J'aimerais répondre sur le fond. Je précise parce que cela va entrainer une réponse assez longue ...
En histoire, mais c'est vrai dans le domaine scientifique, on est obligé de faire confiance à la communauté des spécialistes du domaine. Mais ceux-ci ont édicté des règles qui permettent de garantir que le travail soit fait de manière à qu'on puisse y faire confiance. Ces règles sont
la méthode scientifique en sciences et on en a extrapolé
la méthode historique pour l'histoire. On a déjà débattu de la méthode dans au moins une longue discussion, donc j'invite ceux qui désirent en savoir plus de retrouver cette discussion. Désolé, autrement ça va devenir trop touffu.
Donc, la question de base est : on me demande de faire confiance aux spécialistes, mais quelles sont les bases qui leur permettent d'affirmer ceci ou cela et comment puis-je savoir qu'on ne me balade pas. Il est brai qu'en ce moment la tendance est de remettre en cause le savoir des savants et de l'opposer au savoirs populaires et au bon sens populaire ...
Il faut savoir que c'est aux environs du XVII-XVIII ème siècle qu'on voit disparaitre les derniers savants "généralistes" au savoir encyclopédique. Donc,qui savaient tout sur tout. En fait, le savoir accumulé par l'humanité est tel qu'il est impossible à un
"honnête homme" de l'enserrer tout entier dans son esprit. Dans certains domaines pointus, il n'y a pas plus de 50 personnes dans le monde capables de participer à une conversation entre spécialistes. Par conséquent, les autres, donc nous, le reste du public, nous devons leur faire confiance.
Mais, justement, il ne s'agit pas d'une confiance aveugle, mais d'une confiance éclairée. Et pour cela, on se base sur les diverses communautés qui elles se basent sur une critique raisonnée de chacune des thèses pour les accepter comme faisant partie ou non du savoir accepté.
En histoires, les choses se compliquent un peu (je précise que je laisse volontairement la préhistoire de coté pour ne pas trop alourdir mon propos, je pourrais y revenir plus tard en cas de besoin). Elles se compliquent puisqu'il s'agit d'une science sociale qui rapporte des faits comme ils se sont déroulés. Bon, soyons honnêtes, ma phrase précédente est fausse et je l'ai fait exprès. Ma phrase est la perception qu'en ont la plupart des gens, dans la réalité, il faudrait dire au lieu de "comme ils se sont déroulés", "comme ils ont été rapportés par les contemporains". Les historiens travaillent surtout avec des documents écrits, on va parler un peu plus loin des sources primaires et des sources secondaires. Ils utilisent aussi les artefacts qui restent des périodes concernées, depuis quelques temps, on utilise aussi des éléments issus de l'archéologie préventive qu'on applique à des périodes de plus en plus proches de nous (et qui étonnamment nous apprennent pas mal de choses sur des passés assez récents et qui parfois viennent contredire les témoignages ...).
Pour les époques plus récentes, on utilise aussi des artefacts qui apportent pas mal de détails comme les photos, les films, les bandes magnétiques sonores ou vidéos, les disques, ...
Revenons aux sources, j'ai parlé de sources primaires et secondaires. Les sources primaires sont les documents écrits par des participants aux évènements relatés ou par des témoins directs. On aurait tendance à leur faire confiance. On a eu tendance à leur faire trop confiance. Les études menées par divers sociologues ou criminologues sur les témoignages montrent qu'il faut toujours avoir un esprit critique quand on examine un document. A-t-il été écrit juste après l'évènement, quelques jours après, ou quelques années après. En fait, et vous pouvez en faire l'expérience très simplement, notre perception d'un évènement évolue au fil du temps. Notre cerveau réécrit en permanence nos souvenirs. De plus, ils ne seront pas stockés dans la même mémoire s'ils viennent de se passer ou s'ils se sont passés il y a quelques jours. Or, en les transférant de la mémoire immédiate à la mémoire long terme, on a tendance à standardiser certains détails sûrement pour gagner de la place de stockage.
De plus, un participant à un évènement à tendance à raconter les choses telles qu'il les ressent et pas telles qu'elles se sont passées. Un témoin externe est souvent plus impartial. Et là, on reste dans les cas où les témoins cherchent à raconter "la" vérité et pas à mentir...
Le problème est que pour certaines périodes des sources primaires, on n'en a pas beaucoup. Ne serait-ce que parce qu'il n'y avait que peu de personnes qui savaient écrire.
Après, il y a les sources "secondaires", parfois, c'est un peu l'homme qui a vu l'homme qui a vu l'ours ... Le terme sources secondaires regroupe toutes les chroniques, tous les documents qui sont des récits de témoins indirects ou de rapporteurs divers. Parfois, quand le travail de compilation est bien fait avec un esprit critique, on peut autant leur faire confiance qu'à nos meilleurs historiens actuels. Mais certains chroniqueurs ont fait juste un recensement d'anecdotes avec parfois une tendance à privilégier le sensationnel.
L'historien, lui, va se servir de l'ensemble des sources primaires et secondaires racontant un évènement pour essayer d'approcher au plus près la réalité de l'époque. Ce point est important, parce qu'à certaines périodes, certains des chroniqueurs ont eu tendance à tout transcrire en fonction de leur vécu immédiat (comme les tableaux représentants des cènes antiques avec des habits de la Renaissance).
Un dernier détail qui a son importance, quelques soient les sources, ceux qui ont écrit ont souvent tendance à ne pas expliciter ce qui est normal pour les gens de l'époque et du lieu concerné. Et c'est normal, ceux d'entre nous qui prennent le métro pour un déplacement vont-ils raconter comment ils ont fait pour accéder à la voiture ? Éventuellement, ils parleront de l'attente sur le quai, si elle est exceptionnellement courte ou longue. Mais, le reste nous parais normal et logique. Pourtant, pour un historien du XXIIIème siècle, ce sera peut-être un détail important permettant de mieux comprendre notre mode de vie.