Ca devient pointu
Alors, si, Weber consacre une grande partie d'Economie et Societe a definir les caracteristiques de ce qu'il appelle l'organisation rationnelle du travail. Bien evidemment, il n'emprunte pas le concept a Durkheim, il l'emprunte sans doute a Marx -on a coutume de penser que c'est chez Marx que Weber trouve les premisses de sa formalisation theorique. Qui lui-meme l'emprunte sans doute a Adam Smith, qui lui-meme, etc. Le concept d'organisation rationnelle du travail ne nait certainement pas a la fin du XIXe siecle.
En revanche, Weber tente de montrer que cette organisation rationnelle du travail,
en tant que expression pleine et typique du capitalisme, lui-meme expression du processus de rationalisation occidental, trouve ses fondements dans l'ethos ascetique du protestantisme, tout a fait.
Cet ethos, selon Weber, s'exprime par un certain nombre de pratiques, certes.
Mais la these consiste en fait a dire que ce n'est absolument pas la recherche du profit qui caracterise le "capitaliste protestant" (allez, permettez-moi ce raccourci, sinon on n'en sort pas). Presque : Au contraire, l'ascetisme protestant, dans sa perspective doctrinaire, irait eventuellement a l'encontre de cet objectif.
Disons, pour etre plus clair, que ce n'est certainement pas l'objectif que Luther et Calvin assignent a leur enseignement, et que ce n'est certainement pas celui que les fideles poursuivent "consciemment", disons "rationnellement".
Mais : Cet enseignement repose (entre autres) sur les deux piliers prealablement indiques.
La doctrine de la double predestination proclame que chaque homme, de toute eternite, a ete choisi par Dieu des sa naissance, pour etre sauve ou perdu, et que rien ne peut modifier cette predestination.
La doctrine du Beruf proclame que la vocation de l'homme est de servir Dieu, non seulement dans sa vie spirituelle, mais egalement dans sa vie materielle : Reussir dans ce monde plait a Dieu, et la reussite en ce monde est le signe qu'on plait a Dieu.
Donc, selon Weber, la croyance en ces deux doctrines agit de cette maniere precisement sur les pratiques des fideles : C'est dans la reussite en ce monde, et en particulier dans la reussite "materielle", qu'ils vont chercher a trouver les signes de leur predestination "positive".
Voila, selon Weber, ce qui distingue fondamentalement le "capitaliste catholique" et le "capitaliste protestant" : Le second trouve une justification ideologique a sa pratique, ce qui lui "permet" de lui donner sa "pleine mesure".
Mais on voit donc, et c'est l'element fondamental, que, pour Weber, le processus qui fonde la pleine expression du capitalisme est de nature "inconsciente". De meme, d'ailleurs, et c'est la ligne de force de toute l'oeuvre de Weber, que le processus de rationalisation, ou "desenchantement du monde", propre a la civilisation occidentale. Ce qu'il appelle : le sens comme but subjectivement vise.
En ce sens precisement, il se rapproche effectivement de Durkheim, ou de certaines theses de Durkheim.
Mais en fait, il n'y a la rien de surprenant : "L'inconscient", ou disons, une sorte d'"inconscient collectif" constitue l'objet premier de tout un pan de la sociologie, de Durkheim a Bourdieu, en passant par Mauss, Levi-Strauss, Weber, Elias, etc..
Sans que cet objet ne soit jamais defini, d'ailleurs, mais c'est une tout autre histoire qui n'a sans doute pas sa place ici.