C'est intéressant ; j'ai réfléchi récemment à un phénomène voisin, qui voudrait que l'on ne pense jamais l'homme du passé comme étant semblable à nous, mais plutôt comme différent, de diverses manières, l'une de ces manières étant l'homme "stupide" ou tout bonnement "barbare".
Pour revenir au sujet d'origine, et comme l'ont évoqué certains, il me semble surtout que cela relève du repoussoir. Exemple-type : les nazis. Je me souviens d'une discussion que j'avais eue avec quelqu'un, à la suite du fameux film
La Chute que l'on accusait de rendre Hitler "humain", argument que mon interlocutrice soutenait. Mais il est humain, lui répondais-je (d'ailleurs, l'on m'a rapporté que les études sur les Einsatzgruppen et la "Shoah par balles", de Mr Desbois je crois, amènent également ce constat que les membres de ces commandos d'extermination étaient très "humains", pères de famille, etc. et non des bourreaux fanatiques et assoiffés de sang...). Etant humain, il n'est pas fondamentalement différent de nous et nous aussi, aurions peut-être été nazis si nous avions été dans ce contexte (spéculation sans intérêt, bien sûr, car il ne s'agit plus alors vraiment de "nous", mais bref). Réponse péremptoire : "ah non ! Moi, je n'aurais jamais été une nazie !".
Le nazi, l'esclavagiste, le massacreur... Autant de "monstres" que l'on créé, nous, souvent à partir de sources contemporaines qui déjà, créaient ce monstre, pour diverses raisons... bien plus complexes, à mon avis, que la bipartition bourreaux/victimes. Mais en fait, dans ces "jugements moraux" il s'agit bien plus de notre société et de nous, que de la société de ceux sur qui le jugement est porté.
Je me souviens avoir vu, chez un bouquiniste, un livre datant des années 30 sur les "crimes de l'Inquisition espagnole". Dedans, il y avait tout ce qu'il faut : sur la couverture, l'on voyait une femme presque nue, éplorée, tourmentée par un espèce de type en robe du Ku Klux Klan, mais rouge. À l'intérieur, ce n'étaient qu'histoires de moines violant des femmes, et voulant en plus "briser leur âme", les humilier, confisquer leurs biens, pervertir leurs filles, bref, on aurait dit du Sade... Mais le tout était présenté comme historique, et dans sa préface, l'auteur affirmait qu'il convenait de se renseigner sur de tels abus et horreurs, pour savoir de quoi était et est encore capable l'Eglise catholique.
S'agit-il là du point de vue des "victimes" ou de celui des "bourreaux" ? Ni l'un ni l'autre ! L'Inquisition n'était pas un pique-nique en famille et elle fut critiquée à l'époque par certains, mais je ne crois pas que ce brave auteur ait trouvé cela dans des sources du temps. Pour avoir un peu parcouru (sujet d'agreg, n'est-ce pas) l'iconographie présentant des massacres plus ou moins phantasmés (par les catholiques ou les protestants) je n'ai rien vu qui s'approche de ces récits abracadabrantesques. Il s'agit bien plutôt d'une collection de mythes qui me semblent surtout avoir à voir avec la période romantique (voir par exemple l'oeuvre de jeunesse de Mérimée,
Le théâtre de Clara Gazul, où l'on trouve des inquisiteurs concupiscents). Mais là où Mérimée était ironique et littéraire, notre auteur devient sérieux et prétendument historique, à des fins de repoussoir : en l'occurrence, honnir l'Eglise catholique, d'une part, et aussi, sans doute, souligner qu'en ces temps lointains où l'Eglise régnait, c'était vraiment l'horreur, tandis que maintenant, grâce au Progrès...
Tout ça pour dire que je ne vois vraiment pas l'intérêt, mais bien les nombreux dangers, de ces jugements moraux, ou de ces "bilans" que l'on cherche à établir et à déterminer comme "globalement positifs" ou non, comme disait Mr Marchais.
(PS : si jamais ça vous intéresse,
un texte que j'ai écrit sur la question plus générale de "ces hommes du passé que l'on considère comme des étrangers").