Vos remarques sont très intéressantes. Mais, si nous revenions sur ce fameux "roman national" estampillé par Lavisse ?
Il est clair qu'on fait dire et faire à nos aïeux, ce que les contemporains ne sont plus en mesure de faire. Si le cadrage des programmes d'histoire de 1882 correspond à ce qu'on peut critiquer dans le "roman national", c'est-à-dire une succession chronologique un peu fade de rois, personnages et guerres, Ferry et Levasseur ne souhaitaient certainement pas que l'instituteur en restât là.
Voici les "fameux" programmes :
Citer :
- Cours élémentaire : Récits et entretiens familiers sur les plus grands personnages et les faits principaux de l’histoire nationale, jusqu’au commencement de la guerre de Cent ans.
- Cours moyen : Cours élémentaire d’histoire de France, insistant exclusivement sur les faits essentiels depuis la guerre de Cent ans.
Exemple de répartition trimestrielle :
1er trimestre : de 1328 à 1610
2e trimestre : de 1610 à 1789
3e trimestre : de 1789 à nos jours
4e trimestre : révision
- Cours supérieur : Notions très élémentaires d’histoire générale : pour l’antiquité, l’Égypte, les Juifs, la Grèce, Rome ; pour le moyen âge et les temps modernes, grands événements étudiés surtout dans leurs rapports avec l’histoire de France.
Révision méthodique de l’histoire de France ; étude plus approfondie de la période moderne.
Mais, en lisant mieux les instructions officielles, on se rend compte qu'on ne se place pas dans une méthode machinale, sans la nécessaire compréhension des objets historiques étudiés :
Citer :
La seule méthode qui convienne à l'enseignement primaire est celle qui fait intervenir tour à tour le maître et les élèves, qui entretient pour ainsi dire entre eux et lui un continuel échange d’idées sous des formes variées, souples et ingénieusement graduées. Le maître part toujours de ce que les entants savent, et, procédant du connu à l'inconnu, du facile au difficile, il les conduit, par l’enchaînement des questions orales ou des devoirs écrits, à découvrir les conséquences d'un principe, les applications d’une règle, ou inversement les principes et les règles qu'ils ont déjà inconsciemment appliquées.
En tout enseignement, le maître, pour commencer, se sert d'objets sensibles, fait voir et toucher les choses, met les enfants en présence de réalités concrètes, puis peu à peu il les exerce à en dégager l’idée abstraite, à comparer, à généraliser, à raisonner sans le secours d’exemples matériels.
C’est donc par un appel incessant à l’attention, au jugement, à la spontanéité intellectuelle de l’élève que l’enseignement primaire peut se soutenir. Il est essentiellement intuitif et pratique : intuitif, c’est-à-dire qu’il compte avant tout sur le bon sens naturel, sur la force de l’évidence, sur cette puissance innée qu’a l’esprit humain de saisir du premier regard et sans démonstration non pas toutes les vérités, mais les vérités les plus simples et les plus fondamentales ; pratique, c’est-à-dire qu’il ne perd jamais de vue que les élèves de l’école primaire n’ont pas de temps à perdre en discussions oiseuses, en théories savantes, en curiosités scolastiques, et que ce n’est pas trop de cinq à six années de séjour à l’école pour les munir du petit trésor d’idées dont ils ont strictement besoin et surtout pour les mettre en état de le conserver et de le grossir dans la suite.
C’est à cette double condition que l’enseignement primaire peut entreprendre l’éducation et la culture de l’esprit ; c’est, pour ainsi dire, la nature qui le guide : il développe parallèlement les diverses facultés de l’intelligence par le seul moyen dont il dispose, c’est-à-dire en les exerçant d’une manière simple, spontanée, presque instinctive : il forme le jugement en amenant l'enfant à juger, l’esprit d'observation en faisant beaucoup observer, le raisonnement en aidant l’enfant à raisonner de lui-même et sans règles de logique.
Cette confiance dans les forces naturelles de l’esprit qui ne demandent qu’à se développer et cette absence de toute prétention à 1a science proprement dite conviennent à tout enseignement rudimentaire, mais s'imposent surtout à l’école primaire publique, qui doit agir non sur quelques enfants pris à part, mais sur la masse de la population enfantine. L'enseignement y est nécessairement collectif et simultané ; le maître ne peut se donner à quelques-uns, il se doit à tous ; c'est par les résultats obtenus sur l’ensemble de sa classe et non pas sur une élite seulement que son œuvre pédagogique doit être appréciée. Quelles que soient les inégalités d’intelligence que présentent ses élèves, il est un minimum de connaissances et d’aptitudes que l’enseignement primaire doit communiquer, sauf des exceptions très rares, à tous les élèves : ce niveau sera très facilement dépassé par quelques-uns, mais, le fût-il, s'il n’est pas atteint par tout le reste de la classe, le maître n'a pas bien compris sa tâche ou ne 1'a pas entièrement remplie.
Instructions officielles du 2 août 1882.
Après, je vous le concède, il y a une différence entre théorie et pratique, mais Lavisse était réputé aller en classe et dans les Ecoles normales.