Les statistique ne portent pas sur des phénomènes isolés.
J'illustre :
95% des ménagères possèdent du poivre = consommation de masse De telles statistiques laissent de côté les trajectoires personnelles, comme par exemple les usages que telle ménagère fait de son poivre : les aliments et épices avec lesquels elle le combine.
0.1 ‰ des possesseurs de marteau tuent quelqu'un à coups de marteau De telles statistiques portent sur l'usage que tels possesseurs de marteau en ont fait. Celà dit, elles laissent de côté un certain nombre d'aspects qui déterminent les trajectoires personnelles : motifs, statut de la victime, statut du criminel, contexte, etc.
0.05 ‰ des hommes possesseurs de marteau tuent leur femme à coup de marteau De telles statistiques recouvrent, cette fois, le "statut du criminel" et celui de la victime, mais laissent de côté les motifs, le contexte, etc.
Les statistiques préfèrent s'appliquer aux phénomènes de masse. Chaque fois que l'on veut affiner et saisir "les trajectoires personnelles" à l'aide des statistiques, le pourcentage s'annonce de moins en moins élevé, le phénomène de plus en plus rare.
C'est ainsi que Certeau, dans sa "sociologie", critiquait les statistiques parce que, disait-il, "elles oublient les trajectoires personnelles". Il portait son travail sur les "héros du quotidien" - j'aime bien cette expression.
En outre, en matière de statistiques, il faut tenir compte des institutions qui génèrent les statistiques. Par exemple pour une statistique "20% des psychotiques ont été hospitalisés au moins une fois", il y a à tenir compte des institutions qui définissent le terme "psychotique" pour savoir ce qu'il recouvre, mais aussi pour savoir comment elles sont arrivés à ce résultat, quelles furent leur consignes, leurs auditoires, leurs appareillage pratique, le répertoire culturel qui a motivé cette démarche, etc.
Si Foucault s'intéresse aux statistiques et en reste au phénomènes de masse, clivant le monde en "opresseurs / opprimés" (que les oppresseurs soient les garants de la raison comme c'est le cas dans "Histoire de la folie à l'âge classic" ou qu'ils soient garants de la morale comme c'est le cas dans "Surveiller et punir"), Certeau s'intéresse aux trajectoires personnelles et se méfie des statistiques. Ainsi dit-il "il y a consommation en masse de tel ouvrage, mais chaque lecteur choisi les passages, les asssimile à sa manière, il les travaille et le texte le travaille à son tour ; le lecteur est un braconneur", et c'est identique vis-à-vis des consommations de produits alimentaires (comme dans le cas du poivre).
Alors je demande : quid de l'Histoire, de son rapport à la "sociologie statisticienne" ?
_________________ « Suffering also has its worth. Through sorrow, pride is driven out, and pity felt for those who wander in samsara; Evil is avoided, goodness seems delightful. »
Shantideva
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