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 Sujet du message : Liberté pour l'histoire
Message Publié : 30 Mars 2008 11:52 
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Le collectif "Liberté pour l'histoire" (LPH), "concurrent" du CVUH dont nous avons parlé ici même il y a peu, vient de lancer son site internet:

Citer :
L’association « Liberté pour l’histoire » est née de l’appel signé par 19 historiens
Elle a pour objet de « faire reconnaître la dimension spécifique de la recherche et de l’enseignement historiques, et de défendre la liberté d’expression des historiens contre les interventions politiques et les pressions idéologiques de toute nature et de toute origine » (article 2 de ses statuts). Elle est présidée par Pierre Nora.

Conseil d’administration : Jean-Pierre Azéma, Jean-Jacques Becker, Catherine Brice, Jean-Claude Casanova, Françoise Chandernagor, Christian Delporte, Valérie Hannin, Jean-Noël Jeanneney, Pierre Nora, Mona Ozouf, Krzysztof Pomian, Hubert Tison, Maurice Vaïsse, Michel Winock.


http://www.lph-asso.fr/

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"Il est plus beau d'éclairer que de briller" (Thomas d'Aquin).


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 Sujet du message : Re: Liberté pour l'histoire
Message Publié : 30 Mars 2008 12:28 
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Il m'a l'air plus sérieux que son concurrent ! :wink:
Les plumes qu'il contient sont des plus intéressantes... :!:

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Alphonse de Lamartine


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 Sujet du message : Re: Liberté pour l'histoire
Message Publié : 30 Mars 2008 12:41 
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Inscription : 10 Avr 2002 17:08
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Comme j'imagine que tout le monde n'est pas au fait des divergences entre le CVUH et LPH, je rappelle leur différence fondamentale:

-Le CVUH, né en réaction à la loi sur les aspects positifs de la colonisation (23 février 2005), ne s'oppose par par principe à l'existence de ce qu'il est convenu d'appeler des "lois mémorielles" (selon eux, il est légitime que la société, à travers ses représentants démocratiquement élus, se saisissent de son passé). Le CVUH n'entend donc pas lutter par principe contre toutes les "lois mémorielles" (il défend vigoureusement la loi Gayssot au titre qu'elle n'encadre pas la recherche universitaire mais l'expression publique d'opinions illégales) mais prendre part au débat qui entoure leur élaboration afin d'éviter des dérives comme l'injonction faite aux enseignants par la loi du 23 février 2005 d'enseigner comme une vérité absolue un jugement pour le moins controversé.

-LPH est un groupe si l'on peut dire beaucoup plus radical: pour ce groupe, le législateur n'a pas à intervenir dans le champ de l'histoire et toutes les "lois mémorielles" (Gayssot, Taubira, etc.) sont à condamner.

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 Sujet du message : Re: Liberté pour l'histoire
Message Publié : 30 Mars 2008 13:22 
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Plutarque
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Duc de Raguse a écrit :
Il m'a l'air plus sérieux que son concurrent ! :wink:
Les plumes qu'il contient sont des plus intéressantes... :!:


Plus sérieux ? Comment motivez-vous ce qualificatif ? Moins "gauchiste", plus "oecuménique" ? Ces césures en sciences sociales interpelleront toujours le béotien que je suis. LPH me semble juste plus radical (voire plus "réactionnaire" - le mot serait adapté s'il n'était pas aussi politiquement connoté...), pas forcément plus sérieux.
Est-on un historien sérieux lorsqu'on se propose de s'adresser à la société, en Gardien de l'Histoire Véritable, lorsqu'on lui défend les "mauvais" usages de Notre Patrimoine d'Historiens Assermentés, lorsqu'on lui refuse l'expression d'une appropriation de Notre-Histoire-à-Nous ?
Je veux bien admettre que je suis réducteur, que la question est plus compliquée, qu'il y a bien d'autres choses dans la balance... La réaction LPH-CVUH n'en est pas moins "épidermiquement" primaire (le lisse René Rémond qui s'échauffe, c'est quand même cocasse).
Je n'approuve aucune de ces deux initiatives, mais il faut reconnaître qu'il y a de belles plumes de part et d'autre (même si les secondes sont parfois bien moins connues).

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Albert Camus


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 Sujet du message : Re: Liberté pour l'histoire
Message Publié : 30 Mars 2008 17:54 
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Localisation : Provinces illyriennes
Citer :
LPH me semble juste plus radical

Absolument et il ne cherche pas à distribuer les bons et les points aux politiques contemporains. Mais, il s'attaque à tous les empiètements du politique sur l'Histoire de ses vingt denières années, son enseignement et sa diffusion auprès de nos concitoyens.

Citer :
Est-on un historien sérieux lorsqu'on se propose de s'adresser à la société, en Gardien de l'Histoire Véritable

Non, mais lorsqu'on conserve une impartialité sans failles et qu'on s'abstient d'intervenir dans le débat politique actuel.
Mon qualificatif était un peu mal choisi, car on peut très bien demeurer aussi un historien "sérieux" sans pour autant s'engager dans ce combat. Je tenais simplement à comparer les deux collectifs, au niveau de leurs buts, rien de plus.

Citer :
La réaction LPH-CVUH n'en est pas moins "épidermiquement" primaire

C'est vrai, mais on peut la comprendre lorsqu'on voit les dernières lois mémorielles ou autres interventions de politiques se servant de l'Histoire pour légitimer leur propres idées et actes.

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 Sujet du message : Re: Liberté pour l'histoire
Message Publié : 30 Mars 2008 19:21 
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Grégoire de Tours
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Duc de Raguse a écrit :
Citer :
Est-on un historien sérieux lorsqu'on se propose de s'adresser à la société, en Gardien de l'Histoire Véritable

Non, mais lorsqu'on conserve une impartialité sans failles et qu'on s'abstient d'intervenir dans le débat politique actuel.


Bon, et bien là, c'est raté puisque leur vocation est justement d'intervenir dans le débat politique actuel.
Une association, certes composée d'historiens, mais dont l'objectif est l'abrogation de plusieurs lois votées par le Parlement, si ce n'est pas une association à vocation politique, qu'est-ce donc que la politique selon vous ?

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 Sujet du message : Re: Liberté pour l'histoire
Message Publié : 30 Mars 2008 19:34 
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Philippe de Commines
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Inscription : 05 Jan 2008 16:29
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Bergame a écrit :
Duc de Raguse a écrit :
Citer :
Est-on un historien sérieux lorsqu'on se propose de s'adresser à la société, en Gardien de l'Histoire Véritable

Non, mais lorsqu'on conserve une impartialité sans failles et qu'on s'abstient d'intervenir dans le débat politique actuel.


Bon, et bien là, c'est raté puisque leur vocation est justement d'intervenir dans le débat politique actuel.
Une association, certes composée d'historiens, mais dont l'objectif est l'abrogation de plusieurs lois votées par le Parlement, si ce n'est pas une association à vocation politique, qu'est-ce donc que la politique selon vous ?


Il me semble que vous confondez Bergame : il ne s'agit pas pour eux d'intervenir dans le débat politique au moyen de leurs travaux d'historiens et de leurs publications. Je doute qu'ils s'adonnent à des ouvrages politiquement et idéologiquement orientés dans le but de peser dans le débat politique actuel.

Leurs travaux mis à part, ils se groupent en tant que citoyens dont le métier est l'étude de l'Histoire pour demander l'abrogation des lois mémorielles. Sur ce plan là, ils font de la politique oui. Ca ne devrait pas impacter leurs travaux dont on peut espérer qu'ils demeurent conformes à la prescription donnée par Duc de Raguse ci-dessus.

_________________
Les facultés de conceptualisation de l'empereur Constantin paraissent avoir été très limitées ; malgré de longues séances, les évêques ne semblent pas avoir réussi à lui faire bien comprendre la différence qui séparait l'orthodoxie de l'arianisme. (Y. Le Bohec)

Bref, un homme "au front étroit mais à la forte mâchoire" (J.P. Callu)


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 Sujet du message : Re: Liberté pour l'histoire
Message Publié : 30 Mars 2008 19:41 
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Grégoire de Tours
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Non Bergame, je crois que vous avez tort.

Il me semble que cette association est contre l'entrée intempestive des politiques dans le champ de l'histoire et ce quelle que soit leur étiquette.

L'histoire ne s'écrit pas à coup de lois. Les dérives peuvent en être dangereuses. Deux exemples ces dernières années sont là pour nous le rappeler :
- la loi de 2005 sur le rôle positif de la colonisation ;
- la non affaire "Pétré-Grenouilleau".

Une autre raison est que la plupart de ces lois ont un arrière goût électoraliste. Derrière le drap des grands mots et des grandes déclarations, se cachent des objectifs beaucoup plus terre à terre qui n'ont rien à voir avec l'histoire. La loi de 2005, le génocide arménien, la loi Taubira en sont de bons exemples.

Cette association cherche à arréter les travers des parlementaires dans le champ de l'histoire :
1) Les parlementaires s'occupent de tout, alors qu'ils n'en sont pas spécialistes ;
2) leur solution : une loi.

Résultat : cela peut terminer devant un tribunal qui décidera qui à raison ou tort. Un spécialiste du droit aura autorité devant un spécialiste de l'histoire.

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Je ne peux changer le passé
mais ne rien dire
tout en sachant
c'est être complice


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 Sujet du message : Re: Liberté pour l'histoire
Message Publié : 30 Mars 2008 20:12 
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Grégoire de Tours
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Inscription : 23 Avr 2005 10:54
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Nous n'allons pas refaire le débat, duduche, il a déjà eu lieu.
Je veux bien que l'historien, dans sa recherche, soit un être absolument impartial et objectif, dégagé de tout lien avec la société, la politique et le monde des idées, sourd aux manifestations de son ego et tout entier tourné vers la recherche de la vérité historique, nous en avons régulièrement des exemples ici même.
Mais à partir du moment où il se constitue en association pour demander l'abrogation de lois, il fait de la politique.
Si vous préférez, je le formule à la manière de Huyustus :

Huyustus a écrit :
Leurs travaux mis à part, ils se groupent en tant que citoyens dont le métier est l'étude de l'Histoire pour demander l'abrogation des lois mémorielles. Sur ce plan là, ils font de la politique oui.

C'est précisément ce que je veux dire.
En fait, la question est surtout : Est-ce qu'intervenir dans le débat politique empêche ou non d'être un historien impartial ?

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 Sujet du message : Re: Liberté pour l'histoire
Message Publié : 31 Mars 2008 19:35 
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Eginhard
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Je me permets de mettre le texte d'Henry Rousso, il est très intéressant sur la démarche de cet historien qui ne partage pas forcément toutes les revendications de LPH.
Citer :
Henry Rousso, « Pourquoi j’adhère à LPH »

Lorsque la pétition « Liberté pour l’histoire » avait été lancée, en décembre 2005, j’ai exprimé un désaccord sur un point important : l’impossibilité politique d’abolir la loi Gayssot réprimant le négationnisme. Quels que soient les défauts et les effets pervers de cette loi, la supprimer alors que la négation de la Shoah est devenue dans certains pays une idéologie d’État (notamment en Iran), me paraissait – et me paraît toujours – inopportun (« Mémoires abusives », Le Monde, 24 décembre 2005). Nous sommes là devant une situation de fait et un héritage historique qu’il faut pour l’instant assumer. On peut d’ailleurs remarquer que les critiques que les signataires de la pétition, puis les adhérents à l’association, ont formulé à l’encontre des lois et des revendications mémorielles de toute sorte, portent en grande partie sur cette incapacité à accepter une histoire révolue. Elles dénoncent précisément la tentation permanente de réécrire une histoire qui ne convient pas aux enjeux du temps présent. Il serait donc paradoxal qu’ils y succombent à leur tour.
Si j’adhère aujourd’hui à l’association « Liberté pour l’Histoire », c’est parce que je suis en accord malgré tout avec la ligne générale, pour avoir moi-même, depuis plus de vingt ans, dénoncé les risques d’une judiciarisation et d’une politisation croissante de l’écriture de l’histoire. Je suis surtout inquiet de l’inconséquence avec laquelle les plus hautes autorités de l’État jouent avec l’héritage tragique de l’histoire récente. Je suis inquiet de l’évolution actuelle d’une discipline traversée à nouveau par des conflits idéologiques souvent sommaires, où l’écriture de certains événements se fait à coup de pétitions, où réémerge une figure que l’on croyait disparue, à savoir celle de l’« historien organique », au service cette fois non plus du « peuple », mais de toutes les victimes de l’Histoire – certaines, à vrai dire, lorsqu’on y regarde de plus près...
Dans un univers qui glorifie la pluralité des interprétations du passé, parfois sans discernement aucun (d’où l’enracinement et le succès des formes de négation), et sans qu’il faille le déplorer ou s’en féliciter, il n’est pas interdit de penser que les historiens ont aussi leur mot à dire sur l’histoire. Abandonner un prétendu monopole ne doit pas signifier devenir inaudibles, ni laisser toute la place aux seuls militants, journalistes ou députés. « Corporatisme ! » criera-t-on ici ou là. Et alors ? En quoi la défense d’une vision identitaire et instrumentalisée du passé serait-elle plus louable qu’une vision qui croit encore à ces vielles lunes que sont la raison, le savoir, la distance ? Plutôt que d’être sur la défensive, les historiens doivent au contraire revendiquer une certaine posture professionnelle, laquelle conditionne leur fonction civique – et non l’inverse –, en gardant par ailleurs toute leur diversité et leurs différences de sensibilité.

Henry Rousso
25 février 2008

Les textes mis en ligne sont également très intéressants (çà rappelle l'ESD ;) ). Comme le dit Henry Rousso: "les historiens ont aussi leur mot à dire". L'association n'est peut-être pas dans un cadre historique, mais il est bon que des historiens "surveillent" la façon dont le politique utilise l'histoire. J'y vois plus un "combat" pour la matière, qu'une intervention à but politique.

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"Si, dans la pratique démocratique anglaise, l’opposition, selon un mot admirable, remplit un service public, dans les États totalitaires, l’opposition devient crime ", Raymond ARON.


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 Sujet du message : Re: Liberté pour l'histoire
Message Publié : 06 Oct 2008 17:44 
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Eginhard
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Annette Wieviorka a rejoint LPH en juin malgré quelques désaccords, le texte justifiant son adhésion porte une fois de plus matière à réflexion, et il est court ;) :
Annette Wieviorka a écrit :
21 juin 2008.
Je n'ai pas signé la pétition "liberté pour l'histoire". Mon désaccord avec son texte portait (il porte toujours) sur la loi Gayssot. Je m'en suis expliquée dans l'Histoire. Certes, cette loi est la matrice de tous les autres projets de loi. Mais elle n'a en rien limité la liberté de l'historien. Il conviendrait de faire son bilan avant d'envisager un éventuel toilettage.
Aujourd'hui, j'adhère pourtant à Liberté pour l'histoire. Parce que je suis inquiète et que je pense qu'il faut que les historiens se regroupent pour défendre ce qui fait la spécificité non d'une corporation, mais d'une discipline aujourd'hui menacée par les intrusions du politique, du juridique et plus encore par la pression sociale et médiatique qui insensiblement marginalisent tout récit critique du passé et le rendent inaudible.
En adhérant, je forme le souhait que l'association s'ouvre à toutes les sensibilités de ceux qui pratiquent notre discipline et qu'elle soit un lieu de débat. Ce qui nous rassemble est plus important que ce qui nous divise.
Annette Wieviorka
CNRS

http://www.lph-asso.fr/tribunes/43.html

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 Sujet du message : Re: Liberté pour l'histoire
Message Publié : 12 Oct 2008 8:39 
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Parution aux éditions du CNRS:

Image

Présentation de l'éditeur:
Citer :
Peut-on légiférer sur la liberté de penser ? La loi peut-elle édicter une vérité officielle ?

Loi Gayssot, loi Taubira sur la traite et l'esclavage, projets de loi sur le rôle "positif" de la colonisation ou sur la reconnaissance du génocide arménien : la concurrence mémorielle tend à déchirer le corps social et à dresser les victimes de l'histoire les unes contre les autres. Par moralisme et désir de se mettre à l'abri de tout reproche, nos politiques ont ouvert la voie à des demandes successives de pénalisation et à la sanctuarisation des mémoires particulières.

S'exprimant au nom de l'association "Liberté pour l'histoire", Françoise Chandernagor et Pierre Nora lancent un cri d'alarme. Non à la criminalisation générale du passé ! Le devoir des politiques est d'assurer l'avenir de la nation, non de fixer en dogmes son histoire. Le pouvoir ne saurait régler, encore moins arrêter, les perpétuels réaménagements de la conscience collective, le travail de la mémoire, le dialogue continué avec le passé qui est indissociable de l'exercice des libertés publiques. Une charge salutaire.

Historien, membre de l'Académie française, Pierre Nora est rédacteur en chef du Débat et l'auteur des Lieux de mémoires.

Françoise Chandernagor est romancière et membre de l'Académie Goncourt


La tribune de P. Nora dans Le Monde de samedi:

Citer :
Les historiens sont aujourd'hui appelés à se mobiliser contre l'ingérence du pouvoir politique dans le domaine de la recherche et de l'enseignement historiques et à s'insurger contre la multiplication des lois criminalisant le passé. C'est ce qui en avait motivé près d'un millier, depuis 2005, à se regrouper derrière René Rémond dans une association, Liberté pour l'Histoire.

Ce combat a pris en 2007 une dimension européenne, avec un projet de décision-cadre adoptée par le Parlement européen en première lecture. Elle instaure pour tous les "génocides, crimes de guerre à caractère raciste et crimes contre l'humanité", un délit de "banalisation grossière", et même de "complicité de banalisation" passibles de peines d'emprisonnement, quelles que soient l'époque des crimes en cause et l'autorité (politique, administrative ou judiciaire) qui les a considérés comme établis. Mesure-t-on jusqu'où c'est aller ?

La loi Gayssot, destinée en 1990 à lutter contre le négationnisme, avait créé, à propos des crimes contre l'humanité tels que définis au procès de Nuremberg, un délit de "contestation". Cette loi n'était nullement dirigée contre les historiens, mais, au contraire, contre les militants du mensonge historique. Elle a eu cependant un effet pervers : en déclenchant une émulation des groupes particuliers de mémoire qui revendiquaient pour eux-mêmes les protections que la loi Gayssot garantissait aux juifs, elle ouvrait la porte à une concurrence législative qui, elle, visait directement les historiens.

C'est ainsi qu'il y a eu, en 1992, une réforme du code pénal introduisant deux nouvelles catégories de crimes, le "génocide" et le "crime contre l'humanité" autres que le crime nazi défini en 1945. Cette réforme a rendu possible les lois mémorielles ultérieures : celle de 2001 reconnaissant le "génocide" arménien de 1915 et, la même année, la loi Taubira qualifiant de crime contre l'humanité la traite et l'esclavage perpétrés à partir du XVe siècle par les nations occidentales. Sans parler de la loi Mekachera de 2005, portant "reconnaissance de la nation en faveur des Français rapatriés" et flanquée du fameux article sur "le rôle positif de la présence française outre-mer", disposition finalement annulée en 2006 devant la levée de boucliers et l'intervention du président de la République.

Avec ce projet de décision-cadre, hélas introduit par la France, on change carrément de registre.

Il ne s'agit nullement de nier l'horreur et l'ampleur des crimes, ni la nécessité de la lutte contre le racisme et l'antisémitisme, plus urgente que jamais. Mais il faut bien comprendre qu'au nom des sentiments qui l'inspirent et des intentions qui l'animent, on est en train de nous fabriquer à échelle européenne et sur le modèle de la loi Gayssot une camisole qui contraint la recherche et paralyse l'initiative des enseignants.

Au moment de la loi Gayssot, les survivants des victimes et les orphelins étaient sous nos yeux, et les auteurs des abominations encore bien vivants. Avec la loi Taubira, on remonte à cinq ou six siècles, et avec l'Arménie, à des crimes dans lesquels la France n'a aucune part. A quand la Vendée ? A quand la Saint-Barthélemy ? A quand les albigeois, les cathares, à quand les croisades ? C'est déjà fait pour Austerlitz, où, sur l'injonction du président de la République, en 2006, avaient été annulées les festivités du bicentenaire parce que venait d'être rappelé le rétablissement de l'esclavage en Haïti par Napoléon. C'est aussi déjà fait pour Corneille, dont le quatrième centenaire de la naissance a été mis en veilleuse parce qu'on lui avait découvert des parents qui avaient trempé dans le commerce triangulaire.

Chacun peut comprendre qu'il ne s'agit aucunement pour les historiens de défendre on ne sait quel privilège corporatif ou de se barricader dans une approche scientifique du passé, insensibles à la souffrance humaine et aux plaies toujours ouvertes. Les historiens, de par leur rôle social et leurs responsabilités civiques, se trouvent être seulement en première ligne dans une affaire qui engage l'indépendance de l'esprit et les libertés démocratiques.

La notion de crime contre l'humanité est peut-être un progrès de la conscience universelle et une saine réaction devant des crimes imprescriptibles. Mais elle ne saurait s'appliquer rétroactivement ni sur le plan intellectuel, ni sur le plan moral, ni, a fortiori, sur le plan juridique.

C'est ce qui explique que des historiens et non des moindres qui, sur le moment, avaient été retenus de se joindre à nous dans la condamnation de toute forme de loi qualifiant le passé pour préserver la spécificité de la loi Gayssot, se joignent à nous aujourd'hui.

C'est ce qui explique aussi la spontanéité avec laquelle des historiens de toute l'Europe, et au-delà, se sont tournés vers nous. Parce que si la France a le triste privilège d'être la première, et même la seule, à s'être lancée dans la répression législative en série de la négation des crimes de masse, nous avions, nous, l'antériorité d'une association qui se donnait pour but de faire reconnaître la liberté des enseignants et des chercheurs contre les interventions politiques et les pressions idéologiques de toute nature et origine. Des rassemblements du même type sont en voie de se constituer, en Italie, aux Pays-Bas, ou déjà constitués, comme, en Belgique, Pléthore de mémoire.

Tout n'est peut-être pas perdu. Les responsables politiques à tous les niveaux ne paraissent pas sourds au message des historiens. Puissent-ils entendre celui que nous lançons ici !


"L'appel de Blois":

Citer :
Dans le cadre des Rendez-Vous de l'Histoire de Blois consacrés en 2008 aux Européens, Liberté pour l'Histoire invite à approuver l'appel suivant :

Inquiets des risques d'une moralisation rétrospective de l'histoire et d'une censure intellectuelle, nous en appelons à la mobilisation des historiens européens et à la sagesse des politiques.
"L'Histoire ne doit pas être l'esclave de l'actualité ni s'écrire sous la dictée de mémoires concurrentes. Dans un Etat libre, il n'appartient à aucune autorité politique de définir la vérité historique et de restreindre la liberté de l'historien sous la menace de sanctions pénales.

Aux historiens, nous demandons de rassembler leurs forces à l'intérieur de leur propre pays en y créant des structures similaires à la nôtre et, dans l'immédiat, de signer individuellement cet appel pour mettre un coup d'arrêt à la dérive des lois mémorielles.

Aux responsables politiques, nous demandons de prendre conscience que, s'il leur appartient d'entretenir la mémoire collective, ils ne doivent pas instituer, par la loi et pour le passé, des vérités d'Etat dont l'application judiciaire peut entraîner des conséquences graves pour le métier d'historien et la liberté intellectuelle en général.

En démocratie, la liberté pour l'Histoire est la liberté de tous."

Aleida et Jan Assmann (Constance et Heidelberg), Elie Barnavi (Tel-Aviv), Luigi Cajani (Rome), Hélène Carrère d'Encausse (Paris), Etienne François (Berlin),Timothy Garton Ash (Oxford), Carlo Ginzburg (Bologne), José Gotovitch (Bruxelles), Eric Hobsbawm (Londres), Jacques Le Goff (Paris), Karol Modzelewski (Varsovie), Jean Puissant (Bruxelles), Sergio Romano (Milan), Rafael Valls Montes (Valence), Henri Wesseling (La Haye), Heinrich August Winkler (Berlin), Guy Zelis (Louvain).

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 Sujet du message : Re: Liberté pour l'histoire
Message Publié : 12 Oct 2008 10:47 
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Salut !

J'interviens ici car j'ai l'impression qu'on met tout dans le même sac : je crois avoir décrit mes positions précédemment ; et je vais un peu soutenir Bergame.
Tout d'abord, il faut se rendre à l'évidence - Bergame a raison - par leurs actions (et c'est leur droit en tant que citoyens), ces historiens de LPH font ici de la politique. Louons-les : il veulent de l'objectivité dans l'étude de l'histoire. Mais voilà, ils oublient peut-être trop vite (ce qui est un comble pour des historiens) que leurs sciences est en constante réévaluation et que par le passé les historiens ont donné des lectures de l'histoire qui sont plus que contestables aujourd'hui, et qu'en ça ils ont fourni matière à faire de la politique sans passer par des lois mémorielles, mais en passant par des décrets sur l'éducation (les programmes). Prenez des manuels et des publications historiques sur 1 siècle : vous le constaterez.
Au fond, que veux dire LPH :
(1) Laissez l'histoire aux historiens, ce qui - excusez-moi du commentaire - rappelle des slogans passés et présents plus que nauséabonds, qui devraient interpeller ces historiens sur le passage de l'écriture objective de l'Histoire aux champs de l'appropriation et de l'interprétation collective.
(2) Nous sommes les plus compétents à gérer l'écriture et la réécriture objective (en fonction des données) de histoire. Cela est vrai, mais (et on en revient à la fin du point 1) : c'est oublier que l'histoire n'est pas qu'une écriture objective, mais que cette dernière - par les leçons morales qu'on en tire - prend un sens moral à une époque donnée et devient ainsi élément majeur de l'identité d'un pays.

On en vient donc à une question fondamentale : dans notre société, comment se traduit journellement (je dirai presque physiquement) la morale, son évolution propre et/ou dirigée ? Une réponse évidente : la loi.
Conclusion : il ne faut pas rejeter toutes les lois mémorielles. Il y en a de deux types :
(1) les lois qui sont faites pour dire "on ne veux plus de ça dans notre société, et on combat les derniers soubresauts de ces phénomènes" (c'est type loi Taubira) : à mon sens, celles-ci doivent être soutenues, et les historiens n'ont pas à protester : on utilise leur écriture telle quelle, et la société moralise le mécanisme décrit par les historiens. Elle dit : "on ne veut plus de ce phénomène pour x ou y raisons". Il est évident que personne ne peut remettre en cause et la Shoah et l'esclavagisme du XVII°. Faire une loi dans les deux cas, c'est important : c'est essayer de ne plus tuer une population juste pour ce qu'elle est (le racisme existe toujours et le mécanisme toujours présent dans les faits divers), et d'interdire l'objétisation des personnes (qui existe encore sporadiquement dans notre société : ouvrez les journaux !).
(2) les lois qui dictent ou qui sont contraire à la lecture "objective" de l'histoire (c'est par ex., le rôle positif de la colonisation), et qui sont là, finalement, juste pour se construire une image positive de soi. Là, les historiens ont le droit et le devoir d'intervenir : car (1) il n'y a pas de rôle positif dans les systèmes coloniaux ; car (2) une telle loi mélange écriture de l'histoire et morale au niveau même de l'écriture historique et que par cette imbrication de la morale et de l'écriture historique, le politique interdit de réévaluer cette écriture (le travail de l'historien est donc ici bloqué à la source) ; car (3) cette loi ne sert qu'à s'octroyer une image positive en tant que colonisateur, mais n'a pas véritablement d'impact sur les faits divers se produisant dans notre société. Elle permet aussi de réévaluer positivement la "françafrique". Elle ne renvoie donc pas à la société dans son ensemble, mais aux seuls politiques et à l'image qu'ils ont décidé de se donner.

Mettre tout dans le même panier et vouloir interdire tout, c'est prendre le risques de déconnecter l'identité d'un pays, d'une culture d'un de ses éléments fondamentaux. C'est prendre le risque de désagréger l'identité d'un pays. Certains à une époque ont rêvé de la "fin de l'Histoire", on est en train de le réaliser grâce à deux groupes : les Capitalistes (pour reprendre l'introduction d'Hobsbawm) et les Historiens ! C'est beau, non ?

Cordialement.


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 Sujet du message : Re: Liberté pour l'histoire
Message Publié : 12 Oct 2008 12:27 
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A lire dans le Figaro magazine de la semaine, un échange entre JC Gayssot et F. Chandernagor:

Citer :
Faut-il légiférer sur l'histoire ?
Propos recueillis par Patrice de Meritens

« N'enlevons pas au Parlement la liberté de protéger les citoyens », déclare Jean-Claude Gayssot. « Ce n'est en tout cas pas à lui de décréter la vérité historique », lui répond Françoise Chandernagor.

Le Figaro Magazine Une mission d'information de l'Assemblée nationale étudie actuellement l'impact des lois mémorielles sur notre société. Le Parlement doit-il légiférer sur l'histoire ? Ne risquons-nous pas une « guerre des mémoires », et pire encore, une mise sous tutelle des historiens ?


Françoise Chandernagor: C'est la raison pour laquelle aujourd'hui l'association Liberté pour l'histoire, fondée en 2005 par René Rémond, lance un appel à la mobi li sation pour que cette discipline ne soit pas esclave de l'actualité et ne s'écrive plus sous la dictée de mémoires concurrentes. Cet appel est signé des plus grands historiens européens *. Dans un Etat libre, il n'appartient à aucune autorité politique de définir la vérité historique ni de restreindre la liberté de l'historien sous la menace de sanctions pénales. En France, cette irruption de la loi dans l'histoire a été initiée par la loi Gayssot de 1990 qui sanctionnait le négationnisme. Elle a été suivie par la loi Taubira sur la traite des Noirs, ainsi que par deux lois sur le génocide arménien. En 2005, nous avons eu le débat sur la présence française outre-mer, avec le fameux amendement sur l'action positive de la colonisation. Et maintenant, une direc tive européenne proposée par la France... Où nous arrêterons-nous ?

Jean-Claude Gayssot : Pour autant, la loi Gayssot n'écrit ni ne réécrit l'histoire ! C'est une loi pénale visant à combattre le racisme, l'antisémitisme et la xénophobie. La Shoah a bel et bien existé ! Mais elle était si contestée à l'époque par les négationnistes qu'il fallait leur donner un coup d'arrêt. Il était néces saire de légiférer dès lors qu'existait un vide juridique dans la loi sur la presse. C'est ainsi que le négationnisme a été caractérisé comme délit. Les Nations unies l'ont stigmatisé comme le vecteur principal de l'antisémitisme. Etes-vous d'accord avec cette définition ? Si votre réponse est négative, je comprendrai que vous soyez en désaccord avec la loi Gayssot ! Si vous estimez au contraire que le négationnisme est un facteur majeur et dangereux de l'intoxication des esprits, alors n'attaquez pas cette loi et faites en sorte qu'elle soit universalisée !

Françoise Chandernagor: De toutes les lois mémorielles, la loi Gayssot est la moins mal rédigée, et elle a accru utilement les pouvoirs d'action en justice des associations de déportés. Mais elle est dangereuse dans son article 9, qui impose la vérité historique par la loi et punit de prison non la « négation », ce qui serait clair, mais la « contestation », ce qui est plus vague : dans « contestation », notre langue entend aussi « discussion ».

Jean-Claude Gayssot: Cet article 9 a été proposé par le gouvernement de l'époque. Stirbois et consorts, du Front national, ne s'y sont pas trompés, hurlant à la « loi Gayssot-Rocard » ou « Gayssot-Fabius » ! Mais je ne renie nullement cet article. Au contraire, je l'ai défendu.

Françoise Chandernagor: Ce qui me laisse rêveuse sur la façon dont s'y prennent les gouvernements pour contourner l'avis obligatoire du Conseil d'Etat... Reste que, même si votre loi s'est appuyée sur le verdict fort juste de Nuremberg, pour la première fois on a sacralisé un jugement. Jusqu'alors, les historiens pouvaient exprimer leur avis sur un jugement, sinon on ne parlerait plus aujourd'hui de « l'affaire du courrier de Lyon » ou de « l'affaire Dominici » ! Les négationnistes n'é taient pas des historiens. Mais pourquoi faire cette loi dès lors qu'ils avaient déjà été condamnés sur la base des textes existants, qui sanctionnaient l'incitation à la haine raciale, l'antisémitisme, la diffamation, etc. ? Avec cette sacralisation, vous êtes entré dans un processus dangereux. Ce n'est pas au Parlement de décréter la vérité historique. Sans vous en rendre compte, vous avez créé une machine folle, et une machine à remonter le temps ! Vous avez ouvert la voie à une compétition intense sur le passé.

Jean-Claude Gayssot: Mais non !

Françoise Chandernagor: Mais si ! A partir de là, tout le monde a voulu sacraliser le pan d'Histoire qui le concernait et que plus personne n'aurait le droit de discuter. On va même au-delà de la notion de « contestation » dans le projet européen actuellement suspendu au-dessus de la tête des historiens : sur initiative de la France, l'Union européenne va se doter d'une décision-cadre qui traitera non seulement des crimes contre l'humanité et des génocides, mais aussi des crimes de guerre, et ne sanctionnera pas seulement leur « contestation » mais leur « banalisation », quelle que soit l'époque en cause !

Jean-Claude Gayssot: Est-ce à dire que vous comptez pour rien les propos de Le Pen avec son « détail » des chambres à gaz ? Banalisation reprise récemment par le président iranien qui a réuni à Téhéran des négationnistes pour célébrer à sa manière l'holocauste...

Françoise Chandernagor: Nous ne parlons pas des dictatures comme l'Iran, mais des démocraties.

Jean-Claude Gayssot: Je reviendrai donc à la valeur sûre que constitue la loi Gayssot, qui ne s'apparente nullement aux lois mémorielles. Elle n'appelle même pas au devoir de mémoire pourtant si important à mes yeux. Citez-moi un historien sérieux qui ait été gêné par cette loi ? Citez m'en un ! La loi existe depuis dix-huit ans. Aucun historien n'a été gêné. Au contraire, elle a permis que soient condamnés des négationnistes, que leurs théories ne soient pas diffusées dans les écoles et les université ni exposées dans les vitrines des librairies, des kiosques à journaux et des encarts publicitaires dans nos gares. C'est une arme de dissuasion.

Françoise Chandernagor: Le problème est que vous avez utilisé une arme de dis suasion massive pour exterminer un petit grou pe d'imbéciles. Finalement, votre texte de circonstances a des conséquences infinies.

Jean-Claude Gayssot: Non, la loi Gayssot n'est pas une loi sur l'histoire, elle condamne la négation d'un fait jugé. Quant à la loi Taubira, que je comprends comme intégrant la dette imprescriptible que l'on a vis-à-vis des peuples d'Afrique concernés par la traite, elle permet de montrer l'importance positive pour l'humanité de l'abolition de l'esclavage, légitimé à l'époque par des théories assimilant les esclaves à des sous-hommes. Ce danger existe toujours. C'est ainsi que le prix Nobel James Watson affirme sans sourciller l'infériorité génétique des Noirs.

Françoise Chandernagor: En France, un tel propos tomberait sous le coup des lois sur le racisme et non pas de la loi Taubira laquelle, en revanche, a fait vivre un cauchemar à un universitaire reconnu, Olivier Pétré-Grenouilleau, qui avait écrit un livre sur les traites négrières. Sans dissimuler en rien la responsabilité occidentale, il avait étudié l'ensemble des traites. Mais osant évoquer la traite arabe et la traite interafricaine, il a été attaqué en vertu de la loi Taubira et accusé de « banaliser » un crime contre l'humanité. Depuis, nous avons eu les lois sur le génocide arménien de 1915, sur la France coloniale, et il y a des projets parlementaires sur le génocide ukrainien de 1932, sur le génocide vendéen de 1793, etc. A quand le procès des croisés et l'Histoire entière revue à l'aune de nos actuels critères moraux ou communautaristes ?

Jean-Claude Gayssot: Mais nous ne sommes pas les seuls, puisque l'europe a demandé qu'il y ait une amélioration des possibilités de poursuites judiciaires. L'Allemagne, la Suisse, la Belgique, l'Autriche disposent de lois similaires à la loi Gayssot, alors ne dites pas que j'ai ouvert la boîte de Pandore !

Françoise Chandernagor: Si. Car il n'y a que la France pour avoir entrepris cette politique mémorielle tous azimuts. Elle est désastreuse pour l'histoire et les historiens.

Jean-Claude Gayssot: Ce n'est pas au Parlement de faire l'histoire.

Françoise Chandernagor: J'aime à vous l'entendre dire !

Jean-Claude Gayssot: Mais il est de son devoir de veiller à ce que des faits avérés ne puissent être remis en cause avec l'objectif de perpétuer des comportements racistes. Je suis pour que les historiens puissent travailler en toute liberté et sécurité. Et ma loi le permet ! C'est le rôle du Parlement de protéger la liberté, mais ne lui enlevons pas la liberté de protéger.


Le Nouvel Observateur publie pour sa part un échange entre Pierre Nora et Claude Lanzmann:


Citer :

Jacques Julliard - Depuis quelques années, les historiens se plaignent d’une intervention croissante des pouvoirs publics dans un domaine qui, à leurs yeux, relève exclusivement de la science et de la recherche. Plusieurs épisodes sont présents aux esprits : loi Gayssot contre le négationnisme (1990) ; loi sur la reconnaissance du génocide arménien (2001) ; loi Taubira sur l’esclavage et la traite négrière (2001) ; amendement Vanneste sur les bienfaits de la colonisation (2005). On voit bien là la double prétention de l’Etat à qualifier ce qui s’est passé et à dire aux professeurs ce qu’il faut enseigner. Claude Lanzmann et Pierre Nora, vous avez été tous deux des artisans de la mémoire et de la place croissante qu’elle occupe dans nos consciences et dans l’histoire elle-même, l’un avec « Shoah », l’autre avec « les Lieux de mémoire ». Vous avez pris des positions contraires sur les lois mémorielles. Pierre Nora, vous êtes président de l’association Liberté pour l’Histoire (1) qui plaide contre ces lois dites « mémorielles » et venez de cosigner avec Françoise Chandernagor l’ouvrage « Liberté pour l’histoire », publié par CNRS Editions. Claude Lanzmann, dans un éditorial des « Temps modernes » d’abord, puis dans « Libération », vous avez vivement critiqué cette position. Pierre Nora, pouvez-vous nous rappeler le point de vue des historiens ?

Pierre Nora. - Nous nous sommes d’abord élevés contre le principe d’une législation qui qualifierait les événements du passé non pas contemporain, comme l’a fait la loi Gayssot, mais d’un passé de plus en plus lointain, comme l’esclavage, ce qui aboutit progressivement à une criminalisation rétrospective de l’histoire (2). Une vingtaine de propositions ont été déposées depuis deux ans sur des sujets qui vont de la guerre de Vendée à la Saint-Barthélemy, et jusqu’à l’Ukraine. Cette dérive législative, au demeurant exclusivement française, a été beaucoup discutée par la commission de réforme de la Constitution, qui a fini in extremis par admettre que l’on pourrait renoncer à des législations de ce type au bénéfice d’un retour au principe des résolutions telles qu’elles existaient dans la Constitution de la IVe République.

Claude Lanzmann. - Dans le premier texte pétitionnaire de Liberté pour l’Histoire, vous demandiez l’abrogation de toutes les lois dites « mémorielles », y compris et surtout la loi Gayssot, qui était la seule à m’importer vraiment. Vous semblez avoir changé, mis de l’eau dans votre vin, je m’en félicite. J’ai critiqué moi-même dans « les Temps modernes »et dans « Libération »l’escalade qui a conduit à la prolifération de lois mémorielles.

P. Nora. - Nous réclamions en réalité l’abolition des seuls articles qui, dans ces lois, induisaient une contrainte pour les historiens. Par exemple, pour la loi Gayssot, nous remettons en question son seul article 9, lequel crée un nouveau délit : celui de « contestation » de génocide. Or ce délit ne renvoie à aucune loi qui le définit, cette définition étant laissée à l’arbitraire du juge. La loi Gayssot, qui est sans doute la mieux faite de ces lois et dont on comprend bien à quoi elle répondait, n’était pas dirigée contre les historiens, mais contre les falsificateurs de l’histoire, les « négationnistes ». Mais elle a eu un effet pervers en servant de matrice à toutes les autres.

C. Lanzmann. - Je suis à la fois d’accord avec Pierre Nora et pas d’accord. Pour commencer, les « falsificateurs de l’histoire » se réclament toujours de l’histoire, se présentent comme des porteurs de vérité, non comme des idéologues fous. Je lis dans le texte de votre appel de 2005 que vous demandez « l’abrogation de ces dispositions législatives indignes d’un régime démocratique ».

P. Nora. -Oui, « ces dispositions », pas la loi elle-même ! Il s’agit du toilettage de l’article 9.

C. Lanzmann. - Mais il s’agit de l’article le plus fondamental de la loi ! Pierre Arpaillange, l’ancien garde des Sceaux, l’a d’ailleurs dit quand elle a été présentée : il complète la loi de 1972, parce qu’on s’est aperçu que cette loi, qui sanctionne l’incitation à la haine raciale, à la diffamation, etc., n’avait pas prévu que des gens allaient venir et dire : « cela n’a pas été ». Alors, pourquoi ai-je soutenu la loi Gayssot ? D’abord, je n’imagine pas entrer dans une librairie dans laquelle je verrais sur un étal des livres consacrés à la Shoah et sur un étal voisin des livres disant que « cela n’a pas été ». Si c’était le cas, dire que « cela n’a pas été » deviendrait une opinion. Entre ceux qui affirment que la Shoah a existé et ceux qui soutiennent le contraire, il s’agirait alors d’une simple affaire d’opinion, tous les opinions, goûts et couleurs étant recevables en démocratie.

Or j’ai été formé par les « Réflexions sur la question juive » de Sartre, qui disait que l’antisémitisme n’est pas une opinion, mais un crime. Pierre Nora connaît cela aussi bien que moi. C’était en 1946. Cela m’a aidé à vivre en France et à garder la tête haute. Selon la logique « démocratique » de Pierre Nora, il eût été normal que je ne m’indigne pas quand « Rivarol »,la feuille antisémite, a été autorisée à reparaître cinq ans plus tard. J’ai alors dit ma répulsion dans « les Temps modernes ». Lorsqu’on va au mémorial du Martyr juif inconnu et qu’on voit burinée sur les murs la présence massive des noms des 76.000 juifs déportés et gazés de France, on ne peut que soutenir la loi Gayssot.

P. Nora. - Mais il ne s’agit pas de cela ! Il s’agit de dire que si l’article avait visé nommément les négationnistes et qu’on n’avait pas créé un crime de contestation d’une vérité historique, on aurait limité la portée de ce crime à la négation du génocide dans des intentions antihistoriques et purement politiques. On aurait ainsi évité qu’en bout de course la France ne présente une décision-cadre à Bruxelles (3) créant, au-delà même de ce délit de « contestation », celui de « banalisation grossière » et même celui de « complicité de banalisation » applicables à tout fait historique qualifié de crime de guerre, génocide ou crime contre l’humanité par une quelconque autorité politique, administrative ou judiciaire. Cela aboutit à une sorte de glaciation de l’histoire. La menace est telle que des historiens comme Henry Rousso et Annette Wieviorka, qui n’avaient pas adhéré à Liberté pour l’Histoire par attachement à la loi Gayssot, nous rejoignent aujourd’hui.

C. Lanzmann. - Je ne comprends pas la différence que Pierre Nora établit entre le délit de négationnisme et celui de contestation d’une vérité historique. C’est la même chose. Je répète que les négationnistes ne cessent d’en appeler à l’histoire, se fondant sur de prétendus faits et que, sans la loi Gayssot, ils pourraient continuer à être d’honorables professeurs d’université, directeurs de thèses... Vous avez l’air de dire que les négationnistes sont immédiatement perçus comme une espèce à part, de doux cinglés, et que la distinction entre eux et les historiens « sérieux » s’impose d’elle-même. Si tel était le cas, aucun négationniste n’aurait débordé les limites de sa mansarde, n’aurait été nommé dans une faculté universitaire, n’aurait accédé à un poste de responsabilité.

J. Julliard. - Vous avez écrit dans l’article déjà cité une chose qui ne sera certainement pas comprise par les non-juifs : « La loi Gayssot est une garantie de protection pour toutes les victimes. » Les Arméniens n’ont pas ressenti les choses comme cela et ont considéré qu’il existait une exceptionnalité en faveur des juifs qui était choquante.

C. Lanzmann. -Eh bien, ils ont eu tort ! Je suis totalement contre l’idée de concurrence des victimes, qui me dégoûte. Je tiens au contraire qu’il y a une universalité des victimes et une universalité des bourreaux, et c’est pourquoi il n’y a aucun sens à comparer les crimes. Les Japonais qui ont commis le massacre de Nankin en 1937 sont les mêmes que les bourreaux nazis, que tous les bourreaux du monde, et les victimes sont exactement comme les victimes juives.

J. Julliard. - Auriez-vous imaginé que cette loi fasse d’autres cas particuliers que celui de la Shoah ?

C. Lanzmann. - La volonté des Arméniens de faire reconnaître les massacres de 1915 comme génocide a commencé bien avant la loi Gayssot. J’approuve Pierre Nora lorsqu’il défend des historiens tels que Bernard Lewis ou Gilles Veinstein et dénonce le « terrorisme intellectuel » dont ils font l’objet. Mais je ne suis pas d’accord lorsqu’il dit dans une interview : « Comme toutes les victimes sont mortes, les bourreaux aussi, on incrimine les historiens. » Non, ce n’est pas vrai.

P. Nora. -Il ne s’agit pas des historiens à titre personnel, mais de savoir ce qu’une approche historique du passé peut avoir de fructueux pour l’ensemble d’une collectivité. A ce titre, la liberté que défendent les historiens est celle de tous. En soi, je veux bien accorder à Claude Lanzmann l’universalité des victimes et celle des bourreaux, mais ça ne m’apporte pas grand-chose en tant qu’historien. Ce qui m’intéresse, c’est que l’histoire ne soit récrite ni par les bourreaux ni par les victimes et qu’on n’applique pas au passé une incrimination rétroactive. Or c’est ce qui se passe actuellement pour l’ensemble de l’histoire. Le crime contre l’humanité a été défini en 1945 puis, en France, en 1964 (4). C’est folie que de vouloir le plaquer rétrospectivement autrement que moralement sur l’ensemble de l’histoire. Je m’insurge contre cet éventuel esprit du temps qui amène à une criminalisation générale du passé. C’est à la fois malsain pour la collectivité, inadmissible intellectuellement et dangereux juridiquement.

C. Lanzmann. - Je ne suis pas hostile à cette analyse, et c’est d’ailleurs pourquoi je m’en tiens pour ma part à la seule loi Gayssot.

J. Julliard. - Mais cette loi, si justifiée soit-elle, n’entraîne-t-elle pas fatalement cette avalanche de demandes reconventionnelles de toutes les autres victimes ?

P. Nora. -Elle a eu un effet inattendu de ceux-là mêmes qui l’ont rédigée. Nous en sommes au point où, à la limite, un historien ne peut plus travailler sur l’histoire de la colonisation, ni de l’Arménie, ni, si les vingt lois dont je parlais tout à l’heure devaient passer, sur l’histoire de France tout entière, voire celle du monde. Pourquoi s’arrêter là, en effet, et ne pas condamner les Américains pour le génocide indien ?

C. Lanzmann. -Je suis conscient de ce qu’il y a de grotesque dans ces dérives. Pierre m’a reproché quelque part de confondre la mémoire et l’histoire et de me refuser à comprendre cette dernière, lui se mettant bien sûr du côté de la compréhension. Il ne m’a pas lu ou mal lu. Dans un texte paru dans « la Nouvelle Revue de psychanalyse », je disais, à propos du pourquoi, qu’il suffisait de poser la question au plus simple : « pourquoi les juifs ont-ils été tués ? », pour qu’elle révèle d’emblée son obscénité. Le refus de répondre à ce pourquoi n’est nullement en opposition avec l’intelligibilité. J’ai toujours dit que la Shoah était un événement historique à part entière, mais que le refus du pourquoi avait été pour moi opératoire, me permettant de garder l’étonnement, nu, radical, de diriger sur l’horreur un regard frontal.

P. Nora. - Je suis évidemment admiratif du résultat de cette démarche, le film « Shoah », mais celle-ci n’a rien à voir avec l’histoire.

C. Lanzmann. - Voire ! Je n’ai jamais prétendu faire un travail d’historien. Il n’empêche que j’ai appris beaucoup de choses aux historiens. Puisque vous citez Henry Rousso, je réponds par Pierre Vidal-Naquet, qui, après avoir vu « Shoah », a dit dans un colloque en Sorbonne, organisé par François Furet : « L’histoire est chose trop sérieuse pour être laissée aux historiens. »

J. Julliard. - Pour revenir à la question de la vérité d’Etat, pensez-vous l’un et l’autre acceptable que l’Etat professe une vérité officielle ? La démocratie s’est bâtie sur le fait que l’Etat n’avait pas de religion, et pas non plus de métaphysique. En 1825, tous les éléments libéraux se sont élevés contre une loi sur le sacrilège. Que disait cette loi ? Qu’il était sacrilège et condamnable de profaner des hosties, ce qui supposait que la présence divine dans l’hostie était vérité d’Etat. Il est évident que c’était incompatible avec le pluralisme démocratique. Si l’Etat protège l’idée que la Shoah est un fait incontestable, ne va-t-il pas devoir, par voie de conséquence, face à d’autres formes de contestation et de négationnisme, garantir d’autres événements comme des faits et se faire le bras armé d’une histoire officielle ?

C. Lanzmann. - L’Etat protège cela de toute façon : c’est enseigné dans les écoles. On s’est assez battu contre la façon scandaleuse dont les manuels scolaires parlaient de la Shoah !

P. Nora. - Il faut reconnaître le droit et le devoir des responsables politiques d’orienter la mémoire collective, d’être dépositaires du rituel de l’être-ensemble et donc d’instituer des fêtes, des commémorations, des hommages, d’organiser une forme d’enseignement, mais en aucune façon par des voies législatives ou autoritaires. Pour l’enseignement, cela doit passer par des voies administratives classiques, comme les commissions pédagogiques, pas par la loi. On ne connaît de loi créant une vérité officielle d’Etat dans aucune démocratie.

J. Julliard. - Avez-vous l’impression que, dans l’utilisation qui a été faite de l’histoire par Nicolas Sarkozy -je pense à Guy Môquet, mais aussi à Jean Jaurès et Léon Blum-, il y ait quelque chose de nouveau ou de dangereux ?

C. Lanzmann. - L’histoire est un grand vivier ; comme Pierre Vidal-Naquet, je ne vois aucune raison de la laisser aux seuls historiens.

P. Nora. -Ce n’est pas du tout nouveau, et ça n’a pas une grande importance. Il y a eu des périodes beaucoup plus dramatiques où l’on a refait l’histoire, celle de la Révolution et de l’Eglise, de l’affaire Dreyfus, de la Résistance, de Vichy... Faire de l’histoire comme Henri Guaino fait des discours, en mélangeant les références dans un lyrisme souveraino-gaulliste, est sans doute sympathique, mais sans grande portée. Sur l’affaire Guy Môquet, Liberté pour l’Histoire a réagi, car il y avait un malentendu sur le rôle historique de Môquet dans la Résistance. Quant à la proposition de Nicolas Sarkozy de faire adopter par chaque écolier une jeune victime de la Shoah, c’était inopportun. Claude Lanzmann a dit tout ce qu’il y avait à en dire.

C. Lanzmann. -Je crois que ce monde ne sait plus où il va. Comme on ne trouve pas de repères dans l’avenir, on en recherche dans le passé, un passé qu’on prétend connu et vers lequel on va pour se rassurer. C’est la raison pour laquelle, malgré tout le respect que je porte aux historiens et à l’histoire, je trouve qu’on va trop loin en disant toujours que « l’histoire jugera », que « les historiens décideront », etc. - Simone Veil le dit très souvent. On vous fait porter, Pierre Nora, un fardeau un peu lourd. On sacralise votre discipline, et vous ne pouvez pas vous empêcher d’en éprouver un certain enivrement. Autrefois, c’était la philosophie qui remplissait ce rôle. Désormais, l’histoire a tout pris, y compris la philosophie.

P. Nora. - L’historien a très largement perdu son rôle d’interprète du passé et de prophète de l’avenir, rôle à la fois de notaire et d’annonciateur. Il est concurrencé par toutes sortes d’autres parties prenantes de l’histoire : le témoin, la victime, le journaliste, le juge, le législateur. En ce sens, il est dépossédé du magistère d’interprétation qu’il pouvait avoir au temps de Lavisse. En revanche, il est effectivement sollicité de toutes parts, et je suis d’accord avec Claude Lanzmann là-dessus. L’historien n’est pas dans une position facile. En plus des pressions mémorielles, qui sont elles aussi, d’une certaine façon, des appels à l’histoire, il est sollicité par les magistrats, les juges..., et même par les romanciers, puisque l’histoire est une des grandes ressources du roman contemporain. Mais c’est plutôt un rôle d’expert qu’on lui demande de tenir, avec ce que ce rôle a d’infériorisé et néanmoins d’indispensable. Il n’est plus le magistrat du passé, comme le voulait Michelet. On veut lui faire jouer le rôle de magistrat du présent.

J. Julliard. - Autrement dit, et pour conclure, si sa profession est de chercher la vérité, il doit se garder comme du diable de prétendre la détenir.

Propos recueillis par Jacques Julliard

(1) http://www.lph-asso.fr.

(2) Liberté pour l’Histoire est née, sous la présidence de René Rémond, d’un appel lancé le 12 décembre 2005 par 19 historiens français.

(3) Projet de décision-cadre introduit par la France en 2001 et porté devant le Conseil des Ministres de l’Union en 2007, puis pour avis consultatif devant le Parlement de Strasbourg.

(4) La loi du 26 décembre 1964 a inscrit les crimes contre l’humanité dans le droit français, un unique article du Code pénal renvoyant à la charte du Tribunal militaire international de 1945 et à la résolution des Nations unies du 13 février 1946.

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 Sujet du message : Re: Liberté pour l'histoire
Message Publié : 12 Oct 2008 13:08 
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Inscription : 01 Sep 2006 8:43
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Salut !

Après lecture attentive de ces deux dialogues de sourds, on ne peut que constater une chose : dès que les deux historiens se trouvent en difficulté, invariablement ils répondent : "revenons à notre sujet" ou "ce n'est pas le sujet". C'est beau comme de l'antique.
Quant au mythe de l'auto-correction et de l'autogestion par un seul et même groupe, ... c'est de la pure fiction.

Cordialement


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