malia consiste à dire que Marx, au fond, est imbibé d'idéalisme allemand, et que c'est cet idéalisme non assumé (en fait, dénié) qui fonde l'oubli du politique dans sa théorie, oubli du politique qui sera empiriquement comblé, pour ainsi dire, par Lénine, avec la doctrine et la pratique que l'on sait. La démonstration est magnifique, et synthétisée dans
La Tragédie Soviétique :
Martin Malia a écrit :
La sociologie de Marx comporte sa propre dissimiluation de la réalité : l'illusion que le politique est une illusion dissimule tout simplement le fait que la poursuite du pouvoir s'accomplit sous un autre nom.
Cette autre forme de quête politique [...] est celle dans laquelle une intellentsia extrémiste, prétendument détentrice de l'unique "science" du social, apire au pouvoir total pour le plus grand bien des masses plongées dans les ténèbres.
Bref. Trois modèles d'interprétation de ce qu'est une "révolution". A chacun de choisir le sien.