Aspasie mineure a écrit :
Dans le même ordre d'idée, ou peut-être en déplaçant légèrement la problématique, je rapporte une phrase entendue hier matin à la radio (le journaliste commentait la presse écrite et en lisait les titres) : "il y a toujours des pays où les relations sexuelles entre adultes consentants de même sexe sont interdites, même aujourd'hui".
Je ne vois pas en quoi cette phrase pose problème.
La donnée de base, incompressible : il y a toujours eu, et il y aura toujours des homosexuels.
(j'ai été surpris de lire le chiffre de 6% de la population adulte, pour la France, mais peu importe. Enfin, si. Pour être sincère, ce chiffre m'a aidé à comprendre qu'il ne s'agissait pas d'une question marginale, qu'elle concernait beaucoup de gens. Il s'agit de savoir si on en fait une caste d'intouchables, une catégorie de sous-citoyens, ou pas.)
Ce n'est pas une question de modernité. Ce qui est en cause, c'est la capacité d'une société à prendre la réalité telle qu'elle est, ou à la peindre à ses couleurs idéologiques, religieuses,etc... Cette seconde attitude revient à inventer des problèmes là où il n'y en a pas, et à maltraiter une partie de sa population sans justification valable.
Citer :
C'est sur "toujours" et "même aujourd'hui" que je m'interroge. Avec cette idée sous-jacente que nous autres _ contemporains, occidentaux _ sommes plus évolués, plus civilisés que nos ancêtres et nos voisins, et que nous évoluons toujours vers plus de civilité, ou plutôt de civilisation. Or, cette idée de progrès inéluctable _ qui nous fait considérer les autres (ancêtres et voisins) comme en marche sur la même route que nous, vers ce que nous sommes aujourd'hui, mais moins avancés _ me semble un pur produit de la Modernité, celle qui nait en Europe à la Renaissance.
Hé oui, il y a "toujours, même aujourd'hui", des pays qui prétendent qu'il n'y a pas d'homosexuels dans leur population, ou qu'il s'agit de pervers qui doivent être punis. C'est un déni de réalité, qui ne relève en rien d'une différence culturelle respectable. (Allez donc demander leur avis aux victimes.)
La diversité des sociétés parmi les nations démocratiques montre assez qu'il n'y a pas UNE route vers LE progrès. Prenez (au hasard) l'Italie, la Suède, la Corée du Sud ou le Chili, et vous constatez que des modes de vie, des cultures, des organisations sociales très différents coexistent : la démocratie n'est pas niveleuse à ce point.
Mais pousser le relativisme culturel jusqu'à trouver normal qu'une société maltraite systématiquement une partie de sa population ce n'est plus de la tolérance, c'est de la complicité.
Quant à l'idée d'une marche automatique et sans régression vers le progrès, si elle était très répandue - en Europe - en 1900, il me semble que le 20ème siècle a largement montré que ce n'était pas si simple.
Huyustus a écrit :
Je n'avais pas abordé ce texte sous l'angle des "progrès moraux" supposés de la civilisation, ni même du relativisme moral.
Je pensais plutôt à la réponse de Finkielkraut, et en particulier à cette phrase :
"Si on choisit, en effet, d'adopter vis-à-vis du passé la posture du procureur antifasciste, antiraciste, antisexiste, antihomophobe, radicalement égalitaire et fier de toutes les Pride, alors aucun philosophe, aucun artiste, aucun écrivain n'arrive à la cheville des militants d'Act Up ou même des lecteurs de Télérama."
C'est en effet une autre problématique : quelle place laissons-nous aujourd'hui aux mal-pensants, aux originaux, aux provocateurs ? Ce regard aseptisé constitue un problème très actuel.
A fortiori si on prétend juger le passé à ces mêmes critères normatifs.
Intéressant de noter aussi que cette même société qui ne supporte pas le moindre écart à la norme (c'est un fumeur qui parle) s'accommode assez bien de zones de non-droit où règne un niveau de violence inacceptable.