gamelin a écrit :
Bonsoir,
Je me pose la question de savoir ce qu'il faut répondre à la remarque des gens: "L'histoire, ce n'est que du passé et donc il faut l'oublier!"
Les gens qui disent cela font référence au fait que chaque individu doit, pour se construire, oublier ou du moins ne plus penser à sa propre histoire sans cesse, au risque de tout réactiver. Cela peut se comprendre: ainsi, si je vis un moment très pénible dans mon existence, ou si je vis une expérience traumatisante, je dois, pour "refaire surface" et continuer à vivre normalement, me dire "Je dois penser à autre chose... Le passé est derrière moi!" Il ne faut pas sans cesse remuer le couteau dans la plaie et se faire souffrir!"
Que dire ainsi à des gens qui disent "Tu parles, la shoah, les conflits mondiaux, la peste sont des fléaux passés et terriblement tristes: à quoi cela sert-il d'y repenser?"
C'est une question philosophique que je pose en quelque sorte.
A plusieurs époques on a gelé un passé proche qui gênait. Ce fut souvent nécessaire pour arrêter le cycle des règlements de comptes. En France ce fut le cas dans l'immédiat après-guerre. On a construit un mythe : la France résistante et on a vécu dessus, jusqu'au moment où ce mythe s'est lézardé. Et là, on a compris que certaines des choses qui fonctionnaient mal provenaient de choses qui avaient été cachées. Il suffit de penser qu'alors qu'un certain nombre de personnes déclaraient haut et fort qu'il fallait détruire "mai 68", on déconstruisait de manière assez souterraine une partie du programme du CNR (Conseil National de la Résistance).
Un autre exemple, dans les pays de l'Est. On a mis en place un gros mythe du peuple ouvrier qui s'est libéré grâce aux "libérateurs" de l'armée rouge. Dans certains pays, quand le rideau de fer s'est écroulé, on s'est retrouvé avec les problèmes nationalistes qui n'avaient pas été résolus ou mal résolus sous le communisme. Dans d'autres pays, cela a conduit à se replier sur une vision "romancée" de l'histoire. Le problème est que les voisins n'ont pas la même.
Effacer l'histoire ou la masquer ne résous rien. Mais, fait oublier d'où l'on vient et ce que nos ancêtres ont fait pour construire notre monde. Or, comme le disait Bernard de Chartres : nous sommes des nains juchés sur des épaules de géants. Notre monde n'est pas né hier du néant. Il est le fruit d'une longue, très longue évolution. Braudel remarquait que les limites des cantons correspondent aux limites tracées par les romains. Les archéologues démontrent que ces limites sont souvent plus anciennes encore et remontent au moins au second age de fer. Oui, nos limites administratives ont, pour certaines, plus de 2000 ans. Peut-être 2500 ans. Elles ont perduré parce qu'elles correspondent à des réalités culturelles. Dans certaines régions, il faut ce dire qu'aller "à la ville" à le même sens depuis 10 à 15 siècles. C'est la même ville depuis tout ce temps. Elle peut-être différente de celle de l'habitant du hameau voisin, et cela aussi est vrai depuis tout ce temps.