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Je pourrais multiplier les exemples de faits recueillis de la bouche même de témoins directs...
Mais faites-le, c'est tellement important.
Faisons-le.
Le père de ma compagne, né en 1920, était à 16 ans facteur à Bagnères de Bigorre. Facteur à vélo. Le jour de ses 80 ans, je l'ai amené (en voiture, bien sûr) refaire sa tournée de facteur. C'était impressionnant de penser qu'il faisait ça à vélo tous les jours. (les premiers monts pyrénéens autour de Bagnères, passer le col de Palomières, les collines des baronnies). mais le plus touchant était ce dont il se souvenait, des détails anodins:
"ici, une fois, je me suis assis sur ce rocher pour réparer ma roue.
- dans cette maison, j'avais toujours un pourboire quand j'apportais un mandat.
- ici (tout en haut d'un chemin), ils me disaient de garder le courrier et de ne monter que le lundi, ce qui était officiellement interdit, mais...
- ici ils avaient 3 filles
- tu vois, je montais en danseuse jusque là, mais ensuite ça monte moins, je pouvais souffler un peu"
Il y a, à mon avis, deux points de vue pas forcément contradictoires, à écouter ces histoires: Soit de se dire que les choses ont vraiment changé (c'est vrai que le facteur n'est plus à vélo), soit de se dire qu'au fond, pour ce qui est important, le ressenti de chacun, les amours, les douleurs, les rêves, les espoirs, nous sommes tellement semblables. Là, c'est une distance dans le temps. Mais j'avais ressenti la même chose quand j'avais hébergé un étudiant chinois, distance d'ans l'espace et la culture: tellement différent au premier abord, et tellement semblable quand nous sommes devenus intimes. (les anniversaires en famille, les jouets d'enfants, l'humiliation de son père instituteur renvoyé aux champs sous la révolution culturelle, l'humiliation des nôtres, par exemple au STO)
Un voisin m'a raconté une autre histoire de facteur à vélo, le jour de l'enterrement dudit facteur:
Le village de Peyriguère est situé tout en haut de la colline, une sacrée cote à monter à vélo. Le facteur avait gravement manqué de respect à quelqu'un. Ce quidam, pour se venger, avait abonné pendant des années un vieillard de Peyriguère,
illettré, à
La Dépêche du midi, pour obliger le facteur à monter là-haut tous les jours.
Tout le monde a oublié quelle était l'offense, mais le souvenir de la vengeance est tenace!