http://www.ina.fr/media/entretiens/vide ... re.fr.htmlC’est vrai, il faut se remettre dans le contexte :Fernand Braudel, au fond du centre de detention,n’a absolument aucune idée de la durée potentielle de la guerre. Comme il l’explique dans la vidéo ci-dessus, dans ces moments-là on s’accroche à l’événement. J’imagine qu’on est tellement dans le doute qu’on cherche à interpréter la moindre nouvelle comme un tournant ; mais le grand problème c’est quand la situation commence à s’éterniser. Imaginez-vous un instant à sa place (et à la place de bien d’autres dans cette situation), on commence à relativiser l’« événement »à force d’attente. Et quand on a le travail, la rigueur, les qualités d’écriture , le recul intellectuel et la mémoire dans le cas ci présent, et ben, on révolutionne la pensée historique.
L’histoire à papa, qui voit dans une bataille et à plus forte raison dans une guerre l‘alfa et l’oméga de la période historique étudiée , l’événement se retrouve recalé, non pas au rang d’anecdote – ce qui serait tout simplement faux – mais à un étage secondaire.
Et quand on y pense, c’est flagrant : si l’on prend dans le temps court les traités de Versailles (1919) et de Paris (1947). L’isolement de ces deux événements est trompeur. Quelqu’un qui ne va s’attarder que là-dessus va voir une Allemagne sur le déclin. Par contre, si l’ historien change d’échelle et choisit comme bornes chronologiques : de la Bataille de la forêt de Teutoburg jusqu’à la fin du premier mandat en 2009 de Angela Dorothea Merkel alors le déclin sera, vous en conviendrez, moins prégnant. C’est ce qu’il appelle le temps géographique.
En effet, comme il l’a été dit plus haut, dans sa préface à la Méditerranée pages 16 et 17 [édition originale, Paris, 1949, Armand Colin] M. Braudel distingue trois temps, qui lui serviront d’ailleurs de plan à ce livre qui est une somme historique qui a fait date dans l’historiographie et même dans la philosophie de l’histoire.
Le premier de ces trois temps est une histoire « quasi immobile, celle de l’homme dans ses rapports avec le milieu qui l’entoure ; une histoire lente à couler et à se transformer, faite bien souvent de retours insistants, de cycles sans cesse recommencés. » Cette histoire est pour lui presque hors du temps. Vous l’aurez compris, la volonté humaine, l’événementiel n’a absolument aucune prise sur cette géohistoire.C’est, il ne s’en cache pas, une histoire qui penche vers le déterminisme historique. Holisme, structuralisme et même téléologie sont des mots qui viennent à l’esprit en lisant les pages de la Méditerranée le monde méditerranéen à l’époque de Philippe II. Il le dit lui-même, le libre arbitre s’en trouve dès lors restreint.
Alors, bizarrement à mon sens, pour le second temps, Fernand Braudel dit qu’ il est « au-dessus »du précédent. Si je procède par élimination, je dis que dans son esprit il ne peut en aucun cas être au-dessus de la Géo histoire au niveau de l’intérêt historique ni même au niveau de son caractère décisif dans l’histoire. Alors, j’en conclus qu’il faut entendre le qualificatif d’«au-dessus »comme à la surface. Je crois, mais je peux me tromper, que ce temps est superficiel au regard du premier temps. Il dit qu’il « dirait volontiers si l’ expression n’avait pas été détournée de son sens plein, une histoire sociale celle des groupes et des groupements. » Nous pouvons y voir les économies et les états, les sociétés, les civilisations et surtout (il va largement le développer dans ce tome II) la guerre. Est-ce que vous avez déjà vu des études scientifiques sur les mouvements de foule, c’est impressionnant, on est un peu dedans ici.Ce niveau historique existe, il a les heures de gloire de l’école des annales, mais ce n’est certainement pas lui qui décide en dernier ressort : c’est bien la géo histoire.
Elle a été mise en avant par les prédécesseurs de Fernand Braudel parce que, le roi, le général le cardinal ou le sultan et même, cela peut arriver, le pecno lambda peut changer le cours de l’histoire. Je crois que ces distinctions temporelles soulignées par Braudel permettent de remettre l’homme à sa place. Au regard de la Terre, du système solaire ou de l’univers la volonté de Louis XIV ou d’Alexandre le Grand semble ridicule. Est-ce que vous avez le vertige avec moi ?
Continuons, la dernière forme de temps est celle de l’individu, l’histoire événementielle de François Simiand : « une agitation de surface, les vagues que les marées soulèvent sur leur puissant mouvement.Une histoire à oscillations brèves, rapides, nerveuses. »
Il nous dit qu’elle est la plus passionnante mais aussi la plus dangereuse !c’est l’histoire des chroniqueurs, telle que les contemporains l’ont ressentis. Pas d’histoire sans cette forme d’histoire !
Mais attention, pensons à l’évolution des espèces de Darwin, vous pouvez toujours la chercher dans du Froissart, amusez-vous bien…
Alors, Fernand Braudel a distingué ces trois temps, mais il le dit lui-même, il y a une infinité de temps différents imbriqués les uns dans les autres avec des rythmes propres, des importances propres, des mécanismes propres etc.
Est-ce que vous serez d’accord pour dire que Fernand a, à lui seul, révolutionné l’Histoire de l’Histoire ? J’espère que non… Sinon, c’est que j’ai mal argumenté.
Dire cela, reviendrait à rester dans l’événementiel. En effet, il s’inscrit dans un mouvement de pensée très long. Ce n’est pas nouveau, de vouloir regarder l’Histoire à grande échelle. Comme ça, à la louche, je pense à Nietzsche (l’éternel retour), Hegel et sa philosophie de l’histoire, ou même Marx qui dès 1848 dans le manifeste du parti communiste travaillait déjà dans le temps long.Bien sûr, comme tout, ceci est discutable. Pensons à Raymond Aron qui dans la philosophie de l’Histoire nous apprend à nous méfier de la généalogie en matière de courants politiques ou historiques : je ne peux pas vous dire à quelle page parce que je n’ai pas l’ouvrage sous les yeux, mais à un moment il dit quelque chose comme : « le communisme et le national-socialisme se trouvent tout deux des racines dans la pensée allemande. C’est vrai, mais qui peut dire qu’un courant historique va naître ex nihilo ?
Bon, je divague. En ce qui concerne l’ initiation par Fernand Braudel, pourquoi pas ? Mais c’est vrai qu’il faut d’abord établir quelque cadres historiques. Mais après tout, la richesse de l’ouvrage, en elle-même, vous donnera certains cadres solides pour l’époque moderne.
A vous et bien à vous.