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Message Publié : 10 Août 2006 12:43 
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Jean Mabillon
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Vous dites: ''à savoir principalement, que c'est actuellement un château de cartes qui repose essentiellement sur une analyse d'ossements qui n'est pas fiable, comme le reconnaissent les auteurs eux-mêmes (Bruce et Christine Rotschild).''

Bruce et Christine Rothschild ne reconnaissent rien de tel. Ils disent en fait, tout le contraire, que la ''signature chimique de la syphilis'' atteste la présence très ancienne de cette maladie aux Amériques, tant chez les humains que chez des animaux, et que cette signature consiste en des lésions osseuses caractéristiques et en la présence d'anticorps de la maladie. Je cite, parce qu'apparemment, vous avez une conception disons créative de la traduction:

'' Back in 1987, rheumatologist Bruce Rothschild of the Northeastern Universities College of Medicine in Youngstown, Ohio, and William Turbill of the Field Museum of Natural History in Chicago, reported that they'd detected the chemical signature of syphilis in the bones of an 11,000-year-old bear. The bones of the bear, which once lived in what is now Indiana, showed damage similar to that seen in humans with the disease, and tested positive for antibodies to the syphilis bacterium. The earliest signs of syphilis in humans date back to about 2,000 years ago...''

De plus, cet article aboutit à des conclusions pro-européennes exactement opposées aux vôtres. Vous n'en citez que la partie initiale exposant votre thése alors que la suite de l'article en prend le contrepied. Je cite cette conclusion:

''But other researchers say that there is simply too much evidence of pre-Columbian syphilis in the Old World to ignore. Archaeologists have found ancient skeletons with tell-tale signs of syphilis, such as thickening in the lower leg bones and pitting in the skull, at half a dozen sites in England, and also in Italy, Israel, and other locations in Europe. The clear implication is that the venereal form of syphilis was already present in Europe before Columbus's voyage.''


Vous dites: ''De quelles "connaissances modernes" parlez-vous? Pourriez-vous être plus précis ? Connaissez-vous l'analyse des ossements ? Pouvez-vous la décrire ? Pouvez-vous expliquez pourquoi cette méthode serait fiable selon vous pour reconnaître la syphilis ?''

Ces connaissances sont précisement l'objet de ces articles. Pour la description de la signature osseuse, voir plus haut. Et je ne vois pas l'intêrét de mon opinion personelle de non spécialiste sur la question de la fiabilite de la signature osseuse; je me borne à rapporter les résultats de recherches.

Vous dites: ''Selon moi, personne n'a apporté la preuve qu'il ait existé un seul européen porteur de la syphilis entre l'an -300 et l'an 1494. Il est possible que certains européens ait été victimes tréponématoses qui ne soient pas des syphilis, mais il est uniquement question ici de la maladie de la syphilis, pas des autres tréponématoses.''

Pour ce qui est de l'identification de trépanomatoses vénériennes en Europe, le Dr. Otner dans le premier article cité dans ma liste d'URL parle, je cite, de ''classic syphilis evidence'' à propos des squelettes anglais qu'il a étudiés; ses conclusions rejoignent--cf cet article--celles des fouilles italiennes.

Sur la base des ossements de fouilles anciennes, il était établi qu'il y ait eu des tréponématoses en Europe avant Colomb. Ce qui était moins clair, c'est que ces ossements puissent établir l'existence de tréponématose spécifiquement vénérienne, QUE CE SOIT AUX AMERIQUES ou en Europe.
D'après ce que j'ai lu, les lésions osseuses permettent bien de faire la différence entre ces deux types de tréponématoses, mettant ainsi en évidence la présence de syphilis en Europe precolombienne, ce qui est la conclusion des analystes des fouilles anglaises et italiennes cités dans les articles.
Si l'on considère que cette signature osseuse n'est en soi pas probante, alors il n'est pas davantage établi que la forme de tréponématose spécifiquement vénérienne, celle dont on dit qu'elle a été importée en Europe, ait été présente aux Amériques.
A moins que les analystes des sites anglais et italiens aient tous les deux faussement identifié la signature de la syphilis dans ces deux cas :?: :?: :!: .

Vous dites: ''Quels chercheurs ? Des noms ? Sont-ils sérieux ? Sont-ils des historiens ? Sont-ils désintéressés ?''

Da capo, les noms et les titres de ces chercheurs figurent dans les articles qui abordent leurs travaux.
Lisez-vous en diagonale ou est-ce pour déstabiliser votre adversaire que vous posez des questions dont il vous suffit de lire les ref. citées pour connaître les réponses?
Et sur quels critères proposez-vous de juger du sérieux et du désintéressement!!! d'un universitaire étranger? Poseriez vous la même question à propos d'un membre du CNRS ou du Collège de France? Et poser cette question à propos, par exemple, d'un chercheur du Smithsonian révèle disons une certaine ingénuité quand à la connaissance des structures culturelles/académiques US.

Vous dites: ''Des mutations existent, mais il ne faut pas tout mélanger.
Vous proposez une mutation du béjel vers la syphilis, ou une mutation de la pinta vers la syphilis. Comment s'opèrerait l'une ou l'autre de ces deux mutations ? Donnez des détails. Connaissez-vous au moins ces deux spirochètes ? Connaît-on leur ADN ? Quelle partie de leur ADN doit-être modifiée pour transformer un spirochète de bejel en un spirochète de syphilis ? A-t-on déjà vu en laboratoire un spirochète de bejel ou de pinta muter en un spirochète de syphilis ?''

Qui a parlé d'une mutation génétique? Certains chercheurs émettent l'hypothèse d'une mutation génétique à partir du yaws mais ce que j'ai évoqué est une mutation des symptômes de la maladie et de son mode de transmission liée à un changement du milieu humain--suite à brassage de populations--et géographique de propagation, non une mutation de l'agent infectieux.
Deux chercheurs proaméricains que vous citez, Armelagos et Baker suggèrent l'hypothèse interessante que des tréponématoses sous une forme non vénérienne étaient endémiques aux Amériques, les atteintes à l'émail des dents des enfants suggérant une forme héréditaire, conférant une immunisation à la maladie in utero. La transmission aurait pu alors s'effectuer sur un mode vénérien chez des populations vierges non immunisées.

Vous dites: ''qu'une telle mutation se produise, mais qu'en plus elle est lieue juste après le retour des marins de Christophe Colomb, et juste dans la ville où ces marins sont revenus. Quelles coïncidences !''

L'épidemie ne se déclenche pas dans la ville où les marins sont revenus, cad en Espagne.
Elle s'est d'abord manifestée en Italie--'d'où l'appelation '''mal de Naples''--parmi les troupes françaises--première observation lors de la bataille de Fornoue, juillet 95--puis en France ou elle aurait été rapportée par les soldats de Charles VIII-- d'ou l'appellation ''mal français'', puis elle passe en Espagne en 97.
Pourquoi ne s'est elle pas d'abord répandue en Espagne, chez les marins de Colomb, là ou ils sont arrivés :?: . Certains symptômes cutanés de la maladie sont très visibles--les fameux ''bubas'' ou pustules assez semblables à une éruption de varicelle-- apparaissent usuellement environ 6/8 semaines après la contamination, sans parler d'autres symptômes comme la fièvre, les migraines prêtant davantage à confusion. Rien de tel n'est signalé dans les équipages de Colomb, ni chez les Indiens qu'ils ont ramenés.
On escamote le problème en affirmant que des marins de Colomb se sont engagés dans les mercenaires du roi de France. Il semble que ce soit une de ces légendes indéfiniment recyclée; il y avait certes des espagnols dans les troupes adverses mais la présence de contingents espagnols dans les troupes de mercenaires de Charles VIII n'est pas établie.
Quant à la coïncidence retour de Colomb en 93/apparition de la syphilis en 94/95, l'article 2, écrit par un ex-américain converti à la thèse européenne, rappelle que l'épidemie coïncide aussi avec l'expulsion des Musulmans et Juifs d'Espagne--9 bateaux de Juifs expulsés sont arrivés à Naples en 1493. Ce sont ces immigrants juifs qui, bien avant l'adoption de l'explication américaine, ont été accusés d'avoir apporté la maladie.

Vous dites: ''Des thèses, mais aucune preuve. La science a besoin de preuves.''

Voila qui est une révélation. (:8:)
Des preuves de quoi? la querelle américaine/uniciste ne me passionne pas vraiment, je penche vers la thèse européenne sur la base des données auxquelles j'ai eu accès, mais mon propos n'était pas de démontrer telle ou telle théorie, simplement d'établir que la théorie américaine, longtemps hégémonique, ne l'est plus et qu'il y a maintenant des théories diverses et plus complexes en présence, les découvertes récentes d'ossements semblant conforter les théories unicistes.
Et J'ai pris soin de préciser qu'en l'état actuel, aucune des théories existantes ne peut rendre compte de façon évidentielle et complète du problème des origines de la syphilis.

Vous dites: ''Une syphilis qui ne serait pas vénériennne, cela n'a aucun sens. C'est E.H. Hudson qui pense qu'un cas de béjel observé en 1929 chez des bédouins serait une syphilis non-vénérienne. Mais c'est comme une maladie cardiaque qui ne concernerait pas le coeur mais le foie, ou comme un bateau qui n'irait pas sur l'eau, ou un avion qui ne volerait pas. En jouant sur les mots, on peut dire n'importe quoi. Cela devient de la poésie, pas de la science.''

Vous semblez peu familier avec les articles et recherches anglo-saxons sur la question et leur terminologie. Si c'était le cas, vous auriez remarqué que les termes de ''syphilis vénérienne'' ou ''syphilis non vénérienne'' y sont couramment employés, voir par exemple dans l'article cité ci-dessus--je cite, ''venereal form of syphilis''.

Vous dites: ''La découverte italienne a été faite par Dr. Maciej Henneberg et Renata Henneberg, anatomistes d'Afrique du Sud. En fait, les ossements n'ont pas de trous. Il y a seize crânes un peu plus épais que la normale, sept os longs ayant des marques, et des dents dont l'émail est défectueux. Les anatomistes précisent "we are not sure of our findings", et "we cannot tell whether the infection was veneral or not". Dr. Alfred W. Crosby de l'université du Texas déclare "As long as all we've got is bone deformations, I don't think we are getting anywhere in solving the origins of syphilis".''

Les Henneberg ne disent rien de tel dans l'article cité, ils disent au contraire clairement que leurs travaux contredisent les arguments de la thèse américaine; je cite:

''conducted by Dr. Maciej Henneberg and Renata Henneberg, anatomists at the University of Witwatersrand in Johannesburg.
In a report published last week in the journal National Geographic Research & Exploration, the scientists said their results contradicted the arguments in favor of the New World origins of syphilis and supported the pre-Columbian hypothesis''.

Et ainsi de suite. Je ne vais pas continuer à passer en revue les quelques arguments qui restent, c'est fastidieux, interminable, et de peu d'intérêt pour les forumistes.
Veuillez m'excuser de ne pas donner systématiquement les traductions des passages cités, ce post est déjà suffisamment long. Je peux le faire pour ceux que cela interesse.

Récapitulons.
Dans ce seul post, vous donnez des traductions inexactes, vous ne citez dans un texte que ce qui va dans le sens de votre thèse et vous taisez le reste, vous me prêtez des propos que je n'ai pas tenus, vous posez, sur un ton comminatoire, des questions dont les réponses figurent dans les refs. citées, vous faites dire à des chercheurs le contraire de ce qu'ils ont dit, tout cela en faisant la fine bouche sur le sérieux des chercheurs cités.
Sans commentaire. :roll:
Et mon dernier post sur cette question, qui a suffisamment encombre ce fil.


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Message Publié : 10 Août 2006 13:14 
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Je pense qu'il conviendrait de séparer les sujets parce qu'il devient difficile de suivre la discussion.


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Message Publié : 10 Août 2006 15:54 
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Jean Mabillon
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Pour revenir dans l'objet de ce fil, deux exemples trouvés dans ''Gens de finance au 18ème siècle'' de Guy Chaussinand Nogaret.

Tout d'abord, le stéréotype selon lequel le 18ème siècle, c'est le siècle des Lumières, le triomphe de la raison, le recul des croyances et superstitions obscurantistes, etc.
A ma connaissance et sous réserve , c'est cette vision qui domine dans les histoires de la Révolution produites au 19ème siècle. Et qui perdure dans le grand public aujourd'hui.
Or CN le souligne à propos de la franc-maçonnerie, ce siècle vit aussi une profusion de mouvements et sectes illuministes, ésotériques, mystiques--swedenborgiens, rose-croix, martinistes, théosophes, adeptes de Messmer.
On pense à Casanova assurant sa matérielle en escroquant de riches nobles ou bourgeois abusés par ses soi-disant talents de mage et d'alchimiste.
Les loges jouent un rôle dans cet intérêt pour l'occultisme, en particulier celle des Amis réunis--les Philatètes--qui se proposent de ''procurer aux hommes la vraie lumière.''
Le romantisme étant en germe dans tout ce foisonnement mystique prérévolutionnaire.

Un autre exemple, mineur mais intéressant.
Ce livre rappelle une notion, selon GCN, reprise par des historiens mais née dans la culture populaire, celle de la basse extraction des financiers, fermiers généraux, receveurs généraux et trésoriers divers--cad des gestionnaires de l'argent de l'Etat pat opposition aux banquiers, argent privé.
Les romans, pièces de théâtre et légendes urbaines de l'époque évoquent des financiers partis de rien et ayant accumulé rapidement des fortunes astronomiques, des parvenus frustes et incultes sortis du ruisseau, nés dans les plus humbles conditions sociales comme le laquais du Turcaret de Lesage, des self made men accédant en quelques années au summum de la richesse.

En fait, les origines des financiers sont bourgeoises ou nobles, et la promotion sociale, réelle, est interne à la bourgeoisie.
Et ce ne sont pas des self made men--il faut deux ou trois générations de bourgeois pour accéder aux hauts postes financiers, et la porte qui donne accès à ces postes est l'achat de charges.
Typiquement, ''le négociant ou le banquier de province, fils d'un marchand de moindre importance, à la rigueur d'un chirurgien ou d'un petit notable, achète une charge de receveur des tailles. C'est à la troisième génération qu'on accède aux offices supérieurs''.
Et à la noblesse, typiquement par l'achat d'une charge de secrétaire du roi, la ''savonette à vilain''.
''En 1786, seuls 1/10ème des financiers étaient roturiers, selon les recherches d'Yves Durand.''


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Message Publié : 11 Août 2006 0:51 
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Salluste
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Tonnerre a écrit :
En fait, les origines des financiers sont bourgeoises ou nobles, et la promotion sociale, réelle, est interne à la bourgeoisie.

Tonnerre a écrit :
''En 1786, seuls 1/10ème des financiers étaient roturiers, selon les recherches d'Yves Durand.''

Une précision : il veut bien dire que 9/10e des financiers étaient nobles dont peut-être certains de souche ancienne ? (ce qui m'étonne beaucoup).

Pour moi l'expression "bourgeois ou noble" ne veut rien dire puisque la césure sociale fondamentale était l'appartenance ou non à la noblesse.

Merci pour vos explications, je n'ai pas tout compris :wink:


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Message Publié : 11 Août 2006 9:30 
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Il existe quelques exceptions cèlébres; comme les frères Pâris, fils d'un aubergistes de Moirans dans le Dauphiné qui vont se retrouver à la tête d'une immense fortune sous Louis XIV et Louis XV.

Citer :
Jean Pâris de Montmartel, marquis de Brunoy (1690-1766) fut garde du Trésor royal et banquier de la cour de Louis XIV et de Louis XV.

Le maréchal de Saxe écrit en 1746 à propos de Montmartel et de son frère Duverney : « Ce sont deux personnages qui ne veulent pas paraître, et qui, dans le fond, sont fort considérables dans ce pays-ci, parce qu'ils font mouvoir toute la machine. Ce sont mes amis intimes de tous les temps, et ce sont les plus honnêtes gens et les meilleurs citoyens ».

Montmartel est parfois orthographié avec un t, bien qu'il n'ait jamais signé ainsi.


http://fr.wikipedia.org/wiki/Fr%C3%A8res_P%C3%A2ris

http://fr.wikipedia.org/wiki/Jean_P%C3%A2ris_dit_de_Montmartel

PS: Vu les dates, se pourraient être ces financiers qui font l'objet des remarques dans la littérature de l'époque. Leur formidable ascension sociale, ils ont commencé comme valets ou personnes à tout faire dans l'auberge familiale, devait faire bien des envieux.
L'un d'eux serait le père de la marquise de Pompadour.


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Message Publié : 11 Août 2006 9:30 
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Citer :
la césure sociale fondamentale était l'appartenance ou non à la noblesse.


« Fondamentale » : très discutable, selon moi... voilà justement encore un mythe ou une idée fausse : les clivages sociaux traversaient les ordres de manière très nette, et ils étaient ressentis de façon très concrète dans le vécu quotidien des contemporains.

Par exemple, Samuel Bernard était à des années-lumières d’un laboureur, alors qu’ils étaient tous deux roturiers. Bernard est cependant anobli en 1699 et va accumuler les titres en même temps que la fortune. Voilà, Tonnerre, un cas de self-made-man, puisque son père est peintre-graveur, assez renommé certes, mais ni noble, ni fortuné, et de surcroît protestant (il a dû abjurer à la Révocation pour rester professeur à l’Académie).
Un curé de campagne vivant de sa portion congrue était plus proche de ce même laboureur que de son évêque, tous deux du premier ordre.
Le petit nobliau vivant dans son château ruiné au toit crevé, passant la charrue, mais avec son épée au côté (et ils sont très nombreux), est lui-même plus proche de ce curé et de ce laboureur que du noble de cour, alors qu’ils partagent les mêmes privilèges.

En fait, il existait une véritable osmose entre ces puissants, qu’ils soient nobles, bourgeois ou clercs, à la fois sur les plan économique (communauté d'intérêt et liens financiers), intellectuel (regardez le tableau Le salon de Madame Geoffrin, par Lemonnier), et dans le style de vie. De même, les défavorisés des trois ordres partagent les mêmes difficultés économiques.

Quant aux frontières hermétiques entre les ordres, voilà encore une autre idée fausse. Elles étaient au contraire plutôt poreuses. Les besoins financiers de la monarchie l’ont poussé à multiplier les offices anoblissants, « la savonnette à vilains » que mentionne Tonnerre. Reste effectivement le mépris de l’ancienne noblesse pour ces parvenus, mais qu’elle savait occulter quand un mariage avec une fille de riche bourgeois lui permettait de rétablir sa fortune mangée par les dettes, de « redorer son blason ».

Un exemple pour en revenir à Samuel Bernard fils, archétype du grand financier et nouveau noble: il épouse une Saint-Chamans, héritière de la meilleure noblesse (sa mère est une Chastellux, elle-même issue des Clermont d’Amboise et des Bade-Hochberg), son fils (d’un autre mariage) épouse une autre Chastellux, la soeur de sa belle-mère, et un autre fils épouse une Frotier de la Messelière, à la noblesse immémoriale (dans ses ancêtres, on voit des La Rochefoucauld, des Polignac, Maillé, Clisson, etc...)
Même possibilité pour les roturiers intellectuellement doués d’accéder au haut clergé, ce qui est plus fréquent qu’on ne le croit, grâce au renouveau de la ferveur catholique au XVIIème siècle, qui a souvent privilégié la foi sur la naissance, phénomène de moins en moins fréquent au XVIIIème siècle cependant.
Car la fermeture de la noblesse a été réelle à cette époque, surtout dans les dernières années de l’Ancien Régime, et c’est justement cela qui a fait bouillir la marmite puis sauter le couvercle..., preuve a contrario de sa fréquence auparavant.

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Message Publié : 11 Août 2006 10:41 
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Jean Mabillon
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Une précision : il veut bien dire que 9/10e des financiers étaient nobles dont peut-être certains de souche ancienne ?


Oui, aucune autre interprétation de cette phrase n'est possible.
En principe, ou on appartient à la noblesse, ou pas.
Quoique, plus anciennement, avec la processus connu sous le nom de noblesse taisible, il y avait une zone grise...Et avec le systèmes des charges anoblissantes, on peut être en voie d'anoblissement.
Mais l'accès à la noblesse par voie taisible n'est plus guère possible à partir du 17ème siècle, surtout à partir de Louis XIV qui a voulu contrôler le processus d'entrée dans le second ordre, qui passe des lors nécessairement par une charge ou une lettre royale.
Ce contrôle royal sur l'entrée dans le second ordre est compréhensible--la vente des charges rapportait aux finances royales, par contre les membres de la noblesse étaient dispensés de diverses obligations fiscales, en particulier du paiement de la taille.
pour l'anoblissement par charges, il faut vingt ans en charge ou mourir en charge pour que la noblesse soit établie mais sur les documents officiels, la date d'accession à la noblesse est celle de l'achat de la charge.
Pour les fermiers généraux, il s'agissait essentiellement d'anoblis plus ou moins récents.
Les frères Pâris de Montmartel étaient en effet d'assez modeste origine. Ils avaient commencé leur carrière dans les fournitures militaires, puis dans les offices comme leur père, conseiller du roi--ce qui ne veut pas dire grand'chose alors--Ils travaillent en collaboration étroite et sont les protégés de la duchesse de Bourgogne puis de la Pompadour--ils présentent volontiers des maîtresses au roi. L'ainé devient trésorier de l'Extraordinaire des guerres, puis ils sont dans les remises aux armées avec Samuel Bernard, achètent la charge de receveur général des Finances en Dauphiné, trésorier général des Ponts et chaussées, garde du Trésor royal, l'ainé est nommé intendant des finances. Ils remettent de l'ordre dans les finances de l'Etat--opérations du Visa. Une grande réussite financière et sociale, donc.


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Message Publié : 11 Août 2006 11:26 
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Jean Mabillon
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Inscription : 04 Juin 2006 12:47
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[quote]tous deux roturiers. Bernard est cependant anobli en 1699 et va accumuler les titres en même temps que la fortune. Voilà, Tonnerre, un cas de self-made-man, puisque son père est peintre-graveur, assez renommé certes, mais ni noble, ni fortuné, et de surcroît protestant (il a dû abjurer à la Révocation pour rester professeur à l’Académie).

[quote]

Question de terminologie. Tout dépend de ce que l'on entend par self made man Plantin Moretus. (:8:)
Voici la definition dans un Thesaurus anglais, et pardonnez ce pinaillage, mais un consensus terminologique minimal est la condition d'une bonne discussion :D .

''Self-made man, a man who has risen from poverty or obscurity by means of his own talents or energies.''

Si l'on entend sorti du peuple, né au niveau zéro, ''sorti de la pauvreté ou de l'obscurité'' et monté en haut de l'échelle tout seul, ''rags to riches'', votre exemple rejoint assez ce qu'explique CN =le cas typique est l'origine dans la petite bourgeoisie puis le passage en deux ou trois générations à la grande, et anoblissement en cours de route. Un peintre graveur renommé ne me semble bas de l'échelle sociale.
Notez aussi que les énoncés de CN sont statistiques, pas normatifs.

Pour l'anoblissement par charges--il est difficile de poster vite sans schematiser--il y avait plusieurs possibilités ''chronologiques''. Donc je précise bien que l'anoblissement après 20 ans en charge n'est pas la seule modalité. Voir Francois Bluche, L'anoblissement par charges, sur ce sujet complexe.


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Message Publié : 11 Août 2006 11:28 
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Jean Mabillon
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Difficile aussi de poster vite sans typos.
Veuillez lire ''ne me semble PAS AU bas de l'échelle sociale''.


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Message Publié : 11 Août 2006 13:41 
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Jean Mabillon
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Les frères Pâris de Montmartel


Décidemment, on ne devrait pas poster quand on est pressé.
Lire svp ''dont de Monmartel''
Un autre des frères etait de la Montagne, il y en avait quatre .
Et l'un d'eux avait épousé la fille d'un autre.


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Message Publié : 12 Août 2006 10:09 
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Jean Mabillon
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étaient au contraire plutôt poreuses. Les besoins financiers de la monarchie l’ont poussé à multiplier les offices anoblissants, « la savonnette à vilains » que mentionne Tonnerre. Reste effectivement le mépris de l’ancienne noblesse pour ces parvenus, mais qu’elle savait occulter quand un mariage avec une fille de riche bourgeois lui permettait de rétablir sa fortune mangée par les dettes, de « redorer son blason ».


Oui, tout à fait. Il y avait beaucoup de charges anoblissantes qui permettaient, avec de l'argent, d'entrer dans le second ordre.
Dans des travaux généalogiques sur cette époque, il m'a paru intéressant sociologiquement de repérer les étapes et modalités de l'ascension sociale des familles concernées.
L'itinéraire décrit par CN est fréquent; le deuxième échelon de cette ascension est typiquement: intéressé aux Fermes du roi, receveur ou vérificateur des aides, des tailles, des gabelles, des octrois, toutes fonctions de finances et non administratives, vu le système d'affermage des impôts.
L'anoblissement par charge peut intervenir dès cette étape, souvent à la maturité ou fin de carrière de celui qui occupe ces fonctions. A cette étape, l'ascension en cours se repère aussi aux mariages avec des filles de la noblesse ancienne.
Ou/et il y a la voie du droit et de la justice--avocat, substitut, conseiller en Parlement, maître des requêtes, etc.
L'échelon supérieur, celui de la 3ème gènèration et de la réussite confirmée correspond à des fonctions telles que directeur des Fermes du roi à X, fermier général, receveur général, trésorier général de la Marine. A cet échelon, la plupart sont anoblis.
La consécration suprême étant des fonctions comme directeur général des fermes du roi, intendant général des finances, voire contrôleur général des finances, cad ministre des finances, pour celui dont les talents, et les protections, sont exceptionnels.


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Message Publié : 12 Août 2006 13:10 
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Jean Mabillon
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non administratives


Je veux dire par la qu'ils ne sont pas des fonctionnaires.

Autre exemple, tiré du même CN, qui va contre les idées reçues sur l'histoire de cette periode.
On associe automatiquement bourgeoisie et développement du capitalisme--manufactures, grand commerce et armateurs, grands travaux, compagnies par parts, cf. différentes versions de la compagnie des Indes, etc.
la noblesse étant vue comme un groupe qui ne participe pas à la modernisation économique du royaume, ou uniquement --fidèle à sa vocation terrienne originelle--à la modernisation de l'agriculture par l'adoption des thèses physiocrates sur ses terres
Or à la fin du 18ème siècle, il y a un grand essor capitaliste et les nouveaux grands projets qui voient le jour exigent des mises de fond considérables.
Selon CN, ''bourgeois, négociants, banquiers, armateurs'' ne font pas le poids, ceux qui peuvent rassembler des fonds à la taille de ces projets sont les trésoriers et receveurs généraux qui ''sont seuls à la barre''; par exemple celui de la Marine, pour un projet de développement du commerce et de la navigation dans la Baltique.
JE cite ''ce sont eux (les receveurs et trésoriers généraux)qui ont engagé dans les années 1780 le processus de la révolution industrielle...
La ferme générale apparaît peu... les cautionnements plus élevés accaparent son capital. La noblesse de cour participe au mouvement, LA BOURGEOISIE N'APPARAIT PAS. Ce n'est donc pas par le Tiers Etat, mais par le Second ordre, celui des nobles et des officiers royaux, que le capitalisme traditionnel s'articule sur une industrie moderne, s'introduit dans l'usine''.

Selon cet auteur, qui reprend cette thèse dans son ouvrage sur la noblesse française au 18ème siècle--la noblesse, celle des anoblis mais aussi la noblesse ancienne, a joué un rôle important dans le développement du capitalisme.
CN parle d'un ''capitalisme de cour''.
Des membres de la grande noblesse de cour participant a ces projets plutôt à titre d'investisseurs que d'initiateurs et organisateurs :?:


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Message Publié : 12 Août 2006 20:29 
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Grégoire de Tours
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C'est parfaitement intéressant, mais voulez-vous dire, Tonnerre, que cet auteur, Chaussinet Nogaret donc, infirme les thèses contraires ou différentes ? Là encore, on rejoint un point d'épistémologie fondamental.

Par exemple, lorsqu'on dit que le XVIIIe siècle est le siècle des Lumières, on ne suppose pas que le moindre paysan de Bretagne -ou d'ailleurs, que les Bretons n'en prennent pas ombrage :) - lisait Rousseau, connaissait Kant, et se passionnait pour l'affaire Callas. Ca n'aurait évidemment aucun sens.


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Message Publié : 12 Août 2006 20:32 
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Grégoire de Tours
Grégoire de Tours
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Enfin, vous voyez ce que je veux dire, n'est-ce pas ? :D


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Message Publié : 12 Août 2006 22:24 
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Jean Mabillon
Jean Mabillon

Inscription : 04 Juin 2006 12:47
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Enfin, vous voyez ce que je veux dire, n'est-ce pas ?


A peu près Bergame. :)
Quand on évoque les Lumières et leur impact sociologique, il est évident qu'il se limita essentiellement à une élite de gens aisés, cultivés, plutôt urbains, qui lisaient, qui avaient certaines connexions sociales, par exemple, justement, le milieu des nouveaux anoblis.
Rousseau a trouvé de généreux mécènes qui lui ont permis d'écrire dans une paix relative dans ce milieu des fermiers généraux, Voltaire y était connecté aussi.
L'erreur, c'est de ne retenir que le rationalisme dans le bouillonnement d'idées prérévolutionnaire, et aussi de se représenter deux camps nettement séparés, alors que des éléments rationalistes--critique et réformisme politique et religieux--et mystiques et ésotériques se mêlaient dans les idees propagées par les loges maçonniques par exemple.

Autre thèse communément adoptée pendant longtemps dans les études concernant les Cathares, qui serait fausse: la notion que ce serait une doctrine influencée par des religions orientales, en particulier le manichéisme.
Selon une interview d'une spécialiste de la question parue dans un hebdo récent, il n'en est rien, ces notions auraient été répandues par le camp des vainqueurs...


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