Nous sommes actuellement le 16 Avr 2024 6:36

Le fuseau horaire est UTC+1 heure




Publier un nouveau sujet Répondre au sujet  [ 51 message(s) ]  Aller vers la page Précédent  1, 2, 3, 4
Auteur Message
Message Publié : 04 Déc 2008 8:19 
Hors-ligne
Philippe de Commines
Philippe de Commines
Avatar de l’utilisateur

Inscription : 23 Oct 2004 9:14
Message(s) : 1903
Localisation : village des Pyrénées
Citer :
le NPA

Ah ! Je comprends !
Eux, leur manipulation de l'Histoire est génétique, elle date du vieux Léon ;)

_________________
"La vie des hommes qui vont droit devant eux, renaitraient-ils dix fois en dix mondes meilleurs, serait toujours semblable à la première. Il n'y a qu'une façon d'aller droit devant soi." (Pierre Mac Orlan)


Haut
 Profil  
Répondre en citant  
Message Publié : 23 Jan 2009 17:08 
Hors-ligne
Administrateur
Administrateur
Avatar de l’utilisateur

Inscription : 10 Avr 2002 17:08
Message(s) : 1940
Localisation : Paris
A lire dans Le Monde du jour:
Citer :
Nicolas Sarkozy, professeur d'histoire, par Thomas Wieder

Compte tenu des contraintes budgétaires, le temps des grands projets muséographiques est sans doute révolu. Il n'empêche : à l'instar de ses prédécesseurs - de Georges Pompidou, qui voulut le Centre qui porte aujourd'hui son nom, à Jacques Chirac, dont on sait l'intérêt qu'il porta au Musée du quai Branly -, Nicolas Sarkozy se devait, pour habiter pleinement la fonction présidentielle, de fonder "son" musée. Restait à en déterminer l'objet. C'est désormais chose faite. "Fasciné par l'idée que la France est riche de ses musées d'art, mais qu'il n'y a aucun grand musée d'histoire digne de ce nom", le président de la République a profité de ses voeux aux acteurs de la culture, réunis à Nîmes le 13 janvier, pour annoncer "la création d'un musée de l'histoire de France".

Sur le fond, M. Sarkozy s'en est tenu à quelques axiomes. Ce musée, a-t-il précisé, aura vocation à "questionner notre histoire de France dans son ensemble". Insistant sur sa "cohérence", le chef de l'Etat a souhaité que celle-ci ne soit plus abordée "par petits bouts", à travers ses "pages glorieuses" ou ses "pages un peu plus délicates", mais comme "un tout".

De la part d'un président de la République, garant de l'unité nationale, ce syncrétisme n'est guère original. En cela, M. Sarkozy s'inscrit dans la droite ligne d'un de Gaulle dissertant sur les "vingt siècles" qui ont "fait la France", ou d'un Mitterrand revendiquant, dans sa Lettre aux Français en 1988, l'héritage conjoint de Philippe Auguste, de Colbert, des Jacobins, de Bonaparte, de Gambetta, de Clemenceau et du général de Gaulle.

Plus significative, en revanche, est la critique adressée par M. Sarkozy à ses prédécesseurs, accusés de ne parler du passé que lorsqu'ils "s'excusent des périodes où, hélas, l'histoire a été tragique". Le pluriel, ici, était sans doute de trop, car l'on ne voit guère qui d'autre que M. Chirac était visé par l'actuel chef de l'Etat. Reprenant l'une des antiennes de ses discours de candidat à la présidentielle, M. Sarkozy s'est donc posé une nouvelle fois en contempteur de la "mode de la repentance" dont M. Chirac s'était fait le porte-étendard, à travers la reconnaissance de la responsabilité de l'Etat dans la persécution des juifs, l'abrogation de l'article 4 de la loi du 23 février 2005 sur le "rôle positif" de la colonisation, ou encore l'instauration d'une Journée du souvenir de l'esclavage et de son abolition.

Il est encore trop tôt pour savoir précisément ce que sera le futur musée d'histoire de France. Un rapport, remis en avril 2008 aux ministres de la culture et de la défense par Hervé Lemoine, conservateur du patrimoine, permet toutefois d'imaginer les contours de cette "maison de l'histoire" qui pourrait s'articuler autour d'une "galerie chronologique" censée brosser une "fresque de la construction de l'Etat-nation de la France". Faute de moyens, celle-ci devrait investir un bâtiment déjà existant : l'Hôtel des Invalides, qui fait l'objet d'une expertise approfondie dans le "rapport Lemoine", le château de Versailles, qui aurait la préférence du chef de l'Etat, mais aussi le château de Vincennes et l'Hôtel de la Marine, place de la Concorde à Paris, sont le plus fréquemment cités.

L'Elysée indique que le choix du lieu ne sera arrêté "qu'à l'été ou au plus tard à la fin de l'année", après la remise d'un nouveau rapport par une commission dont le président sera nommé dans les prochains jours - les académiciens Max Gallo et Pierre Nora étant donnés favoris.

UNE VISION DU PASSÉ IMPÉNITENTE

Reste que les implantations à l'étude donnent déjà une idée du type d'histoire qui y sera professée. Symboles du passé militaire et monarchique de la nation, bien plus que de son identité républicaine, ces lieux sont aussi hantés par les mânes de "grands hommes" - Louis XIV, Napoléon, de Gaulle - dont le souvenir est lié à quelques idées-forces : l'autorité, la centralisation et la guerre.

Cette vision du passé national, volontiers martiale et résolument impénitente, laisse la plupart des historiens perplexes. Certes, l'accent mis par M. Sarkozy sur le cadre national rassure ceux qui y voient une mise à distance salutaire de ses tentations communautaristes. Et, en ce sens, beaucoup approuvent sa volonté de mettre un frein à la prolifération des "lois mémorielles" qui, à leurs yeux, ont le double défaut d'attiser la "guerre des mémoires" et d'entraver leur liberté de chercheurs.

Mais la conception d'une histoire de France convoquée à des fins édifiantes - pour "renforce(r) l'identité qui est la nôtre", selon les termes employés par M. Sarkozy -, semble pour nombre d'historiens totalement anachronique. "Je ne vois pas l'intérêt de figer dans un musée ce qu'Ernest Lavisse a fait il y a un siècle dans les manuels de la IIIe République", explique ainsi Jean-Noël Jeanneney, dont l'un des livres interroge le rapport des présidents à l'histoire (L'avenir vient de loin, Seuil, 1994).

Professeur à l'université Paris-XII, François Dosse voit, quant à lui, dans le projet de M. Sarkozy "une entreprise régressive sur le plan théorique". "Les recherches récentes sur la nation, comme celles de Pierre Nora, nous montrent que le roman national n'est pas une donnée mais une construction qui a elle-même une histoire, explique-t-il. Je crains qu'un tel musée, en niant cette complexité, nous ramène cinquante ans en arrière."

A ces soupçons s'ajoutent deux critiques plus fondamentales. La première vise la pertinence même d'un musée circonscrit à l'Hexagone. "Cela a-t-il un sens, alors que notre cadre de référence est aujourd'hui l'Europe, de faire un musée qui célèbre, comme le dit Max Gallo cité dans le rapport Lemoine, l'"âme de la France" ?", se demande ainsi Nicolas Offenstadt, maître de conférences à l'université Paris-I et coauteur de Comment Nicolas Sarkozy écrit l'histoire de France (Agone, 2008).

La seconde critique porte sur la finalité même de la discipline historique. "L'histoire, explique Gérard Noiriel, directeur d'études à l'Ehess, ne se réduit pas à une collection de faits et de personnages. Pour les historiens républicains, comme Marc Bloch, elle devait d'abord forger l'esprit critique par la confrontation des sources. Je me demande pourquoi on mettrait de l'argent dans un musée d'histoire voulu par le président alors qu'on tranche dans les crédits de l'université et du CNRS, où la recherche se fait de façon indépendante."

"Il faut que cela polémique un peu", réclamait M. Sarkozy en présentant son projet de musée d'histoire de France. Sur ce point, au moins, le chef de l'Etat peut déjà s'estimer satisfait.

_________________
"Il est plus beau d'éclairer que de briller" (Thomas d'Aquin).


Haut
 Profil  
Répondre en citant  
Message Publié : 25 Jan 2009 20:27 
Hors-ligne
Hérodote
Hérodote
Avatar de l’utilisateur

Inscription : 25 Oct 2006 12:36
Message(s) : 4
Localisation : Espiritu de Salamanca
bons et mauvais arguments sur le musée
de l'histoire de France


Michel RENARD


Thomas Wieder, jeune historien et collaborateur au Monde des Livres, publie un article intitulé "Nicolas Sarkozy, professeur d'histoire" (23 janvier 2009). Il s'attaque au projet annoncé par le président de la République de créer un musée de l'histoire de France.

"Sur le fond, M. Sarkozy s'en est tenu à quelques axiomes - écrit Thomas Wieder. Ce musée, a-t-il précisé, aura vocation à "questionner notre histoire de France dans son ensemble". Insistant sur sa "cohérence", le chef de l'État a souhaité que celle-ci ne soit plus abordée "par petits bouts", à travers ses "pages glorieuses" ou ses "pages un peu plus délicates", mais comme "un tout"..." On ne voit là rien à dire contre les propos du président de la République.

Mais puisque la politique consiste, apparemment, à rester "fidèle à son camp" au prix même de l'hypocrite critique de son adversaire (car envisager la création, en France, d'un musée de l'histoire de France, quoi de vraiment répréhensible...!?), Thomas Wieder mobilise quelques arguments jésuitiques. Réponse.


chaque apparition du roi lors d'une campagne militaire
faisait vibrer les foules
(Joël Cornette
)


1) Au sujet du "type d'histoire qui y sera professée", Thomas Wieder écrit : "Symboles du passé militaire et monarchique de la nation, bien plus que de son identité républicaine, ces lieux [Versailles, les Invalides...] sont aussi hantés par les mânes de "grands hommes" - Louis XIV, Napoléon, de Gaulle - dont le souvenir est lié à quelques idées-forces : l'autorité, la centralisation et la guerre. Cette vision du passé national, volontiers martiale et résolument impénitente, laisse la plupart des historiens perplexes". (Thomas Wieder)

réponse - Pourquoi le passé militaire et monarchique de la nation devrait-il être rabaissé au profit de l'identité républicaine ? Les deux sont aux racines de notre être français. Martial ? Et alors ? La guerre est le père de tout (polemos pater pantôn), disait Héraclite. Comment comprendre les grands siècles de l'influence française sans le lien entre la guerre et la "plus grande puissance de commander", c'est-à-dire l'État, c'est-à-dire la France ? La guerre est intimement liée à l'histoire nationale. Il n'est pas un historien sérieux pour ergoter là-dessus.

Il suffit de lire l'ouvrage de Joël Cornette : la guerre "est tout à la fois un facteur d'explication et de compréhension de la construction et du fonctionnement de l'État, et plus particulièrement encore, dans une Europe à majorité monarchique, de l'autorité souveraine" (Le roi de guerre. Essai sur la souveraineté dans la France du Grand Siècle, éd. 2000, Payot, p. 13).

Les affinités entre la guerre et la nation sont évoquées en ces termes (martiaux ?) par Joël Cornette : "pour comprendre l'adhésion à la figure d'un prince guerrier et vainqueur, cristallisant le désir de gloire d'une collectivité vibrant avec une sincérité non feinte aux nouvelles des victoires, ou compatissant aux malheurs du roi, nous ne pouvons exclure la force d'une attente et d'une demande populaire largement partagées, identifiant la royauté à une conscience patriotique, comme ce fut déjà le cas bien plus tôt, à l'époque de Jeanne d'Arc. (...) tous les témoignages concordent : chaque apparition du roi lors d'une campagne militaire faisait vibrer les foules, massées sur son passage. La représentation du roi de guerre fait bien partie de l'imaginaire glorieux de la monarchie, au même titre que l'image du roi fécond qui apporte la nourriture à ses sujets" (p. 281-282).

la langue que je parle n'a pas été créée par la République

Autorité, centralisation, guerre... la question n'est pas de juger ces notions à l'aune de notre morale actuelle, mais de saisir que sans elles il n'y a pas de France. "L'absence d'État défait la France", comme le notait le général De Gaulle en 1956.

Thomas Wieder affirme que "la plupart des historiens" reste "perplexes" devant cette vision du passé national. Ah bon... Quels historiens ? Quelques-uns peut-être. Pas la plupart. Et surtout pas l'essentiel de l'historiographie française comme nous le montrons dans Faut-il avoir honte de l'identité nationale ?

Quant à la République, elle ne saurait assumer l'entièreté de l'être français. Je suis profondément républicain. Mais la langue que je parle n'a pas été créée par la République. La langue française, qui résonne et raisonne de tant d'esprits, est antérieure à la République, et pourtant ingrédient fondateur de notre francité.

Un autre historien, Vincent Duclert, répète son attachement viscéral à la notion d'identité républicaine, repoussoir prophylactique selon lui de l'identité nationale. Il se réjouit d'entendre le ministre Éric Besson, déclarer que "l’identité nationale c’est l’identité républicaine". Ce propos n'est pourtant pas exclusif. L'identité d'un pays est une combinaison historique. Dire que la nation c'est la République n'exclut pas ce qui constitue la nation avant la République et dont nous sommes évidemment redevables car notre culture nous y a associés dès notre plus jeune âge, et particulièrement à l'école.

un patrimoine de réflexes enracinés dans la longue durée

2) "Mais la conception d'une histoire de France convoquée à des fins édifiantes - pour "renforce(r) l'identité qui est la nôtre", selon les termes employés par M. Sarkozy -, semble pour nombre d'historiens totalement anachronique. "Je ne vois pas l'intérêt de figer dans un musée ce qu'Ernest Lavisse a fait il y a un siècle dans les manuels de la IIIe République", explique ainsi Jean-Noël Jeanneney, dont l'un des livres interroge le rapport des présidents à l'histoire (L'avenir vient de loin, Seuil, 1994)." (Thomas Wieder)

réponse - Que la vision d'Ernest Lavisse soit marquée par le grand projet politique assimilateur de la IIIe République est une évidence. Qu'il ne faille pas rééditer ce dispositif tel quel est encore une évidence (quoi que...). Mais cela interdit-il tout projet de reconnaissance par une nation des éléments de son identité historique ? Ou alors, dites-nous que c'est la dimension historique elle-même qui vous insupporte. Dites-nous que la synchronie a évacué toute diachronie. Dites-nous qu'un peuple n'a plus le droit de se reconnaître dans sa filiation chronologique, que seule compte la "société" et non plus la "nation". Dites-nous que la sociologie a évincé l'histoire.

De Jean-Noël Jeannenay, on peut surtout retenir cette formule : La République a besoin d'histoire. Oui, la république a besoin d'histoire parce qu'elle n'est pas l'alpha de notre existence nationale : "À l'opposé des thuriféraires du «tout beau tout neuf» des apôtres de l'accélération de l'Histoire, des dénonciateurs de la conduite «les yeux dans le rétroviseur», on doit rappeler que nul acteur ne peut jamais se couper d'un patrimoine de réflexes enracinés dans la longue durée" explique Jean-Noël Jeanneney.
D'accord avec lui. Mais Sarkozy aurait parlé d'un "patrimoine de réflexes enracinés dans la longue durée", qu'on lui serait tombé dessus à coup d'épithètes tels que "barrésien", "sociobiologiste", "pétainiste", etc.


roman national

3) "Professeur à l'université Paris-XII, François Dosse voit, quant à lui, dans le projet de M. Sarkozy "une entreprise régressive sur le plan théorique". "Les recherches récentes sur la nation, comme celles de Pierre Nora, nous montrent que le roman national n'est pas une donnée mais une construction qui a elle-même une histoire, explique-t-il. Je crains qu'un tel musée, en niant cette complexité, nous ramène cinquante ans en arrière." (...)" (Thomas Wieder)

réponse - Pur sophisme... J'aime bien les ouvrages de François Dosse. Mais cette déclaration est vide de sens.
D'abord, que Pierre Nora ait montré le caractère construit du "roman national" ne prive pas celui-ci d'épaisseur historique ni d'intériorisation par les sujets qui y trouvent la matrice de leur individuation nationale.
Tout fait social en histoire est construit, comme le rappelle Maurice Agulhon que nous citons dans Faut-il avoir honte de l'identité nationale ? Cela ne le priverait-il de réalité ou d'intérêt ?

Ensuite, il n'y a que procès d'intention à craindre un musée refusant la "complexité" de l'histoire de France. La vérité, c'est que tout rappel de l'identité nationale aggace les esprits faibles qui la réduisent au spectre Barrès-Maurras-Pétain. Ils ont tellement assimilé à une vraie pensée le vade mecum antiraciste des années Mitterrand, tellement acquiescé à l'équivalence Français = beauf raciste, qu'ils ignorent la prégnance positive et généreuse d'une telle référence dans la culture française, dans la tradition politique française.


l'Europe, tueuse d'identités nationales ?

4) "À ces soupçons s'ajoutent deux critiques plus fondamentales. La première vise la pertinence même d'un musée circonscrit à l'Hexagone. "Cela a-t-il un sens, alors que notre cadre de référence est aujourd'hui l'Europe, de faire un musée qui célèbre, comme le dit Max Gallo cité dans le rapport Lemoine, l'"âme de la France" ?", se demande ainsi Nicolas Offenstadt, maître de conférences à l'université Paris-I et coauteur de Comment Nicolas Sarkozy écrit l'histoire de France (Agone, 2008)" (Thomas Wieder).

réponse - De quoi l'Europe est-elle le "cadre de référence" ? De politiques économiques et sociales (?) communes peut-être. Certainement pas d'une identité commune. Pour une raison élémentaire. La base de l'identité étant la langue, on ne parlera jamais (c'est à espérer... ou alors quel désastre culturel...!) la même langue dans les nombreux États de l'Union européenne. On n'aura jamais les mêmes références historiques.
Cela n'empêche pas de lire l'histoire nationale dans ses rapports avec l'Europe, évidemment. Comment comprendre le patriotisme de Jeanne d'Arc sans référence à l'histoire anglaise, comment comprendre la monarchie des XVIe et XVIIe siècles en dehors du conflit avec les Habsbourg, comment comprendre la "Grande Nation" et l'épopée napoléonienne en dehors de l'hostilité des monarchies européennes à la Révolution française...?

L'Allemagne possède un Musée de l'histoire allemande (Deutsches Historisches Museum) abrité par l'Arsenal (Zeughaus) et par un nouvel ensemble réalisé par l'architecte de la Pyramide du Louvre, Ieoh Ming Pei, à Berlin même. Une présentation de ce musée en décrit la composition : "Sur près de 7.500 m², neuf salles consacrées chacune à une époque sont autant d’étapes à travers l’histoire allemande, de ses premières heures à nos jours". Deux mille ans du passé allemand sont retracés, lit-on sur le site du Musée.
Il existe un Musée national de l'histoire américaine (National museum of American History) ayant pour mission la compréhension de "notre nation et de ses nombreux peuples". Pourquoi la France ferait-elle exception ?


deux catégories de Français qui ne comprendront jamais l'histoire de France (Marc Bloch)

5) "La seconde critique porte sur la finalité même de la discipline historique. "L'histoire, explique Gérard Noiriel, directeur d'études à l'Ehess, ne se réduit pas à une collection de faits et de personnages. Pour les historiens républicains, comme Marc Bloch, elle devait d'abord forger l'esprit critique par la confrontation des sources. Je me demande pourquoi on mettrait de l'argent dans un musée d'histoire voulu par le président alors qu'on tranche dans les crédits de l'université et du CNRS, où la recherche se fait de façon indépendante." (...)" (Thomas Wieder)

réponse - Gérard Noiriel fait semblant d'ignorer qu'il existe plusieurs types d'expression de l'histoire. La recherche en est une, la muséographie en est une autre. La nation a le droit de donner à ses citoyens l'image de deux milles ans de leur histoire - pour compter comme le Musée de l'histoire allemande.

Quant à Marc Bloch, Noiriel fait un usage infidèle de la pensée de celui qui a écrit : "Il est deux catégories de Français qui ne comprendront jamais l'histoire de France, ceux qui refusent de vibrer au souvenir du sacre de Reims ; ceux qui lisent sans émotion le récit de la fête de la Fédération. Peu importe l'orientation présente de leurs préférences. Leur imperméabilité aux plus beaux jaillissements de l'enthousiasme collectif suffit à les condamner". Marc Bloch aurait condamné les raisonnements de Gérard Noiriel.

Michel Renard
co-auteur de Faut-il avoir honte de l'identité nationale ? (Larousse)

http://identitenational.canalblog.com/archives/2009/01/23/12197568.html

_________________
"Je viens d'entendre un cri morbide et dénué de sens", Miguel de Unamuno, 12 octobre 1936


Haut
 Profil  
Répondre en citant  
Message Publié : 07 Fév 2009 19:21 
Hors-ligne
Pierre de L'Estoile
Pierre de L'Estoile

Inscription : 14 Avr 2005 10:11
Message(s) : 2082
Citer :
La France au musée de l'histoire, par Daniel Roche et Christophe Charle
L'ubiquité intellectuelle de Nicolas Sarkozy ne faisait aucun doute. Le voilà professeur d'histoire. Son choix de méthode et sa vision du passé méritent l'intérêt, car placer l'histoire au musée n'est pas sans signification sur la compréhension politique et sociale d'une discipline que l'on veut voir accepter par tous. C'est en fin de compte la vision même de ce que nous devons être qui est réfléchie dans le miroir des objets rassemblés et exposés, c'est la démonstration d'un fil conducteur vers un passé obligé.

Nous pensions qu'il existait déjà deux musées de l'histoire de France, l'un aux Archives nationales, qui ont toujours su réactualiser leurs richesses documentaires et stimuler le travail des historiens et l'intérêt du public par des expositions thématiques toujours remarquables, l'autre avec la galerie des Batailles, à Versailles, qui rassemble les grands tableaux d'histoire, témoins de l'idée que le XIXe siècle national et romantique se faisait des moments glorieux de la formation de notre pays.

En faut-il un troisième, ouvert à tout notre passé, pour le pire et pour le meilleur, dans ses fastes ou ses misères, dans sa beauté et ses laideurs ? Immense entreprise qui s'inscrit dans le registre comptable des erreurs du passé, ce qui est sans limites, mais qui vise surtout à exalter notre identité en ce moment où notre nation serait menacée de l'intérieur par tous les communautarismes, à l'extérieur par le syndrome du déclin ou les craintes nées d'une mondialisation incontrôlable. Au total, il s'agit de substituer à la guerre mémorielle et à la repentance difficile une version sinon figée, du moins muséale et qui reconstruirait "l'âme de la France", donc une vision correspondant à la réconciliation, voire à l'effacement des contraires.

Au moment où la recherche scientifique et historique est menacée par le gouvernement à travers une réorganisation autoritaire et hostile à l'esprit critique, le nouveau projet ne peut être reçu sans une certaine méfiance. Les rapports préliminaires et le travail des commissaires mis en place laissant encore beaucoup de questions en suspens, on ne peut que se demander sur quels principes et sur quelle méthode historique et muséographique les choix définitifs seront fondés.

Trois principes sont ainsi menacés. Depuis les révolutions historiographiques du XXe siècle, l'histoire ne repose plus sur la seule référence aux documents écrits mais sur un vaste ensemble de sources multiformes. Finis les textes, rien que les textes, et ouverte la construction critique des problèmes. Tout est bon pour l'historien de la charte au paysage, de l'objet à la trace, de l'image au son du passé. Ces nouveaux lieux de mémoire pourront-ils être mis en boîte sans parti pris ?

En second lieu, l'historien du XXe et du XXIe siècle ne croit plus à la finalité implicite et encore moins imposée de la recherche : ni l'idée de nation, ni la parousie du progrès, ni la révélation religieuse ou idéologique ne figurent plus dans les commandements de ses méthodes.

L'idée d'un parcours chronologique à travers les allées du jardin de la France, nation élue ou prédestinée, n'est plus recevable, sauf à marier de manière improbable Lavisse et Bossuet, de Gaulle et Clovis, sainte Geneviève et Jean Moulin, Hugo et Grégoire de Tours, en oubliant Braudel, Labrousse et surtout Marc Bloch et son histoire comparée des sociétés européennes sans laquelle l'histoire de France n'est pas compréhensible. La France et surtout "l'âme de la France" ne sont rien d'autre que des abstractions complexes, rationnelles et politiques, poétiques et romantiques.

Elles sont des entités changeantes et relatives qu'il faut comprendre selon les temps et les lieux, les milieux et les moments et non des données impassibles. Sans autre discussion, ce point de vue a priori nous enferme dans un anachronisme de pensée qui empêche la véritable compréhension du passé et nous fait glisser inévitablement dans la téléologie justifiée par la sélection des faits présentés, objectivés de surcroît dans les choses offertes au regard du visiteur.

Les historiens avaient cru que leur travail n'était plus de comprendre en elle-même l'essence de la grandeur. L'objet de l'histoire n'est plus le grand roi, le grand capitaine, le grand écrivain dont le catalogue varie d'ailleurs à chaque époque. En revanche, les historiens voudraient saisir le sens des pratiques de tous, de ceux et celles qui travaillent et paient leurs impôts, de ceux et celles qui pensent et de ceux et celles qu'on empêche de penser ou même de vivre dignement. Comprendre la diversité des cultures, faire revivre la société et ceux qui la composent, voilà la tâche centrale des historiens d'aujourd'hui. C'est en y répondant qu'on comprendra la France et ceux qui l'ont faite et la feront.

A l'heure de l'Europe, à l'heure d'un monde sans frontières, mais aussi toujours plus divisé et conflictuel, faut-il reconstruire le mur rassurant d'une France mythique qui ne permet ni de comprendre la complexité du passé ni de préparer aux complexités de l'avenir ?

Alors que les universités sont bousculées dans leurs fonctions, faut-il détourner l'attention par un leurre muséographique logé aux Invalides sous l'ombre intimidante de Louis XIV, Napoléon et de Gaulle ? A l'heure de l'ouverture au monde, faut-il redonner aux institutions académiques le rôle que la monarchie leur confiait ? L'histoire de la nation n'a-t-elle pas besoin plutôt d'un forum que d'un sarcophage ?

Daniel Roche est professeur honoraire au Collège de France (chaire d'histoire des Lumières)
Christophe Charle est professeur d'histoire à l'université Paris-I, membre de l'Institut universitaire de France (chaire d'histoire comparée des sociétés européennes)

_________________
« Étudiez comme si vous deviez vivre toujours ; vivez comme si vous deviez mourir demain. » Isidore de Séville


Haut
 Profil  
Répondre en citant  
Message Publié : 07 Fév 2009 20:22 
Hors-ligne
Pierre de L'Estoile
Pierre de L'Estoile

Inscription : 14 Avr 2005 10:11
Message(s) : 2082
Article précédent paru dans le monde paru samedi 7 février
http://www.lemonde.fr/opinions/article/2009/02/07/la-france-au-musee-de-l-histoire-par-daniel-roche-et-christophe-charle_1152209_3232.html

_________________
« Étudiez comme si vous deviez vivre toujours ; vivez comme si vous deviez mourir demain. » Isidore de Séville


Haut
 Profil  
Répondre en citant  
Message Publié : 21 Mars 2009 11:46 
Hors-ligne
Pierre de L'Estoile
Pierre de L'Estoile

Inscription : 14 Avr 2005 10:11
Message(s) : 2082
Citer :
Les présidents face à l'histoire - Entretien avec Patrick Garcia - Le Monde du 20/03/2009

a première décision de président de la République sera de demander au ministre de l'éducation nationale que [la dernière lettre de Guy Môquet] soit lue en début d'année à tous les lycéens de France. " Dès le jour de sa prise de fonctions, le 16 mai 2007, Nicolas Sarkozy annonçait la couleur : l'histoire figurerait en bonne place sur l'agenda de son quinquennat.

Les mois suivants ne l'ont pas démenti : le 13 février 2008, lors du dîner annuel du Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF), le chef de l'Etat proposait de " confier à chaque élève de CM2 la mémoire d'un enfant français victime de la Shoah " ; le 13 janvier 2009, à Nîmes, il annonçait son intention de créer un musée de l'histoire de France ; entre-temps, il bousculait le protocole en " délocalisant " en province les cérémonies du 8 Mai et du 11 Novembre, traditionnellement organisées à Paris.

Au-delà des polémiques soulevées par chacune de ces initiatives, quel sens donner au discours " sarkozyste " sur l'histoire ? Et en quoi se distingue-t-il de celui de ses prédécesseurs ? Ce sont les questions que nous avons posées à Patrick Garcia, maître de conférences à l'université de Cergy-Pontoise et chercheur associé à l'Institut d'histoire du temps présent (IHTP-CNRS). Auteur d'une thèse sur la commémoration du bicentenaire de la Révolution de 1789, il travaille actuellement sur le rapport des différents présidents de la Ve République à l'histoire de France.


Depuis son élection à la présidence de la République, Nicolas Sarkozy multiplie les interventions sur l'histoire de France. De la part d'un chef de l'Etat, cet interventionnisme est-il original ?

Il est de tradition que le chef de l'Etat, en France, s'autorise à parler d'histoire. Napoléon III, par exemple, a publié pendant son règne une histoire de Jules César et a fait élever une statue de Vercingétorix… Cette propension qu'a le chef de l'Etat à se faire le locuteur du passé national s'est renforcée sous la Ve République, ce qui n'a rien d'étonnant compte tenu des pouvoirs inédits que lui confère la Constitution. De ce point de vue, l'exemple des translations au Panthéon est emblématique. Sous les IIIe et IVe Républiques, les panthéonisations étaient proposées par les députés. Depuis 1958, c'est le président qui en décide seul…

On peut donc soutenir que le fait de " dire l'histoire " fait partie, sous la Ve République, du " domaine réservé " du président de la République. D'ailleurs, si Jacques Chirac, par le biais de son entourage, a si mal réagi quand Lionel Jospin a proposé en 1998 que les soldats fusillés pour l'exemple pendant la première guerre mondiale " réintègrent la mémoire collective nationale ", c'est à mon avis beaucoup plus parce qu'il y voyait une immixtion injustifiée de son premier ministre sur un terrain qui était le sien que parce qu'il désapprouvait le contenu de cette position.

Il n'y aurait donc rien d'original dans la façon dont Nicolas Sarkozy se réfère à l'histoire…

A mes yeux, Nicolas Sarkozy se distingue de ses prédécesseurs sur trois points. D'abord parce qu'il a fait de l'histoire – et je crois que c'est sans équivalent – un élément central de sa campagne. Avant lui, aucun " grand candidat " ne s'était autant référé aux grandes heures de l'histoire de France. Et aucun n'avait à ce point utilisé l'histoire pour se démarquer de son prédécesseur. Pendant la campagne, en effet, Nicolas Sarkozy n'a cessé de fustiger la " repentance " dont Jacques Chirac, à ses yeux, s'était fait l'apôtre. Il a fait de sa vision de l'histoire – une histoire nationale " réenchantée " – un des éléments symboliques de la " rupture " promise aux Français.

La deuxième originalité tient au fait que Nicolas Sarkozy utilise l'histoire sur un mode très particulier, qui privilégie l'émotion aux dépens de l'analyse. C'est ce qu'illustre la façon dont il a convoqué la figure de Guy Môquet : le président a semblé penser que c'est en faisant lire dans les classes une lettre empreinte de pathos que les jeunes pourraient le mieux, sinon accéder à la connaissance de l'histoire de la Résistance, du moins s'inscrire dans une généalogie héroïque. Son idée de faire parrainer un enfant victime de la Shoah par chaque élève du cours moyen participe de la même logique : celle de la recherche d'icônes de proximité auxquelles il serait facile de s'identifier, quitte à court-circuiter toute démarche intellectuelle. Notons que cette initiative, annoncée en février 2008, peut aussi être interprétée comme un réajustement après la suppression dans les programmes du primaire en avril 2007 de l'étude de la Shoah (celle-ci a été réintroduite dans les nouveaux programmes publiés en juin 2008).

Enfin, Nicolas Sarkozy détonne en mettant en scène de façon très spectaculaire son intérêt pour l'histoire. Par exemple en marchant seul sur le plateau des Glières enneigé pour honorer la mémoire des maquisards. Ou bien en délocalisant les cérémonies du 11 novembre à Douaumont dans la Meuse, un site à la fois plus grandiose et moins attendu que l'Arc de triomphe, où elles ont lieu traditionnellement.

En cela, il a pleinement pris la mesure du rôle que jouent les images en matière de " communication sur l'histoire ". Sur ce terrain, toutefois, François Mitterrand lui avait déjà ouvert la voie, que ce soit en se rendant seul dans la crypte du Panthéon au lendemain de son élection en 1981, ou encore en tenant la main d'Helmut Kohl, de façon très théâtrale, à Verdun en 1984. Reste la question de la relation entre l'image produite et le message. Or l'image, pour devenir icône, doit avoir une charge symbolique forte…

Tous les présidents de la Ve République ont-ils accordé à l'histoire la même importance ? Et tous lui ont-ils assigné la même fonction ?

Globalement oui. A l'exception toutefois de Valéry Giscard d'Estaing. Ce dernier est en effet le seul à avoir explicitement considéré le passé comme un poids dont il convenait de se libérer. Au point de décider de supprimer, en 1975, la commémoration du 8 mai 1945 [suppression sur laquelle François Mitterrand est revenu dès 1981]. Ou de déclarer, lors de ses vœux télévisés pour l'année 1977 : " Ne nous laissons pas accabler par les rhumatismes de l'histoire. " Giscard d'Estaing, président jeune qui se voulait moderne, était d'avis qu'une nation ne pouvait pas se tourner véritablement vers l'avenir si elle ressassait constamment son histoire.

Les autres présidents ont fait un diagnostic différent. Ils ont pensé, en effet, que l'histoire peut avoir une fonction thérapeutique. Comme si le rappel de la grandeur passée était une opération de réassurance collective en même temps qu'un acte pédagogique permettant aux Français d'être de leur temps. C'était très net chez le général de Gaulle, à une époque où le pays venait de perdre, en quelques années, son immense empire colonial. C'est encore vrai aujourd'hui avec Nicolas Sarkozy, pour qui l'évocation d'une histoire glorieuse vise explicitement à conjurer le spectre du " déclinisme ".

Le passé, toutefois, reste un domaine sensible qu'il convient de manier avec précaution. Comme le remarquait l'historien Fustel de Coulanges en 1872, l'histoire est en France " une sorte de guerre civile en permanence " qui nous a appris " à nous haïr les uns les autres ". Les présidents de la République sont donc dans une position délicate. Le passé qu'ils doivent convoquer ne doit pas diviser mais unir. Quand Jacques Chirac accueille André Malraux au Panthéon, il prend soin de préciser qu'il n'est " ni de droite ni de gauche mais de France ".

Cette nécessité d'insister sur ce qui rassemble conduit naturellement les présidents à mettre sous le boisseau les zones sensibles de notre histoire collective. Autrement dit à pratiquer une mémoire sélective, où l'oubli a toute sa place. Ce fut le cas quand Georges Pompidou décida en 1971 de gracier l'ancien milicien Paul Touvier. Plus largement, le refus – jusqu'à Jacques Chirac – de reconnaître le rôle de l'Etat français et donc la responsabilité de la France dans la déportation des juifs s'inscrit dans cette politique qui considère que l'oubli peut être nécessaire pour conjurer les divisions de la nation.

Par nécessité, les présidents de la République seraient donc tenus à un discours consensuel sur l'histoire de France. Ne leur est-il jamais arrivé de prendre des positions tranchées, quitte à se mettre en porte à faux par rapport à certaines franges de l'opinion publique ?

Si, bien sûr. Car le président est aussi celui qui, de par sa fonction, se croit en devoir de délivrer une parole d'autorité sur l'histoire. Au moment des cérémonies du bicentenaire de la Révolution française, par exemple, François Mitterrand a clairement choisi son camp. A contre-pied des analyses de François Furet sur l'" achèvement " de la Révolution, reprises par son premier ministre Michel Rocard dans le but de promouvoir une culture politique du compromis contre une culture de la conflictualité, il fit le choix de s'inscrire dans une autre tradition, née de la synthèse entre l'historiographie républicaine et la lecture économique et sociale de la Révolution défendue à l'époque par l'historien Michel Vovelle.

De tous les présidents, c'est toutefois Jacques Chirac qui a sans doute pris les positions les plus iconoclastes, par rapport à la fois à ses prédécesseurs et à sa famille politique. On l'a oublié aujourd'hui, mais son discours du Vél' d'hiv, le 16 juillet 1995, qui reconnaissait l'implication de la France dans la déportation des juifs, tout en répondant sur le fond aux attentes de l'opinion, a fortement déplu à une partie de la droite, qui campait encore à l'époque sur la ligne gaullo-mitterrandienne considérant que la République n'avait pas à rendre compte des crimes commis par Vichy.

Est-ce à dire que Jacques Chirac a été, comme l'a suggéré Nicolas Sarkozy, un défenseur acharné de la repentance ?

De son fameux discours du Vél' d'Hiv, l'opinion n'a voulu retenir que la reconnaissance des crimes de Vichy. Mais il ne faut pas oublier que Jacques Chirac y évoquait aussi les Justes qui ont incarné selon lui la vraie France, la France fidèle à ses valeurs. C'est d'ailleurs cette logique qui l'a conduit, à la fin de son second mandat, à faire entrer collectivement les Justes au Panthéon.

Fondamentalement, il me semble que le projet de Chirac a été de promouvoir sinon une mémoire plurielle de la nation du moins une " mémoire partagée " par la reconnaissance des souffrances endurées. Une mémoire dont on attend qu'elle intègre les individus et les groupes marginalisés ou exclus du " roman national " classique, voire qu'elle conjure le risque d'implosion d'un récit collectif national.

Dans un ouvrage que vous avez codirigé avec Christian Delacroix et François Dosse, et qui vient de paraître (Historicités, La Découverte), vous expliquez qu'au-delà de sa sensibilité personnelle, les prises de position de Jacques Chirac sur l'histoire s'inscrivent dans un contexte général de changement d'" économie des valeurs " qui, selon vous, daterait des années 1980. Que voulez-vous dire ?

Jusqu'aux années 1980, la parole présidentielle sur l'histoire, en France, a été structurée par une logique de la nation. Autrement dit ce qui était bon pour la nation, pour sa grandeur, pour son rayonnement et pour son expansion ne se discutait pas. Depuis une vingtaine d'années, ce type de discours est de plus en plus difficile à tenir. La valeur " nation " se trouve en effet concurrencée par d'autres valeurs, universelles, au nom desquelles les dirigeants sont désormais contraints de rendre des comptes. Dans cette nouvelle économie morale, le crime d'Etat, que l'on pouvait auparavant justifier au nom de la défense des intérêts supérieurs de la nation, est devenu injustifiable.

De même qu'il est devenu de plus en plus difficile de justifier la mort des soldats qui ont combattu pour défendre la patrie. Souvenez-vous de ce qu'a dit Jacques Chirac en 2000 à propos des millions de morts de la première guerre mondiale : " Nous nous sommes battus dans des conditions incroyables. (…) Et pour quoi faire ? Rien. " Jamais un président de la République n'avait osé remettre en cause le principe du sacrifice pour la nation, qui avait été l'un des ciments de l'idée républicaine et nationale.

Face à cela, Nicolas Sarkozy est dans une position ambivalente. D'un côté, c'est très net, il veut " réenchanter " la nation, lui redonner en tant que valeur la place centrale qu'elle avait perdue. De l'autre, il est obligé de composer avec l'héritage que lui a légué Jacques Chirac comme avec l'air du temps, ainsi que le montre par exemple sa présence, au lendemain de son élection, à la Journée nationale de la commémoration de l'esclavage créée par son prédécesseur…

Je crois que cette ambivalence est une caractéristique fondamentale du discours de Nicolas Sarkozy sur l'histoire, que je définirais comme un discours " attrape-tout ". Il suffit d'observer ce qu'il a dit à l'occasion de ses différentes interventions sur la première guerre mondiale, que ce soit lors des obsèques de Lazare Ponticelli, en mars 2008, ou en novembre de la même année à l'occasion du 90e anniversaire de l'armistice : le président, en effet, a à la fois exalté le consentement à la guerre et, en évoquant les fraternisations, le refus de combattre. C'est un discours très embarrassant, qui ne laisse plus de place à la contestation dans la mesure où il fait la synthèse de toutes les traditions historiographiques et de tous les référents mémoriels. C'est d'ailleurs une posture qui n'a rien d'improvisé, et qui correspond vraisemblablement à la volonté de son conseiller spécial Henri Guaino de casser les " affiliations " traditionnelles, de rompre avec une vision du passé structurée par des généalogies qui s'opposent. La conséquence, c'est une histoire de France à la carte, où l'on voit un président de droite puiser dans le panthéon de la gauche, en se référant par exemple à Jaurès et à Môquet. Ce geste s'apparente à un projet de dynamitage des repères structurant les antagonismes politiques.

Depuis quelques années, notamment en réaction contre la multiplication des lois dites mémorielles, de plus en plus d'historiens s'inquiètent de l'ingérence des hommes politiques dans leur travail, au point de constituer des associations, comme " Liberté pour l'histoire " ou le " Comité de vigilance face aux usages publics de l'histoire ". Quels rapports les présidents de la République ont-ils entretenus avec les historiens ?

François Mitterrand est sans doute celui qui a entretenu les relations les plus étroites avec eux, que ce soit en proclamant à plusieurs reprises sa passion pour l'histoire, en se rendant à des colloques, en accordant des entretiens à des universitaires (comme François Bédarida ou Olivier Wieviorka), ou encore en faisant ce geste très symbolique de quitter la tribune des chefs d'Etat pour venir s'asseoir au milieu des historiens lors de la parade mise en scène par Jean-Paul Goude pour le bicentenaire de la Révolution française.

Valéry Giscard d'Estaing, avant lui, avait entretenu un rapport très ambivalent avec les historiens. D'un côté il est celui qui a été soupçonné, avec la réforme Haby (1975), de vouloir réduire l'enseignement de l'histoire à la portion congrue. D'un autre côté, c'est un président qui a fait beaucoup pour la recherche. C'est sous son septennat en effet qu'a été créé l'Institut d'histoire du temps présent (IHTP) et qu'a été votée la loi de 1979 qui rend les archives publiques librement consultables au-delà d'un délai de trente ans (au lieu d'accès sur dérogation). Ce qui permit aux chercheurs, à l'époque, de consulter enfin les archives de Vichy.

Jacques Chirac, ce fut un peu la même chose : lui non plus n'était pas un président qui proclamait son amour de l'histoire, mais ce fut en même temps celui qui déclara que " ce n'est pas à la loi d'écrire l'histoire " après le tollé suscité parmi les universitaires par la loi du 23 février 2005 reconnaissant le " rôle positif de la présence française outre-mer ".

Avec Nicolas Sarkozy, la relation est beaucoup plus tendue. Si l'affaire Guy Môquet a provoqué de telles réactions, ce n'est pas seulement pour des questions de fond. C'est aussi parce que, pour la première fois, un président de la République a imposé aux enseignants de faire lire un texte dans leurs classes. Ce qui était du jamais-vu. Jusque-là, en effet, on préconisait, mais on n'obligeait pas, et l'impulsion venait du ministre, pas du président. C'est par exemple ce que fit Lionel Jospin, alors ministre de l'éducation nationale, au lendemain de la profanation du cimetière juif de Carpentras (1990), en " invitant " les enseignants à projeter le film Au revoir les enfants, de Louis Malle (1987), dans les collèges. Avec Nicolas Sarkozy, on passe de l'incitation à l'imposition. Et cela est très mal perçu dans un contexte où la résistance face à la loi de février 2005 a développé un fort climat de méfiance de la part des enseignants d'histoire vis-à-vis des initiatives du pouvoir politique.

Propos recueillis par Thomas Wieder

_________________
« Étudiez comme si vous deviez vivre toujours ; vivez comme si vous deviez mourir demain. » Isidore de Séville


Haut
 Profil  
Répondre en citant  
Afficher les messages publiés depuis :  Trier par  
Publier un nouveau sujet Répondre au sujet  [ 51 message(s) ]  Aller vers la page Précédent  1, 2, 3, 4

Le fuseau horaire est UTC+1 heure


Qui est en ligne ?

Utilisateur(s) parcourant ce forum : Aucun utilisateur inscrit et 4 invité(s)


Vous ne pouvez pas publier de nouveaux sujets dans ce forum
Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum
Vous ne pouvez pas éditer vos messages dans ce forum
Vous ne pouvez pas supprimer vos messages dans ce forum
Vous ne pouvez pas insérer de pièces jointes dans ce forum

Recherche de :
Aller vers :  





Propulsé par phpBB® Forum Software © phpBB Group
Traduction et support en françaisHébergement phpBB