Nebuchadnezar a écrit :
Jacques Legoff a étudié la durée de la préservation de la mémoire des familles nobles au moment où celles-ci commencent à se définir en dynasties, à partir du Xe siècle. Selon lui, les souvenirs précis ne remontent pas au-delà de la seconde génération : après, les récits de familles et d'ancêtres s'estompent et ne correspondent plus aux registres d'Églises, cartulaires et autres documents officiels.
J'ai déjà parlé à plusieurs fois d'une étude sur la mémoire des populations. Je m'intéresse, pour des raisons professionnelles, à la cyndinologie, la science des risques. A l'époque où on trouvait facilement des thèses et des études sur internet, j'avais lu une étude d'une chercheuse en cyndinologie qui avait fait des recherches sur la mémoire des populations. Le but était de savoir si on pouvait se baser sur cela pour la prévention des catastrophe. Donc, elle était partie du principe que les populations devaient garder en mémoire les catastrophes et adapter leurs comportements au risque. Elle avait cherché dans la presse des évènements particuliers qui avaient eu lieux 20 ans auparavant et elle s'était particulièrement intéressée à une catastrophe dans un fjord norvégien où un éboulement de terrain avait emporté quelques maisons dans un lotissement en faisant quelques morts. Elle est allée interroger les gens de ce village et elle avait été étonnée que plus personne ne se souvenait de cet épisode malheureux qui pourtant avait fait la une des journaux à l'époque.
Il y a des études de sociologues sur des phénomènes similaires, il semblerait que les hommes oublient relativement vite, sauf dans le cas où l'évènement fait l'objet de commémorations. On a trouvé des explications à cet oubli, la principale serait que si on se souvenait en permanence des risques, on serait complètement stressé. Donc, on met cela dans un coin de son cerveau et on finit par oublier. Mais, s'il y a des commémorations régulières, l'évènement va se graver dans la mémoire collective. Où s'il y a des procès, donc des rappels réguliers des faits.
Pire, certaines études semblent montrer qu'on oublie des évènements dont on a une trace dans notre chair, comme une opération chirurgicale. Lors qu'on sait aussi qu'il est possible de générer des faux souvenirs. Une étude américaine l'avait démontré. Des étudiants ont questionné des gens sur le fait de savoir s'ils avaient eu une opération de l'appendicite. Cette opération était à certains moments d'une banalité extrême aux USA. Mais, ils avaient en fait sélectionné des personnes dont ils savaient qu'ils n'avaient pas été opérés. Ils ont joué cela en 2 temps. Dans un premier temps un appel de l’hôpital local disant qu'ils avaient opérés des dossiers médicaux anciens et qu'ils faisaient une enquête pour les restaurer. On allait leur téléphoner dans quelques semaines. Ces dossiers égarés étaient sensés concerner un chirurgien qui faisait essentiellement des opérations de l'appendicite et apparemment, les gens interrogés étaient identifiés comme de probables clients de ce chirurgien. Quand on leur a téléphoné 2 à 3 semaines après, ces gens-là étaient convaincus d'avoir été opérés de l'appendicite. Pire, lorsque les étudiants se sont rendus sur place pour constater qu'il n'y avait pas de cicatrice, les supposés patients argumentaient que la cicatrice s'était effacée avec le temps, mais ils s'en souvenait : elle était bien là et ils indiquaient sur leur peau une trace qui n’existait pas...