Pour commencer voici le sommaire, avec les contributeurs:
INTRODUCTION
Emmanuel Fureix
PRÉAMBULE
La mort des statues.
Imaginaires archaïques et usages politiques de l’iconoclasme
INTRODUCTION
Emmanuel Fureix
PRÉAMBULE
La mort des statues.
Imaginaires archaïques et usages politiques de l’iconoclasme
Bertrand Tillier
PREMIÈRE PARTIE
Iconoclasme et régénération sous la Révolution française
Introduction
Pierre Serna
L’iconoclasme et le temps en Révolution
Lynn Hunt
Hercule sans-culotte. Une figure de l’iconoclasme révolutionnaire
en France (XVIIe-XIXe siècles)
Yann Lignereux
Iconoclasme et violence : la transformation des signes
dans le Paris révolutionnaire, 1789-1794
Richard Clay
Révolution et construction de l’espace public.
L’iconoclasme à Paris en 1790
Guillaume Mazeau
Destruction, conservation et création sous la Révolution française :
une question de style
Philippe Bordes
L’iconoclasme révolutionnaire au village :
exemples du sud de l’Île-de-France
Serge Bianchi
DEUXIÈME PARTIE
Iconoclasme, révolutions et dé-révolutions du XIXe siècle
Introduction
Emmanuel Fureix
Sacrer la République : enjeux de l’iconoclasme révolutionnaire
en Colombie bolivarienne au début du xixe siècle
Clément Thibaud
Le trône brulé : un imaginaire iconoclaste
dans la Révolution de février 1848
Rolf Reichardt
Quarante-huit au miroir de Trente : Révolution du signe
et révolution de papier dans une société d’obéissance
Laurent Le Gall
Faut-il détruire une statue pour rétablir l’ordre ? Lyon, 1848-1849
Vincent Robert
Entre délit politique, sacrilège et droit commun :
l’iconoclasme révolutionnaire en procès (Rome, 1849-1850)
Catherine Brice
Évincer Dieu de l’espace public : l’iconoclasme religieux
pendant la Commune de Paris
Quentin Deluermoz
L’iconoclasme singulier de la Commune de 1871 :
combattant et monumental
Éric Fournier
TROISIÈME PARTIE
Iconoclasmes et instrumentalisations :
le palimpseste des révolutions (XXe-XXIe siècles)
Introduction
Johann Chapoutot
Détruire les croyances en dévoilant des reliques :
un épisode de l’iconoclasme bolchevique après 1917
François-Xavier Nérard
L’iconoclasme dans la révolution hongroise de 1956
Paul Gradvohl
Iconoclasme et instrumentalisation :
la révolution culturelle chinoise
Lucien Bianco
Au-delà de la chute : Le Mur de Berlin cassé et concassé
Thomas Serrier
Iconoclasme et syncrétisme en Russie post-soviétique
Irène Herrmann
Autour de l’iconoclasme taliban.
Politiques de l’image et du patrimoine en Afghanistan
Pierre Centlivres
Les réformateurs musulmans contre la mauvaise image :
de la société à l’État et retour
Omar Saghi
CONCLUSION
Annie Duprat et Emmanuel FureixJe précise juste que je donne ici quelques idées intéressantes tirées du livre (dont je n'ai pas eu le temps de lire tous les articles) et non une revue exhaustive.
Dans l'introduction, l'auteur insiste d'abord sur le rôle générateur de la Révolution française. Dans les deux sens, car, d'une part, les destructions de signes, de blasons, de symboles et de statues s'opèrent à très grande échelle et sur plusieurs années, mais aussi parce que les historiens ont beaucoup plus étudié cette période. Ainsi, on oublie trop vite d'autres évènements très important, comme la destruction systématique d'images pieuses et de reliques pendant les guerres de religion au XVIe. L'iconoclasme, d'abord religieux n'est pas non plus, dans sa déclinaison politique, une création de 89-94. On peut penser à ce qui se produisait lors des "émotions populaires" ou lors des perceptions d'impôt où la livrée royale fut déchirée et des scènes carnavalesques tournaient en ridicule les détenteurs de l'autorité.
Je ne peux aussi m'empêcher de citer les chroniques et bas-reliefs des palais assyriens comme exemple extrême d'un iconoclasme non seulement religieux (au nom d'Assur, parce que c'est le seul souverain légitime de droit divin), mais aussi politique. Le roi est le grand destructeur de ses ennemis et de l'image de ses ennemis mais c'est aussi le bâtisseur génial d'un monde à son image, dont les palais sont le microcosme parfait. Les bas-reliefs alternent de manière saisissante destructions et constructions (à Ninive, notamment).
D'un autres côté, la Révolution voit s'opérer un certain nombre de phénomènes radicalement nouveaux.
Il faut souligner que la destruction, en grande partie orchestrée par l'Etat s'accompagne presque simultanément d'un souci de préservation et, de fait, des premières politiques patrimoniales à l'échelle nationale. Le 16 août 1793 naît la "Commission temporaires des arts du Muséum national". Les historiens ont fort à faire pour démêler dans ces entreprises ce qui à trait au véritable souci pour le beau, l'ancien et l'historique et ce qu'il y a de stratégies politiques. Jamais, en effet, l'iconoclasme (considéré ici sur le temps long) n'a de portée sans réévaluation de ce qui a été jeté à bas.
Dès cette époque, les contre-révolutionnaires ne s'y trompent pas, loin de saluer le souci patrimonial des musées révolutionnaires du peuple ils jugent qu'en
"préservant les destructions les objets intéressant l'art, l'histoire et l'instruction nationale, les révolutionnaires auraient dépouillé ces objets de leur sens initial et de leur aura" (Fureix). La relégation au musée vaut la mort de l'efficace du symbole enclos dans la relique.
La révolution bolchévique d'octobre se concentre en 1919 sur les icônes et les sépultures de saints embaumés, afin de détruire à l'aide de fouilles "matérialistes" le mythe des pouvoirs prêtés à ces objets ou ces lieux. Mais le pouvoir a eu soin de préserver certains monuments pour les besoins de sa contre-histoire. Les objets du passé religieux et du tsarisme seront exhibés comme autant de repoussoirs. Même dans le cadre de la "révolution culturelle" de 1966, Mao finit, au comble du cynisme, par décréter avec l'aide de Zou que certaines des 4 vieilleries pourraient en fait être gardées dans des musées sur "l'oppressions féodale". Evidemment, dans le cas chinois, le patrimonialisme intervient deux ans après le début du saccage et sa part et infime, là où la Révolution française décide presque simultanément de détruire et de conserver.
La Révolution de 89 est fondamentale aussi parce qu'elle motive (plutôt au début du XIXe) les premiers grands débats sur le sens à donner aux actes destructeurs, tant à Paris qu'en province. Avec Thermidor se met en place le clivage dont nous parlions dès les premiers posts entre tenant du "vandalisme" et défenseurs de "l'iconoclasme". L'abbé Grégoire est à l'origine du terme
vandalisme pris comme concept désignant le goût immodéré pour le saccage gratuit, perpétré par des individus intrinsèquement violents et méprisables.
Ainsi, le vocabulaire naît avec l'évènements. petit récapitulatif donc :
-le terme
d'iconoclaste existe de façon courante depuis le XVIe (justement lié au contexte des menées protestantes)
- on parle
d'iconoclasme pour la première fois en 1832, à une époque où la destruction du symbole et les "transferts de légitimité" s'opèrent à un rythme effréné depuis 1815-1816 et la terreur blanche.
- Fureix signale aussi "
iconoclastie", plus adapté à l'acte lui-même (1869), quoique peu retenu par les historiens.
En fait, il est difficile aux historiens de se reposer sur les dérivés "d'iconoclaste", précisément parce que ces vocables renvoient au combat contre l'image religieuse et le sens divin qu'on lui donne ou non. Ainsi, l'altération du sens sémantique d'une image (l'Hercule royal représentant le peuple, auquel on veut enlever la perruque louisquatorzienne pour le coiffer à la titus, par exemple) requiert un terme moins chargé. A côté d'emprunt au vocabulaire de la sémiotique (syntagmatique / paradigmatique) on a pu aussi parler "
d'iconocrise" ou "
iconoclash". Fureix explique qu'on pourra parler d'iconoclasme quand les motifs, le déroulement et les finalités sont connues (exemple : abattage des statues de Charles X aux Tuileries), mais "d'iconoclash" dans des cas plus troubles (exemple : le drapeau tricolore est tombé de tel bâtiment public après 1830 : naturel ou volontaire ?).
En contexte révolutionnaire, le terme de "
sémioclasme" désigne
"l'altération intentionnelle d'un signe visuel, symbole ou emblème dont le référent est abhorré". C'est un concept assez utile pour décrire la véritable "guerre des signes" qui dure de 1815 à 1871.
En effet, la Révolution est un point nodal en ce qu'elle a "laïcisé l'expérience iconoclaste". Plus précisément, elle a laïcisé la pratique systématique de l'iconoclasme, jusque-là impliquée à grande échelle dans des querelles religieuses.
Cependant, avant de poursuivre, il faut signaler que les contributeurs de l'ensemble du livre signalent un problème : le transfert de ces "bris rituels" au champ séculaire de la politique doit-il pour autant écarter tout rapport religieux ? Ce n'est pas le cas. Même les entreprises les plus laïcardes de la Commune s'opèrent dans une effervescence messianique d'une communion du peuple. Encore en 1871, on conjure (au sens quasi religieux) la défaite et un culte du peuple trouve sa place dans le langage que tente d'élaborer la Commune. Parfois même, le retour du religieux est assez spectaculaire. Ainsi la Colombie révolutionnaire de 1813 efface le monogramme royal pour y substituer le visage du Christ sur fond azuré. L'instrumentalisation du discours aniconique chez les talibans ou les forces de daesh témoigne, d'une autre façon , de cette imbrication entre buts politiques et sens religieux supposé.
Avec la
statuomanie qui commence avec le Second Empire et s'impose avec la IIIe, la banalisation de l'image monumentale implique une certaine accoutumance chez le spectateur. De cette façon, les satues sont plus banales et de moins en moins chargées d'un sens fort et quasi-religieux.
Les historiens signalent que c'est paradoxalement avec la Commune que cesse l'iconoclasme révolutionnaire français, hérité des Jacobins. je me demande si l'essor parallèle de la presse et de l'image lithographié n'y est pas pour quelque chose. la disparition de la profanation matérielle ne signifie pas que la violence civile décroît, bien au contraire puisqu'on connaît la verve incroyable et l'outrance qui caractérisent les journaux des débuts de la IIIe.
Une dernière idée importante de l'intro concerne la dialectique de : l'enlèvement du monument - vide créé - tentative de réinvestissement de symboles (ou échec).
L'iconoclasme révolutionnaire
"crée d'abord un vide (...). Un vide généralement vite comblée, fût-ce par du provisoire [effigie en glaise et plâtre, faute de temps et de moyens]. Il est assez risqué en effet d'abandonner au regard le socle vide d'une statue susceptible de devenir un stigmate victimaire. Et de nourrir par la-même le fantasme de la reconstruction à l'identique. La transformation des signes ne devient complète que lorsque de nouveaux signes viennent parachever le geste iconoclaste. (...). faute de quoi l'iconoclasme n'est que damnatio memoriae". C'est une remarque fondamentale car elle implique déjà (ce qui est bien développé dans les divers articles) la référence à la temporalité.
Les révolutionnaires veulent arrêter le temps pour fonder une nouvelle ère - signe ces coups de fusils donnés aux horloges publiques en 1830-1831. On veut aussi faire durer et donner de la substance à la période révolutionnaire ou contestataire. Il ne faut pas oublier, par exemple, que le "
l'iconoclasme monumental" de la Commune (expression de l'article d'E. Fournier) nécessite une longue planification et une certaine maîtrise technique. Les grands incendies qui durent plusieurs jours aux Tuileries, à l'Hôtel de ville ou au domicile de Thiers sont des moments d'union très forte. Il nous paraît incroyable, à présent, que nombre des anciens communards se disent volontiers plus fiers des incendies que de l'abattage de la Colonne. Dans le contexte du siège de Paris et du sentiment de la capitale menacée de tous les côtés, les communards prennent le temps de s'instaurer en unité politique. Signe fort que dans les phases les plus mouvementés où les acteurs ont peur d'être dépossédé de l'histoire qu'ils "font" (au sens du "faire historique" chez un Castoriadis), ceux-ci investissent leur temps dans des actes d'abord symboliques. Les contributeurs remarquent aussi que ce qui a été saisi dans ces destructions est immédiatement censé aider à défendre Paris et élever les barricades.
Le temps de détruire et le temps d'édifier s'imbriquent bien souvent, mais nombre de phases révolutionnaires ne parviennent pas à imposer leur marque. Ainsi 1848 et 1871 échouent à orchestrer un "
iconoclasme régénérateur"(Fureix), comme cela s'était produit en 1792-1793. Une esthétiques et des symboles nouveaux peinent à s'imposer, faute de temps. Dans les deux cas, les grands vainqueurs sont les acteurs d'un "
contre-iconoclasme", d'abord du Prince-Président en 1849-1850, puis celui de l'Ordre moral de Mac-Mahon.
Je signale qu'un des meilleurs articles ("Faut-il détruire une statue pour rétablir l'ordre ?", par Vincent Robert) traite du destin mouvementé de la statue quarantuitarde de "l'Homme du Peuple", siège d'une bataille des symboles à Lyon entre 1848 et 1850.
En 1830-1831, les révolutionnaires se dépêchent de fortifier l'image du nouveau régime, dont on sent qu'il est en grand péril. Pris de cours, on ne décide pas de régénérer les symboles, mais de préserver ceux que l'on juge dignes de la nation (le drapeau tricolore, la cocarde, le coq...). On détruit le legs contre-révolutionnaire dans une certaine hâte, sans édifier un langage fondamentalement nouveau. Là encore, l'arbre de la liberté s'opposait au calvaire.
Dans l'article consacré aux déboulonnage de statues soviétiques en 1991, on comprend que le nouveau régime d'Eltsine a peiné à trouver de nouveaux symboles et de nouveaux héros "démocratiques" pour remplacer le rouge manteau de l'art soviétique. On a relevé certains monuments du passé tsariste et sélectionné ceux des monuments bolcheviques qui signifiaient quelque chose de la grandeur nationale. Ainsi, l'étude du paysage monumental moscovite insiste sur l'aspect "patchwork" et volontiers syncrétique. Il reste (en 2014, date de publication) 70 000 effigies de Lénine ; 60 % des noms de rues moscovites renvoient au communisme.
Le premier article de B. Tillier offre un vaste panorama sur la "mort des statues". Sa première remarque globale est intéressante : Qu'en 2013, comme en 1792 on souille et brise des statues, à rebours de l'iconophobie poseuses de certains intellectuels. Il n'est pas vrai du tout que l'image incarnée relève d'une sensibilité des masses propre au XIXe et au XXe. On l'a bien vu dès le début de ce fil - l'image qui trône constitue encore aujourd'hui un point de crispation, quand bien même la plupart ignorent (ce que disait Pierma) tout de son contexte intrinsèque et de celui extrinsèque présidant à son érection.
A de rares exceptions, le consensus est davantage du côté de l'indifférence que de la mémoire et c'est bien la mémoire blessée qui peut engendrer de la violence à l'encontre des effigies.
Il y a des exceptions : je pense surtout aux mémoriaux et aux monuments des deux guerres - les profanations qui se produisent parfois nous sont très difficilement supportables, de même que le manque d'égard. Par exemple, dans ma ville je remarque qu'on s'assoit sur le Berlioz, mais certainement pas (ou beaucoup moins) sur les monuments aux morts.
La question est bien : pourquoi continuer à abattre ou mutiler les statues pour un résultat (en lui-même) nul ? Une partie de la réponse se trouve dans l'acte, pris du début à la fin. C'est un moment d'expérience collective très lourd de sens, il vaut une leçon. Le
regard, celui des spectateurs plus ou moins investis a été trop négligé au profit de l'acte profanateur. La destruction de la Bastille est à ce titre un évènement paradigmatique, de la même façon que la chute du Mur.
(
N.B : je continue dans un message suivant pour ne pas rendre le tout indigeste ! Je suis désolé pour le sommaire qui tient trop de place
)