Nous sommes actuellement le 27 Avr 2024 6:28

Le fuseau horaire est UTC+1 heure




Publier un nouveau sujet Répondre au sujet  [ 10 message(s) ] 
Auteur Message
 Sujet du message : Le sens du temps
Message Publié : 25 Mars 2014 17:03 
Hors-ligne
Marc Bloch
Marc Bloch

Inscription : 10 Fév 2014 7:38
Message(s) : 4433
Localisation : Versailles
Je m'interroge sur l'effet temps sur la mémoire collective et par suite sur le travail de l'historien.

Premier exemple : j'interrogeai il y a peu quelques collègues sur les élections en Bretagne et à Paris, ils me répondirent avec détermination : "mais Paris est de gauche depuis toujours, on le sait bien ! et la Bretagne c'est pareil..." Quand on pense que Paris et la majeure partie de la Bretagne ont toujours voté à droite à toutes les élections du XXè siècle, on en reste sans voix. Suffit-il d'une douzaine d'années du XXIè siècle pour forger une vision nouvelle du monde et oublier les fondamentaux de la géographique politique française du XXè siècle ?

Autre exemple : j'ai interrogé des gens sur la date de la première crise pétrolière (1973)... les réponses ont varié de 1965 à 1980...

On voit avec ces exemples que certains de nos contemporains ont peut-être mal à conserver une vision exacte et précise d'un passé pourtant pas si ancien et qu'ils ont vécu. S'agit il d'une évolution liée au XXIè siècle qui serait peu tourné vers le passé ? ou bien "de tout temps les hommes" (commme on disait en terminale) ont ils rapidement oublié les événements du passé (à l'exception peut-être des guerres) ? ou bien suis je tombé sur des cas non représentatifs ?

Autre cas de figure : il est souvent admis que les Français avaient conservé une bonne image des règnes de Saint Louis et Henri IV. En sommes nous vraiment certains ? ne s'agit il pas d'une reconstruction postérieure, par exemple par la propagande officielle de la Restauration ? Est il possible que l'image d'un homme, même un Roi, traverse les siècles en étant conservé, et éventuellement modifiée, par la mémoire collective ?


Haut
 Profil  
Répondre en citant  
 Sujet du message : Re: Le sens du temps
Message Publié : 25 Mars 2014 17:25 
Hors-ligne
Tite-Live
Tite-Live

Inscription : 25 Juin 2012 15:20
Message(s) : 345
Pour illustrer votre titre et en attendant que le temps passe , ce petit poème de Roland Bacri.
Ecoute obligatoire :
http://www.youtube.com/v/_suigbAA ... sRVR4qJlNQ


Haut
 Profil  
Répondre en citant  
 Sujet du message : Re: Le sens du temps
Message Publié : 25 Mars 2014 20:55 
Hors-ligne
Georges Duby
Georges Duby
Avatar de l’utilisateur

Inscription : 27 Juil 2007 15:02
Message(s) : 7445
Localisation : Montrouge
Notre époque serait celle de l'immédiateté. Seule compte l'émotion et le gain présent. La notion du temps serait une culture, une culture en voie de perdition. Mais tout peut changer et il demeure une culture d'une élite qui continue à contextualiser et à chercher des références dans le passé.

_________________
Heureux celui qui a pu pénétrer les causes secrètes des choses. Virgile.


Haut
 Profil  
Répondre en citant  
 Sujet du message : Re: Le sens du temps
Message Publié : 25 Mars 2014 23:35 
Hors-ligne
Administrateur
Administrateur

Inscription : 15 Avr 2004 22:26
Message(s) : 15843
Localisation : Alsace, Zillisheim
Jerôme a écrit :
Je m'interroge sur l'effet temps sur la mémoire collective et par suite sur le travail de l'historien.

Premier exemple : j'interrogeai il y a peu quelques collègues sur les élections en Bretagne et à Paris, ils me répondirent avec détermination : "mais Paris est de gauche depuis toujours, on le sait bien ! et la Bretagne c'est pareil..." Quand on pense que Paris et la majeure partie de la Bretagne ont toujours voté à droite à toutes les élections du XXè siècle, on en reste sans voix. Suffit-il d'une douzaine d'années du XXIè siècle pour forger une vision nouvelle du monde et oublier les fondamentaux de la géographique politique française du XXè siècle ?

Autre exemple : j'ai interrogé des gens sur la date de la première crise pétrolière (1973)... les réponses ont varié de 1965 à 1980...

On voit avec ces exemples que certains de nos contemporains ont peut-être mal à conserver une vision exacte et précise d'un passé pourtant pas si ancien et qu'ils ont vécu. S'agit il d'une évolution liée au XXIè siècle qui serait peu tourné vers le passé ? ou bien "de tout temps les hommes" (commme on disait en terminale) ont ils rapidement oublié les événements du passé (à l'exception peut-être des guerres) ? ou bien suis je tombé sur des cas non représentatifs ?

Autre cas de figure : il est souvent admis que les Français avaient conservé une bonne image des règnes de Saint Louis et Henri IV. En sommes nous vraiment certains ? ne s'agit il pas d'une reconstruction postérieure, par exemple par la propagande officielle de la Restauration ? Est il possible que l'image d'un homme, même un Roi, traverse les siècles en étant conservé, et éventuellement modifiée, par la mémoire collective ?


J'ai lu une étude très intéressante là-dessus et qui concernait la cyndinique. Les premiers chercheurs dans cette science du risque ont cherché à connaitre la durée de la mémoire collective et si on pouvait s'y fier pour faire des recherches. Ce qui présentait un grand avantage, pour étudier les risques géologiques et comment s'en protéger, surtout que divers adages populaires laissent entendre que l'on oublierait jamais et qu'on transformerait certains faits en légendes ...
Dans cette étude, ils citaient le cas d'un village situé dans un fjord en Norvège. Il y a souvent des éboulements dans les flans des fjord à cause de la déclivité des pentes. Ils savaient quand et où le dernier éboulement avait eu lieu. 25 ans après, la plupart des habitants du village ne se souvenait pas de la catastrophe. Ils ne se souvenaient pas du couloir d'avalanche. A tel point que certains avaient construit en plein milieu du couloir. Pourtant, 2 maisons avaient été emportées avec leurs habitants ! Les chercheurs ont cherché à savoir si les gens qui habitaient ces maisons étaient des habitants du village à l'époque où cet éboulement avait eu lieu. Ils furent très étonnés de découvrir que c'était bien le cas.

Il semble que s'il n'y a pas de commémorations répétées les gens perdent rapidement la mémoire d'évènements même très remarquables. Et contrairement à ce que certains croient, ce n'est pas spécifique à notre époque moderne. L'étude indiquait qu'ils furent étonnés de trouver qu'il y avait toujours eu des gens pour construire dans ces endroits dangereux, simplement parce que les hommes oublient. Quant on parle de devoir de mémoire, il faut donc comprendre que sans lui, on oublie les évènements. On le sait pour notre époque parce que de nombreuses archives sont disponibles et que des chercheurs ont du temps "à perdre" pour comparer ce qui s'est passé et ce dont on se souvient. Mais, il n'y a rien de nouveau sous le soleil. On se souvient de ce qu'il y a des rappels, mais pas du reste.

_________________
Une théorie n'est scientifique que si elle est réfutable.
Appelez-moi Charlie


Haut
 Profil  
Répondre en citant  
 Sujet du message : Re: Le sens du temps
Message Publié : 26 Mars 2014 20:53 
Hors-ligne
Philippe de Commines
Philippe de Commines
Avatar de l’utilisateur

Inscription : 05 Juil 2011 14:39
Message(s) : 1623
Localisation : Armorique
Jerôme a écrit :
Quand on pense que Paris et la majeure partie de la Bretagne ont toujours voté à droite à toutes les élections du XXè siècle, on en reste sans voix.

Il faut croire que les interrogés ont la mémoire sélective concernant la Bretagne. Il faut dire que ses rapports au pouvoir sont ambigus mais tout de même.
Il est démontré que des évènements traumatisants sont occultés par la mémoire. Ils peuvent aussi être tus et à long terme l'effet de ce silence fait basculer les faits dans une sorte de mémoire stand by. Si cette mémoire n'est pas réactivée, les faits sont oubliés ou pire réanalysés et le désintérêt des autres ou leur silence induit la culpabilité.
C'est un processus de défense qui vise à la "survie". Le cerveau humain a été confronté à des images ou des faits qui dépassaient son entendement. Chaque personne a un seul "d'entendement" c'est à dire de "pouvoir entendre" et d'acter.
Parfois on peut se trouver interrogatif quant à notre capacité à ingurgiter des images de violence sans se sentir impactés, ceci est le fruit d'une banalisation -pour certaine(s) génération(s)- ; pour d'autres le seuil d'entendement est dépassé.

Citer :
On voit avec ces exemples que certains de nos contemporains ont peut-être mal à conserver une vision exacte et précise d'un passé pourtant pas si ancien et qu'ils ont vécu.

C'est la tendance à magnifier "avant" parce-qu'avant a le goût de l'enfance. Il arrive d'évoquer la WW2 avec des personnes qui l'ont vécue et qui vous diront parallèlement "qu'en ce temps là on vivait mieux". On occulte le souvenir du traumatisme et comme la place est vacante on y glisse des souvenirs plus porteurs du style : "moi, de l'exode je retiens ceci et cela..." : les choses énoncées sont positives et sentent l'enfance alors le discours est biaisé et les images tronquées. Qui a envie de se faire du mal ? On peut aussi induire la fameuse notion de "résilience", perso je n'y crois pas.

Citer :
Autre cas de figure : il est souvent admis que les Français avaient conservé une bonne image des règnes de Saint Louis et Henri IV. En sommes nous vraiment certains ?

Je suis née en 1959. J'ai connu le discours de St Louis et de son chêne (CE2) etc. les supports scolaires étaient vecteurs de ce style d'histoire, idem pour le collège et le lycée. C'était des cours magistraux, on grattait et puis c'est tout. Il n'y avait aucune réflexion car il eut fallu un échange entre le professeur et les élèves ce qui était inconcevable. Le prof savait, l'élève apprenait. Au collège j'étais dans le "privé", au lycée dans le "public" et dans un lycée "pilote" ; "pilote" certes pour le manque cruel de référents (les profs faisaient leurs cours point/barre) et l'encadrement. Je croyais l'enseignement différent, plus "top". Ouverture du bouquin, prise de notes, terminé. Si questions, se référer alentour (pions qui étaient des étudiants ou famille).
J'ai l'exemple de 6ème en 95. Louis IX avait perdu son auréole et Henri IV gardait son prestige via la poule, l'accumulation de maîtresses, "Margot", Ravaillac, les derniers Valois et leur mère, l'ambition écoeurante de Guise (le tout ingurgité avec une chronologie ahurissante). Louis XIV avait dégringolé dans les sondages ainsi que Napo. ; le soleil roi et celui d'Austerlitz sentaient trop le canon. Se battre pour récupérer l'Alsace-Lorraine était totalement incompris voire ridicule. Le "contexte" était shunté donc la notion de certaines valeurs diluée. On ne peut se battre contre le temps et certaines "évolutions" inhérentes. Ce qui est appelé "devoir de mémoire" est souvent rejeté en bloc et étonnement l'argumentation tient la route.
La phrase fameuse : "Celui qui oublie etc." ne fait plus recette. la vision des choses est différente. L'Histoire est perçue comme un vecteur d'idéologies donc il y a effet "rejet". Les élèves recoupent leurs sources, le professeur n'a plus une place prépondérante : il est un support, comme le bouquin ou le net. Le principe est que la mémoire doit servir pour optimiser des notions qui seront un plus dans le cursus, sachant qu'à la fin de celui-ci le but est de trouver un emploi. Un tri est donc fait.
La notion de "souvenirs" donc de mémoire est différente aussi. C'est une mémoire dans l'actuel, des flashes : sitôt vu, sitôt oublié. La répétition est difficilement supportée, est sentie comme une frustration ou une sanction, donc rejet. Il ne reste pas grand chose, la notion de "plaisir en tout" étant optimisée : la facilité a donc sa place. :-|

_________________
"... Et si je te semble avoir agi follement, peut-être suis-je accusée de folie par un insensé." (Sophocle)


Haut
 Profil  
Répondre en citant  
 Sujet du message : Re: Le sens du temps
Message Publié : 26 Mars 2014 22:53 
Hors-ligne
Marc Bloch
Marc Bloch
Avatar de l’utilisateur

Inscription : 09 Août 2006 6:30
Message(s) : 4160
Localisation : Allemagne
Merci Jérôme pour avoir posé ce sujet qui m'a déjà interpellé. J'avais déjà remarqué que la datation d'événements relativement récents est absolument aberrante. Interrogez vos camarades de classe ou de promotion et vous découvrirez des erreurs monumentales assénées avec la plus entière bonne fois. Le juge étant le document écrit de l'époque, à condition qu'on le retrouve.
En revanche, il y a ce que je pourrai appeler une "mémoire longue" qui survit à travers les siècles. Des exemples pour être explicite : la crainte (la haine ?) des populations mélanodermes sédentaires du Sahel face aux Maures nomades anciens prédateurs d'esclaves. Ou bien les Polonais chez qui j'ai relevé deux antipathies. L'une est leur anti sémitisme provenant du fait que les nobles choisissaient des juifs comme régisseurs et que ces derniers pour garder leur place étaient implacables avec les paysans polonais. Le même phénomène existe en Ukraine et dans les deux cas a été amplifié par l'image du juif prêteur sur gages. Toujours pour les Polonais la détestation de la Russie dominatrice et d'une religion autre que le catholicisme. Ce sont les deux premiers exemples qui me sont venus à l'esprit, mais je suppose que des forumeurs en auront d'autres beaucoup plus intéressants.

_________________
" Je n'oublie pas le Colonel Arnaud Beltrame "


Haut
 Profil  
Répondre en citant  
 Sujet du message : Re: Le sens du temps
Message Publié : 27 Mars 2014 0:32 
Hors-ligne
Administrateur
Administrateur

Inscription : 15 Avr 2004 22:26
Message(s) : 15843
Localisation : Alsace, Zillisheim
Faget a écrit :
En revanche, il y a ce que je pourrai appeler une "mémoire longue" qui survit à travers les siècles. Des exemples pour être explicite : la crainte (la haine ?) des populations mélanodermes sédentaires du Sahel face aux Maures nomades anciens prédateurs d'esclaves. Ou bien les Polonais chez qui j'ai relevé deux antipathies. L'une est leur anti sémitisme provenant du fait que les nobles choisissaient des juifs comme régisseurs et que ces derniers pour garder leur place étaient implacables avec les paysans polonais. Le même phénomène existe en Ukraine et dans les deux cas a été amplifié par l'image du juif prêteur sur gages. Toujours pour les Polonais la détestation de la Russie dominatrice et d'une religion autre que le catholicisme. Ce sont les deux premiers exemples qui me sont venus à l'esprit, mais je suppose que des forumeurs en auront d'autres beaucoup plus intéressants.


C'était une des conclusion de l'étude que j'ai évoquée : pour enraciner quelque chose dans la mémoire collective, il doit perdurer longtemps ou il faut que son souvenir soit régulièrement rappelé. On peut prendre le cas d'Oradour. Lors de la remontée de la Das Reich, il y a eu de nombreux massacres. A la fin de la guerre, il fallait reconstruire, rebâtir une nation. "On" a pris la décision de ne commémorer qu'un seul massacre, le plus ignoble, celui qui a fait le plus grand nombre de morts. Cette commémoration unique devait servir à commémorer tous les autres massacres.

Actuellement, il y a de nombreuses personnes qui sont convaincues qu'Oradour fut un épisode unique. Même dans les villages où il y a eu d'autres massacres, les habitants ont oublié l'existence de ces épisodes douloureux. parce qu'ils n'étaient pas commémorés. Tandis que la mémoire d'Oradour a continuée à être vivace. Et, elle est aussi vivace en Alsace. Parce que des Malgrés-Nous y ont participé et que la majorité des alsaciens s'est sentie attaquée dans son âme par les condamnations du procès de Bordeaux et ensuite par l'amnistie généralisée qui a bénéficié aux Malgrés-Nous, mais aussi aux engagés volontaires.

Une plaie doit rester vive pour ne pas être cicatrisée, ou alors, il faut gratter souvent la croute. Les autres disparaissent dans la limbes du temps.

_________________
Une théorie n'est scientifique que si elle est réfutable.
Appelez-moi Charlie


Haut
 Profil  
Répondre en citant  
 Sujet du message : Re: Le sens du temps
Message Publié : 27 Mars 2014 15:01 
Hors-ligne
Philippe de Commines
Philippe de Commines
Avatar de l’utilisateur

Inscription : 05 Juil 2011 14:39
Message(s) : 1623
Localisation : Armorique
Narduccio a écrit :
Cette commémoration unique devait servir à commémorer tous les autres massacres.
Et, elle est aussi vivace en Alsace. Parce que des Malgrés-Nous y ont participé et que la majorité des alsaciens s'est sentie attaquée dans son âme par les condamnations du procès de Bordeaux et ensuite par l'amnistie généralisée qui a bénéficié aux Malgrés-Nous, mais aussi aux engagés volontaires.

Une échelle dans la barbarie est créée en évoquant Oradour comme la chose la plus "ignoble". Hiérarchiser la barbarie est déjà lui trouver un sens, des coupables, une justification.
En regardant "Le vieux fusil", j'y vois la même barbarie. Je me fiche de savoir si celui qui tenait l'arme avec un plaisir certain était un "malgré lui", un pur aryen ou autre : je ne vois que le résultat. La culpabilité n'est pas le chemin de la rédemption ni de l'apaisement et encore moins de la sérénité.
Il existait des "Malgré-Nous" ? Qu'est-ce que ça change aux faits ? C'est déjà faire une division au lieu de s'épauler : "Il y avait les Malgré-Nous et les autres...". Je ne crois nullement à cette notion de "Malgré-Nous" : à ce moment, chacun y a trouvé son compte et c'est tout. Après il a fallu faire avec mais si le silence avait été de mise à Bordeaux, quid ?
C'est étrange combien le mot "âme" vient remplacer le mot "honneur" lorsque le résultat s'inscrit dans l'horreur. C'est étrange cette soudaine "souffrance à bien conserver au chaud". Si la victoire avait été allemande, quid d'Oradour et des "Malgrez-Nous" ? Comme quoi...
D'ailleurs l'Histoire nous rappelle qu'il fut un "temps" où la France entière était élève docile de l'Allemagne, en anticipant même les bons points. L'Alsace aurait donc bien tort de se faire du mal.

Citer :
Une plaie doit rester vive pour ne pas être cicatrisée, ou alors, il faut gratter souvent la croute. Les autres disparaissent dans la limbes du temps.

Je comprends que les jeunes de nos jours ne veulent pas s'inscrire dans cette démarche. Pourquoi iraient-ils "gratter des croûtes" ou "entretenir des plaies" qui ne sont pas les leur ? Ceci tient vraiment d'une démarche étonnante.
Pour oublier ce que fut Bordeaux et ses accusations, l'Alsace se sent obligée de faire amende honorable sur X générations. Pourquoi au juste et au fond ? A la recherche d'un honneur perdu pour certains (on peut y mettre le mot "âme" à la place) ? Bien se souvenir qui était de quel côté ? Evoquer les "Malgré-Nous" ? Ce qui amène à penser : que fait-on de ceux qui n'y étaient pas "malgré eux" mais par un choix bien pensé et à ce moment se sentaient des dieux ?
Le temps peut-être un poison comme un pansement et l'être humain a plus souvent besoin d'être "pansé". Il faudrait vivre dans un ressassement stérile. Il faudrait que des générations se sentent impactées par le poids du passé et des erreurs commises par d'autres, en un autres "temps". Regardons le monde et son train... Pour un peu Oradour ferait cheap.
Une plaie vive gangrène toujours. La gangrène sent toujours mauvais et se répand : il faut donc couper ou mourir. Les personnes présentes disent : "on coupe et terminé". Le but reste de sauver ce qui peut l'être. On referme en espérant n'avoir pas à y revenir, c'est ceci la récompense. La cicatrice est là pour rappeler qu'il fut un temps ça faisait mal mais on s'en est sorti. On est passé près mais plus jamais on ne laissera une plaie pourrir. On a compris, on a choisi.
Si d'aucuns trouvent bon de s'écharper avec manifestement un plaisir certain (on voit les conclusions de certaines révolutions : retour à la case départ) alors c'est que le point de non retour n'a pas été atteint. Ce point diffère selon des critères qui ne tiennent en rien de l'Histoire mais le paramètre "temps" est l'un de ces critères. :-|

_________________
"... Et si je te semble avoir agi follement, peut-être suis-je accusée de folie par un insensé." (Sophocle)


Haut
 Profil  
Répondre en citant  
 Sujet du message : Re: Le sens du temps
Message Publié : 27 Mars 2014 18:44 
Hors-ligne
Administrateur
Administrateur

Inscription : 15 Avr 2004 22:26
Message(s) : 15843
Localisation : Alsace, Zillisheim
gaete59 a écrit :
Je me fiche de savoir si celui qui tenait l'arme avec un plaisir certain était un "malgré lui", un pur aryen ou autre : je ne vois que le résultat. La culpabilité n'est pas le chemin de la rédemption ni de l'apaisement et encore moins de la sérénité.
Il existait des "Malgré-Nous" ? Qu'est-ce que ça change aux faits ? C'est déjà faire une division au lieu de s'épauler : "Il y avait les Malgré-Nous et les autres...". Je ne crois nullement à cette notion de "Malgré-Nous" : à ce moment, chacun y a trouvé son compte et c'est tout. Après il a fallu faire avec mais si le silence avait été de mise à Bordeaux, quid ?


En tant qu'alsacien, je me sens insulté par ces propos qui révèlent surtout votre profonde méconnaissance du sujet. C'est ignorer les Malgré-nous qui, chaque fois qu'ils le purent ne respectèrent pas les ordres stricts et réussirent à sauver quelques personnes. C'est ignorer ces Malgré-Nous qui furent fusillés pour avoir osé se réjouir du débarquement en Normandie. C'est ignorer les déplacements de familles entières parce que l'un de ces Malgré-nous avait déserté ou était soupçonné de l'avoir fait.

L'enrôlement de force est comme un crime de guerre.

Faites l'effort d'imaginer 2 secondes que vous ayez entre 16 et 17 ans. Vous êtes un jeune homme relativement grand, blond, svelte. On vous met d'office dans la colonne des "volontaires" pour les waffen-SS. Le jeune devant vous qui a osé protesté c'est fait molesté par les officiers et sous-officiers présents. De plus, vous savez que si vous désertez, on viendra chercher tous les membres de votre famille vivant sous le même toit que vous et qu'on les enverra au loin, personne ne sait exactement où. A part que c'est loin à l'est. Vous avez compris que vous allez devoir payer l'impôt du sang en échange de la vie de votre père, de votre mère, de vos frères, de vos sœurs. Vous savez ce que vous risquez parce que d'autres jeunes dans le village ont déjà laissé leurs vies dans ces lointaines plaines de l'est. Et d'autres sont revenus amochés, esquintés.

Puis, on vous verse dans une unité où vous subissez un drill très dur, inhumain. Le moindre signe de fatigue, de faiblesse et c'est toute la compagnie qui refait l’exercice. Le moindre signe de révolte, la plus minime des insoumission et c'est les punitions. On vous dresse à être un soldat dur, obéissant, très obéissant. Penser que vous ne pourriez pas obéir à un ordre, c'est déjà une insoumission tellement vous êtes conditionné à obéir sans discuter.

Et là, il y a des gens pour raconter des histoires sur le "plaisir de tuer". Pour le procès de Bordeaux, des Malgré-nous qui avaient désobéi aux ordres qui étaient d’abattre les gens qui se présentaient aux barrages en ne le faisant pas et en leur enjoignant de fuir le village ont été condamnés "automatiquement" comme les autres simplement parce qu'ils étaient présents ce jour-là.

J'ai hésité à parler d'Oradour. Je savais que des gens risquaient de faire un HS. Je me suis concentré sur le sujet du fil ... et çà n'a pas manqué : quelqu'un a sauté à pied joint sur l'occasion et d'une manière insultante. Ce n'est pas en ayant des positions caricaturales que l'on avance la connaissance historique d'un évènement.

_________________
Une théorie n'est scientifique que si elle est réfutable.
Appelez-moi Charlie


Haut
 Profil  
Répondre en citant  
 Sujet du message : Re: Le sens du temps
Message Publié : 29 Mars 2014 16:10 
Hors-ligne
Hérodote
Hérodote

Inscription : 26 Août 2013 13:40
Message(s) : 17
Jerôme a écrit :
Je m'interroge sur l'effet temps sur la mémoire collective et par suite sur le travail de l'historien.


Intéressante question, qui fait beaucoup parler les historiens par ailleurs... Certains critiquent aussi ce que j'appellerais une "mémorite"

Jerôme a écrit :
Autre exemple : j'ai interrogé des gens sur la date de la première crise pétrolière (1973)... les réponses ont varié de 1965 à 1980...


Étrange... ils avaient vécus les événements? Pour les réponses après 1973 peut être est-ce le souvenir d'une répercussion personnelle? Une confusion avec d'autres événements?Le second choc peut être?

Jerôme a écrit :
On voit avec ces exemples que certains de nos contemporains ont peut-être mal à conserver une vision exacte et précise d'un passé pourtant pas si ancien et qu'ils ont vécu. S'agit il d'une évolution liée au XXIè siècle qui serait peu tourné vers le passé ? ou bien "de tout temps les hommes" (commme on disait en terminale) ont ils rapidement oublié les événements du passé (à l'exception peut-être des guerres) ? ou bien suis je tombé sur des cas non représentatifs ?


Je ne sais trop quoi dire. Avez-vous lu La France perd la mémoire de Jean-Pierre RIOUX? Je crois qu'il traite de la question... Je pense que les plus jeunes s'en foutent un peu, ils vivent surtout le présent je suis d'accord...

Jerôme a écrit :
Autre cas de figure : il est souvent admis que les Français avaient conservé une bonne image des règnes de Saint Louis et Henri IV. En sommes nous vraiment certains ? ne s'agit il pas d'une reconstruction postérieure, par exemple par la propagande officielle de la Restauration ? Est il possible que l'image d'un homme, même un Roi, traverse les siècles en étant conservé, et éventuellement modifiée, par la mémoire collective ?


Une bonne image? Une image reconstruite oui! Notre Bon Roi a été tué me semble-t-il, ce n'est pas à oublier et cela veux sans doute dire quelque chose ;)... La Restauration oui mais aussi Michelet, Lavisse et d'autres encore... La Restauration pour redorer l'image de la monarchie et la République souvent pour une construire une légitimité...

Le souvenir n'est jamais un héritage intact... Certains distinguent d'ailleurs souvenir et mémoire. Le premier étant essentiellement individuelle, la seconde collective. Le souvenir privilégiant ce qui a été vécu par l'individu; la mémoire généralise et structure la pensée, elle est rarement impartiale et évolue au gré du temps est des expériences du groupe. La mémoire est une reconstruction qui sert en autres choses à la réflexion en un temps donné (cf les travaux de Jean-François LECAILLON sur la mémoire de 1870, je pense surtout au livre : Souvenir de 1870: Histoire d'une mémoire)

Je pense que même les Malgré-nous ont été récupéré, malheureusement! Pour faire une uchronie, qu'est ce qui serait resté de l'engagement forcé si l'Alsace-Moselle était restée allemande?


Haut
 Profil  
Répondre en citant  
Afficher les messages publiés depuis :  Trier par  
Publier un nouveau sujet Répondre au sujet  [ 10 message(s) ] 

Le fuseau horaire est UTC+1 heure


Qui est en ligne ?

Utilisateur(s) parcourant ce forum : Aucun utilisateur inscrit et 27 invité(s)


Vous ne pouvez pas publier de nouveaux sujets dans ce forum
Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum
Vous ne pouvez pas éditer vos messages dans ce forum
Vous ne pouvez pas supprimer vos messages dans ce forum
Vous ne pouvez pas insérer de pièces jointes dans ce forum

Recherche de :
Aller vers :  





Propulsé par phpBB® Forum Software © phpBB Group
Traduction et support en françaisHébergement phpBB