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 Sujet du message : Valeur des traditions orales
Message Publié : 14 Avr 2014 16:33 
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Marc Bloch
Marc Bloch

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Localisation : Versailles
Je voudrais savoir si des historiens ou des ethnologues ont travaillé sur la qualité de la transmission des événements du passé dans les sociétés primitives (celles qui ignorent l'écriture). Combien d'années le souvenir d'un événement (bataille, catastrophe naturelle, règne d'un roi) subsistent ils dans les mémoires ? et combien d'années subsiste-t-il avec précision avant de disparaître ou de devenir semi-légendaire ?

Je me souviens d'un western (dont j'ai oublié le titre) dans lequel un chef sioux (ou autre) racontait (donc au XIXè s) l'arrivée (et le massacre) d'une expédition de conquistadors (donc au XVIè s soit trois siècles plus tôt). Il appuyait son récit de la présentation d'un casque typique de la renaissance européenne. On peut effectivement penser que la conservation d'un objet contribue à la transmission des souvenirs ... ^

Je ne pense évidemment pas aux Gaulois mais aux sociétés primitives des siècles récents que des ethnologues ont pu étudier et dans lesquelles ils auraient pu comparer le contenu des archives, de l'histoire scientifique et les récits répétés oralement dans les tribus concernés (en Afrique par exemple).


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Message Publié : 15 Avr 2014 11:53 
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Polybe
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Je ne sais pas trop ce qu'est une civilisation "primitive" mais ce genre de travaux ne devrait pas être difficile à trouver, dans mon domaine je connais les travaux de Donatien Laurent sur la transmission des « gwerz » sortes de complaintes en langue bretonne, beaucoup raconte des événements passés, parfois très anciens, notamment celle de « Louis Le Ravallec » au-sujet d'un meurtre ayant eu lieu en 1732 et est toujours bien connu par les anciens dans l'ouest du Morbihan, l'étude des différentes versions modernes a permit de comprendre qui était probablement le meurtrier (!). Plus impressionnant sans doute, la gwerz de Skolvan, encore populaire au 21ème siècle (nous en avons plusieurs versions) raconte une histoire de fantôme (nommé Skolvan ou Skolan donc) dont la plus ancienne trace se trouve de l'autre côté de la Manche dans le livre noir de Caerfyrddin, manuscrit gallois du XIIème siècle. Les exemples sont nombreux, je ne cite que deux qui me viennent à l'eprit.

Ces chants ont été transmit oralement de chanteur/se à chanteur/se pendant des siècles.

La gwerz de Skolvan chantée par Anne Auffret
https://www.youtube.com/v/pdKcXdbSvsU

Ce genre de transmissions « chantées » se trouvent partout sur le globe.

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Ar y vronn wenn vran du // Àr e vronn wenn ur vran du

Sur son sein blanc un corbeau noir


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Message Publié : 15 Avr 2014 12:16 
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Pierre de L'Estoile
Pierre de L'Estoile
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Inscription : 23 Mars 2005 10:34
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Jacques Legoff a étudié la durée de la préservation de la mémoire des familles nobles au moment où celles-ci commencent à se définir en dynasties, à partir du Xe siècle. Selon lui, les souvenirs précis ne remontent pas au-delà de la seconde génération : après, les récits de familles et d'ancêtres s'estompent et ne correspondent plus aux registres d'Églises, cartulaires et autres documents officiels.

En faisant des recherches sur internet, j'avais lu que les anecdotes populaires passaient également difficilement le cap de la seconde génération.

Cela ne veut pas dire qu'il y a oubli, mais que le passé est constamment remanié suivant les désirs de l'orateur, des besoins de l'auditoire qui veut toujours plus de détails, et du contexte qui fait que les mots et les actes n'ont jamais exactement la même signification. Une tradition orale a toujours une forte tendance à magnifier les hauts faits, aplanir les chronologies et incorporer des éléments récents.

C'est ainsi qu'on peut lire des contes d'indiens d'Amérique où apparaît le cheval, et des contes africains dont les protagonistes utilisent des armes à feu.

Le même problème se pose avec l'Islam, qui avec ses hadiths a mis en œuvre le passage à l'écrit d'une tradition orale. Aujourd'hui encore, les historiens n'ont établi aucun consensus sur la valeur historique de ce document. Nous en avons parlé ici : Valeur Historique de la Tradition.

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Qui contrôle le passé contrôle l'avenir.
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Message Publié : 15 Avr 2014 12:37 
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Pierre de L'Estoile
Pierre de L'Estoile
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Inscription : 23 Mars 2005 10:34
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Localisation : Nanterre
Jerôme a écrit :
Je me souviens d'un western (dont j'ai oublié le titre) dans lequel un chef sioux (ou autre) racontait (donc au XIXè s) l'arrivée (et le massacre) d'une expédition de conquistadors (donc au XVIè s soit trois siècles plus tôt). Il appuyait son récit de la présentation d'un casque typique de la renaissance européenne. On peut effectivement penser que la conservation d'un objet contribue à la transmission des souvenirs ...
Il s'agit du film : Danse avec les loups, de et avec Kevin Costner. Film excellent, quoiqu'aujourd'hui fleurant trop le politiquement correct ;) .
Effectivement, le chef sioux exhibe un morion (casque espagnol), et parle d'une expédition de conquistadors qui aurait été repoussée. La tradition orale peut garder en mémoire un tel événement. Toutefois, il ne faut pas perdre de vue que les Espagnols sont présents en Amérique du nord jusqu'à la première moitié du XIXe siècle : la Californie, le Nouveau-Mexique, le Texas et la Floride sont des créations espagnoles, et que ceux-ci ont maille à partir avec les tribus indiennes. Cela est très bien décrit dans L'empire Comanche de Pekka Hämäläinen. Dès lors, les récits de l'invasion initiale auraient très bien pu être amalgamés avec ceux d'une expédition plus récente, récits vécus ou empruntés à des tribus voisines.

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Qui contrôle le passé contrôle l'avenir.
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Message Publié : 15 Avr 2014 14:08 
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Marc Bloch
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Des gens qui avaient connu l'Afrique noire du temps de la colonisation ou les années suivantes m'avaient parlé des "griots" qui étaient des personnages qui étaient la mémoire vivante de la tribu ou de l'ethnie. Je ne sais s'ils existent encore :?:

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" Je n'oublie pas le Colonel Arnaud Beltrame "


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Message Publié : 15 Avr 2014 14:14 
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Nebuchadnezar a écrit :
Jacques Legoff a étudié la durée de la préservation de la mémoire des familles nobles au moment où celles-ci commencent à se définir en dynasties, à partir du Xe siècle. Selon lui, les souvenirs précis ne remontent pas au-delà de la seconde génération : après, les récits de familles et d'ancêtres s'estompent et ne correspondent plus aux registres d'Églises, cartulaires et autres documents officiels.


J'ai déjà parlé à plusieurs fois d'une étude sur la mémoire des populations. Je m'intéresse, pour des raisons professionnelles, à la cyndinologie, la science des risques. A l'époque où on trouvait facilement des thèses et des études sur internet, j'avais lu une étude d'une chercheuse en cyndinologie qui avait fait des recherches sur la mémoire des populations. Le but était de savoir si on pouvait se baser sur cela pour la prévention des catastrophe. Donc, elle était partie du principe que les populations devaient garder en mémoire les catastrophes et adapter leurs comportements au risque. Elle avait cherché dans la presse des évènements particuliers qui avaient eu lieux 20 ans auparavant et elle s'était particulièrement intéressée à une catastrophe dans un fjord norvégien où un éboulement de terrain avait emporté quelques maisons dans un lotissement en faisant quelques morts. Elle est allée interroger les gens de ce village et elle avait été étonnée que plus personne ne se souvenait de cet épisode malheureux qui pourtant avait fait la une des journaux à l'époque.

Il y a des études de sociologues sur des phénomènes similaires, il semblerait que les hommes oublient relativement vite, sauf dans le cas où l'évènement fait l'objet de commémorations. On a trouvé des explications à cet oubli, la principale serait que si on se souvenait en permanence des risques, on serait complètement stressé. Donc, on met cela dans un coin de son cerveau et on finit par oublier. Mais, s'il y a des commémorations régulières, l'évènement va se graver dans la mémoire collective. Où s'il y a des procès, donc des rappels réguliers des faits.

Pire, certaines études semblent montrer qu'on oublie des évènements dont on a une trace dans notre chair, comme une opération chirurgicale. Lors qu'on sait aussi qu'il est possible de générer des faux souvenirs. Une étude américaine l'avait démontré. Des étudiants ont questionné des gens sur le fait de savoir s'ils avaient eu une opération de l'appendicite. Cette opération était à certains moments d'une banalité extrême aux USA. Mais, ils avaient en fait sélectionné des personnes dont ils savaient qu'ils n'avaient pas été opérés. Ils ont joué cela en 2 temps. Dans un premier temps un appel de l’hôpital local disant qu'ils avaient opérés des dossiers médicaux anciens et qu'ils faisaient une enquête pour les restaurer. On allait leur téléphoner dans quelques semaines. Ces dossiers égarés étaient sensés concerner un chirurgien qui faisait essentiellement des opérations de l'appendicite et apparemment, les gens interrogés étaient identifiés comme de probables clients de ce chirurgien. Quand on leur a téléphoné 2 à 3 semaines après, ces gens-là étaient convaincus d'avoir été opérés de l'appendicite. Pire, lorsque les étudiants se sont rendus sur place pour constater qu'il n'y avait pas de cicatrice, les supposés patients argumentaient que la cicatrice s'était effacée avec le temps, mais ils s'en souvenait : elle était bien là et ils indiquaient sur leur peau une trace qui n’existait pas...

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Une théorie n'est scientifique que si elle est réfutable.
Appelez-moi Charlie


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Message Publié : 15 Avr 2014 14:17 
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Localisation : Alsace, Zillisheim
Faget a écrit :
Des gens qui avaient connu l'Afrique noire du temps de la colonisation ou les années suivantes m'avaient parlé des "griots" qui étaient des personnages qui étaient la mémoire vivante de la tribu ou de l'ethnie. Je ne sais s'ils existent encore :?:


Ils existent encore. Mais, ce sont des professionnels de la commémoration : ils connaissent ce qu'on leur rapporte et qu'ils jugent intéressant de rappeler dans leurs chants. Une mémoire sélective eu quelque sorte qui porte sur quelques générations avec un ancrage très flou sur la passé. En fait, il me semble qu'ils utilisent le même système que pas mal de conteurs antiques. Ils ont des listes de rois et les évènements sont datés de telle ou telle année du règne de tel roi. Ils se réunissent de temsp en temps pour comparer et mettre à jours leurs listes, puisqu'il s'agit de rois régionaux.

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Message Publié : 15 Avr 2014 17:50 
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Grégoire de Tours
Grégoire de Tours

Inscription : 18 Jan 2008 13:49
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Bonjour

Je vous conseille la lecture des ouvrages de Jack Goody, qui a spécifiquement travaillé sur les questions d'oralité et d'écriture. Sa propre pratique d'anthropologue l'amène à conclure que les sociétés sans écriture ont une remémoration qui n'est pas un apprentissage verbatim d'un récit. Il distingue bien les cas de transmission orale dans des sociétés qui connaissent l'écrit (et donc la possibilité d'une mise par écrit d'un récit) et la transmission de la mémoire dans les sociétés qui ne le connaissent pas.

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Ira principis mors est


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Message Publié : 13 Juin 2014 20:33 
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Marc Bloch
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Inscription : 10 Fév 2014 7:38
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Localisation : Versailles
Je remercie tous ceux qui m'ont répondu.

J'ajoute un exemple curieux trouvé dans le film que Bernard Giraudeau a réalisé et interprété en 1995 : " les caprices d'un fleuve" qui narre la vie d'un aristocrate français exilé comme gouverneur de Saint Louis du Sénégal avant et pendant la révolution.

Dans ce film on voit apparaître une tribu maure armée de casques et de boucliers croisés et donc vieux de 500 ans.

Je ne sais si l'anecdote est authentique.


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Message Publié : 14 Juin 2014 0:10 
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Pierre de L'Estoile
Pierre de L'Estoile

Inscription : 14 Avr 2005 10:11
Message(s) : 2082
Jerôme a écrit :
Je remercie tous ceux qui m'ont répondu.

J'ajoute un exemple curieux trouvé dans le film que Bernard Giraudeau a réalisé et interprété en 1995 : " les caprices d'un fleuve" qui narre la vie d'un aristocrate français exilé comme gouverneur de Saint Louis du Sénégal avant et pendant la révolution.

Dans ce film on voit apparaître une tribu maure armée de casques et de boucliers croisés et donc vieux de 500 ans.

Je ne sais si l'anecdote est authentique.


Des croisés au Sénégal que cela soit après 5 ou 500 ans me parait peu crédible.

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« Étudiez comme si vous deviez vivre toujours ; vivez comme si vous deviez mourir demain. » Isidore de Séville


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Message Publié : 14 Juin 2014 5:32 
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Philippe de Commines
Philippe de Commines
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Inscription : 22 Sep 2005 18:53
Message(s) : 1947
Bonjour

Concernant le "casque" de "danse avec les Loups" le réalisateur se base sur un fait réel -> Le chef comanche "Iron Jacket" qui possédait un cotte de maille espagnole.
Concernant les "griots", en Asie centrale chez les peuples nomades nous trouvons des "bardes" dont le rôle est de raconter les histoires du passé (Mythes, fables, légendes, proverbes, dictons et poemes épiques)

Concernant la "tribu maure" dans le film de Bernard Giraudeau, c'est peut être basé sur un fait réel -> Au Sénégal, il y a eu un passé féodal avec des "chevaliers" équipés de manière fort similaire aux nôtre (épée, casque et cotte de mailles).

Concernant la mémoire des "peuples" je ne suis pas certain que les textes écrits l' augmentent de manière significative. En effet, de nombreuses discussions (fortes intéressantes) sur ce forum démontrent que même relatés par écrits certains faits prêtent à interprétation (et parfois totalement contradictoire).


Bien à tous.

_________________
Hugues de Hador.


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