Cuchlainn a écrit :
Narduccio, bien que dans l'ensemble je sois d'accord avec vous, je trouve votre argumentaire inexact, Si je comprends bien où Atahualpa veut en venir. Vous travaillez à la sécurité d'une centrale. S'il n'y a pas d'accident, les historiens diront : c'était inévitable, il y avait des personnels chargés de réduire les risques grâce à des techniques inventées à tel moment, des moyens qui ont toujours été suffisants, etc. Donc l'accident ne pouvait pas se produire. Inversement, si l'on s'en tient à "La vérité sur Tchernobyl" de Medvedev (c'est juste pour l'exemple, pas pour la dissertation technique), l'accident de 1986 a eu lieu parce qu'il ne pouvait pas en être autrement à partir du moment où on réunit ce qui a été réuni : réacteur instable par conception, essais dangereux imposés d'en haut, sécurités débranchées, incompétents aux dents longues aux postes clés. Ici l'historien (assisté du physicien
) dit : d'après ce que je sais des causes qui étaient réunies, ces essais ne pouvaient pas bien se terminer. Et ainsi, quand je tiens tous les fils dans ma main, je sais que l'accident était inéluctable.
Excellent exemple. En fait Medvedev a raison, mais à quelques conditions précises et qui peuvent bien démontrer mon propos.
Medvedev a raison s'il dit que toutes les conditions étaient réunies le 26 avril 1986 à 1h 23mn et 43 secondes pour que le réacteur explose. Mais, il y a eu plusieurs erreurs humaines, certaines peuvent être dues à la fatigue accumulées par des gens qui attendaient de pouvoir réaliser cet essais qui était initialement prévu dans l'après-midi du 25/04/1986. Si l'essai avait eu lieu à la bonne heure
ou si la puissance n'était pas resté pendant plusieurs heures à ce niveau intermédiaire mais avait été remonté
ou s'il n'y avait pas eu les erreurs techniques
ou si les exploitants avaient décidé de suspendre l'essai à la première anomalie ... l'explosion du réacteur n'aurait pas eu lieu.
Medvedev a aussi raison s'il dit qu'un réacteur de ce type aurait sûrement eu un accident entrainant sa destruction un jour ou l'autre. Ce type de réacteur devenait fortement instable dans certaines conditions de fonctionnement
et ce fait était inconnu par les ingénieurs chargés de l'exploiter.
Mais, il faut un certain nombre de conditions, de ficelles pour amener une catastrophe de ce type. Or, on considère souvent qu'il suffit de couper l'une des ficelles pour que l'accident n'ai pas lieu. Il faut que toutes les conditions soient réunies pour la survenue d'un évènement. Mais il suffit qu'une seule ne le soit pas pour que l'évènement n'intervienne pas.
Quand on cherche les causes d'un évènements, on fait un arbre des causes ou l'on cherche toutes les conditions qui ont déterminé la survenue de cet évènement et seulement ces causes : les évènements déclencheurs. En fait, quand on fait des études des facteurs humains, on s'attache aussi à trouver les actions inappropriées qui ont facilité la survenue de l'accident.
Mais, on analyse là souvent des systèmes finis avec peu de paramètres à prendre en compte. En histoire, la plupart des évènements mettent en cause un nombre d'éléments supérieurs.
Prenons un système simple : une roulette de casino. Je décide de mettre tous les éléments de mon coté et de gagner à coup sûr. Admettons que j'ai des moyens illimités. Je décide de modéliser le fonctionnement d'une roulette précise d'un casino précis. Je commence par relever un tas de paramètres physiques. Les dimensions et les compositions de divers éléments, les propriétés physiques de ces éléments, leurs interactions ...
Bien vite j'arrive à faire un modèle précis de ma roulette et mon programme me permet de déterminer que quand le croupier lance sa bille à un certain moment, avec une certaine position de mon plateau, j'obtiens une case sur laquelle la bille doit s'arrêter.
Je vais dans mon casino et là, je découvrez que les résultats ne correspondent pas à mon modèle ...
C'est du à un tas d'incertitudes. Le croupier ne lance pas toujours la roulette de la même façon, ni avec la même force. Mais le plateau n'a pas toujours la même vitesse, le bois du plateau n'est pas tout à fait aussi lisse partout, la bille n'es pas une sphère parfaite ...
Comme j'ai des moyens illimités et que je suis copain avec le directeur, je reçoit le droit d'instrumenter cette roulette. Mais, plus j'ai de paramètres et plus le résultat devient aléatoire. En fait, il est impossible d'atteindre de bons résultats parce que le nombre de paramètres et d'incertitudes à prendre en compte est trop grand. Cela, même si j'élimine le facteur humain en mettant un piston calibré pour lancer la bille ...
Pourtant, si je simule une roulette moyenne correspondant au fonctionnement moyen de toutes les roulettes du monde en utilisant certains outils mathématiques, je peux déterminer des solutions moyennes. En fait, si je fais 10 000 lancers dans les mêmes conditions, j'aurais un certain pourcentage de lancers qui me donnera le même résultat que celui de mon modèle informatique. Mais, cela me donne juste une probabilité dans le cas ou je ne regarde que le fonctionnement d'une seule roulette.
Pendant longtemps, on a cru que certains systèmes avaient un fonctionnement imprévisible parce que l'on ne pourrait pas connaitre l'état de tous les éléments à prendre en compte. Comment va réagir une foule ? Il faudrait savoir comment chaque personne de cette foule va réagir. En fait, on s'est rendu compte que c'était faux. C'est faux parce qu'il existe des systèmes simples qui ont un comportement erratique. Pour les décrire, on a inventé
la théorie du Chaos.Certains diront : tout cela est bien joli, mais ça concerne des sciences dures ou l'histoire est une science humaine.
En fait l'histoire mêle des éléments complexes et des éléments humains.
Prenons notre histoire de tirs de barrages. On peut déterminer le pourcentage de chance de traverser un tir de barrage en fonction de divers paramètres : nombre de canons, types, densités, taille du terrain bombardé .... Mais, on ne pourra jamais dire avant si une personne sortira de la zone sans dommages ou pas. Il y a trop d'incertitudes. Après, il est facile d'y voir la main du destin. Ça, c'est pour les éléments physiques.
Mais, il y a aussi des éléments humains. La personne qui traverse la zone exposée va réagir en fonction de divers éléments qui tiennent pour la plupart du hasard ou de sa perception du danger.
Des éthologues animaliers ont fait des études, au départ, il s'agissait de comprendre le comportement des proies acculées. En fait, on s'est aperçu que la proie à le choix entre 3 choix : ne rien faire, partir vers la droite ou partir vers la gauche (on simplifie et on oublie les diverses tentatives de feintes). En fait, le plus mauvais choix est de ne rien faire ou de réagir trop tard. Le prédateur quand il est suffisamment proche blessant souvent mortellement au plus vite sa proie. Les proies qui réagissent rapidement et d'instinct ont plus de chances de s'en sortir. Simplement parce que le prédateur cherche aussi à anticiper le comportement de sa proie.
Bref, ce comportement, nous l'avons aussi en nous, c'est un comportement instinctif qui nous fait réagir en cas de stress, quand la décision est bonne, on appelle cela le bon stress. Quand elle est mauvaise, c'est le mauvais stress qui nous déglingue la vie.
Notre bonhomme dans son champ de mine à aussi ces comportements primitifs et d'autres qui le sont moins. Quelqu'un de très croyant peut très bien décider de rester sur place sans bouger, comptant sur l'aide de son Dieu pour s'en sortir vivant. C'est un choix qui peut se relever gagnant, il suffit que la zone ou il se tienne soit une zone donc la probabilité de recevoir un obus soit faible ... ou qu'il ai de la chance.
Il y a tant de paramètres, qu'il est facile de se replier sur du déterminisme. Mais, en fait, il est impossible de déterminer toutes les ficelles qui conduisent à la survenue de la plupart des évènements historiques qu'il est impossible de dire, c'est évènement est survenu parce qu'il était impossible qu'il ne survienne pas. Il aurait souvent suffi d'un rien, d'un obus déstabilisé par le vent d'un autre, d'une charge de poudre plus faible de quelques grammes, ou de quelqu'un qui courre plus vite, ou moins vite.