Je ne partage pas l’avis général qui ressort des premières interventions sur ce fil.
« Pourquoi en France cet évènement (Tchernobyl 1986) rempli encore les colonnes des journaux ? Pourquoi pour de nombreuses personnes, il s'agit encore d'actualités ? Parce qu'il y a de nombreuses choses sur ces a-coté qui ne paraissent pas explicite pour l'opinion publique et parce que la vision objective qu'en aurait un historien ne correspondrait pas à ce qu'en perçoivent les gens. » écrit Narduccio.
Je crois qu’il y a là confusion entre l’événement lui-même et ses échos.
L’explosion de la centrale a eu lieu, c’est un événement fini, dont on peut faire l’histoire : analyse (avec mise en perspective) des faits, de leurs causes et des conséquences y compris celles qui font « actualité ».
Si ce n’était le cas, on pourrait dire que le régime de Vichy serait encore de l’actualité et non de l’histoire puisque, régulièrement, il y a débat sur le sujet entre historiens et opinion publique (perception des gens).
Pour preuve de ce que j’avance, Narduccio donne lui-même l’argument quand il écrit :
« Dans ces 2 pays (Allemagne et Italie), cela (Tchernobyl) relève de l'histoire ou au moins ne soulève pas de polémiques dans la presse. ». Le propos témoigne bien qu’il y a une différence entre l’événement (qui fait partie de l’histoire) et la polémique qui est un autre événement, inachevé celui-ci et qui ressortirait, lui, de l’actualité.
Il faut distinguer le sujet (l’accident de Tchernobyl) d’une de ses conséquences (une polémique qui est – je le dis sans mauvais jeu de mot – une autre histoire
).
Mon premier critère de distinction s’appuiera donc sur la formule que j’emprunte à Karolus :
« l'événement doit pouvoir être pris comme un événement ou une séquence achevée. » Par « séquence achevée » entendons que le fait a produit son effet « immédiat » ; il est terminé.
A ce titre, Berlin 89, le 11 septembre et les municipales françaises de 2008 sont de l’histoire. Les faits immédiats sont établis (chute du mur et du communisme en Allemagne, attaque terroriste et effondrement des tours, campagne électorale et élection des maires), analysés et expliqués pour eux-mêmes. Pour évoquer un exemple récent : pendant toute la campagne des municipales en France jusqu’à l’élection des maires ces jours ci, les municipales étaient de l’actualité ; elles sont désormais de l’histoire.
Ungern évoque un souvenir : «
Je me rappelle un post que l'on m'a effacé où je parlais "en direct" de l'enterrement du patron de Michelin mort accidentellement en mer (2007 je crois).
Pour moi c'était à la fois du direct et aussi de l'histoire Je ne suis pas d’accord sur ce point : le « direct » évoqué n’est pas de l’histoire mais du témoignage. Un individu assiste à un événement qui peut être « historique », mais le discours qu’il tient sur celui-ci ne sera jamais qu’un témoignage, une donnée qui servira peut-être, ultérieurement, à l’élaboration du discours historique, mais ce n’est pas de l’histoire. Ne pas confondre « assister à ce qui fait histoire » et « faire de l’histoire ». Celui qui vit en direct l’effondrement des Twin Towers ne fait pas de l’histoire, il témoigne.
Mon deuxième critère est donc d’ordre méthodologique. Si on écarte du débat le fait que tout est Histoire en ce sens où tout participe du réel historique, la différence entre « histoire » et « actualité » relève de la nature du discours tenu sur un événement quel qu’il soit. Est histoire tout ce qui relève de la tentative de reconstruction du passé dans le respect des méthodes de la science historique, de sorte de donner au lecteur une compréhension globale du sujet traité, et ce quelles que soient les lacunes des sources disponibles ; est « journalistique » ou « actualité » tout discours tendant à transmettre une information brute au présent, qu’il s’agisse d’un fait ou d’un point de vue.
A contrario, je ne suis donc pas d’accord pour fixer l’historicité par le recours à une ancienneté temporelle (principe cher à ce forum qui exclut tout sujet au-delà d’une date, principe que je comprends pour la paix du dit forum, mais qui n’a pas de sens historiographique).
Je ne suis pas d’accord non plus avec l’idée consistant à dire qu’un fait entre dans l’histoire « là où l'historien la fixe » (dixit Karolus) ; c’est laisser la question pendante puisqu’elle dépendrait d’un choix arbitraire et non d’un critère un tant soit peu objectif ! Que se passe-t-il en effet, quand « l’historien » qui fixe la limite et contesté dans son choix par un de ses pairs ?
NB : entre journaliste et historien, la distinction ne saurait être faite
stricto sensu. Tout journaliste qui est d’abord témoin peut faire un travail d’historien dès lors qu’il respecte les méthodes d’analyses des points de vues et des liens de causalités les plus exhaustifs possibles sur un sujet que nous dirons « achevé ». Dans ce cas, il change d’ailleurs de support et propose ce qu’on appelle un « documentaire » plutôt qu’un « reportage ». Par définition, le premier travail fait recours à une documentation (des sources analysées) quand le second se contente de « relater ce qu’il a vu » (selon le Robert). De même, nul historien n’est historien a temps plein et chaque membre de cette corporation peut se muer en témoin (ou journaliste dans le sens où il parle "au jour dit") à la faveur d’un événement, donnant son avis ou son opinion sur celui-ci sans que sa qualité professionnelle puisse donner quitus privilégié à ce qui n’est qu’un point de vue parmi d’autres.
Est ainsi journaliste le témoin, historien l'analyste. Le discours sur l’événement est « actualité » quand il est témoignage, « histoire » quand il relève de l’analyse scientifique. Du moins, est-ce ainsi que je vois les choses, mes deux critères n’ayant pas vocation à proposer une réponse exhaustive à la question de ce fil.