Aspasie mineure a écrit :
La difficulté de démêler réalité historique et récit mythique, tient à mon avis à plusieurs facteurs : d'abord à la rédaction tardive des Ecritures par rapport aux évènements relatés. Ensuite à la manière dont les Anciens écrivaient l'Histoire, en la remaniant pour lui donner un sens, qui n'est pas forcément le nôtre actuellement, et surtout ne correspond pas à notre vision de l'Histoire. Ce qui nous parait mensonge ou malhonnêteté intellectuelle ne l'était pas forcément. Et enfin, les Ecritures ne sont pas un livre d'Histoire : elles prétendent raporter une Vérité divine révélée aux hommes et racontent les étapes de cette révélation.
Un sens et une vérité sont donc à chercher ailleurs que dans la relation des faits.
On ne saurait mieux dire, en effet.
On peut ajouter que cette Vérité divine concerne, s’agissant de la Bible (du moins en son Ancien Testament), un peuple qui, en devenant l’élu de son dieu, entretient désormais avec lui un rapport privilégié, pour ne pas dire exclusif.
Quant à savoir si l’alliance (représentée ici par le Décalogue), qui lie le peuple élu à son dieu s’est réellement passé comme l’indique la Bible, c’est là une affaire qui ne peut être résolue que par les chercheurs (que ceux-ci soient archéologues ou historiens).
Ceci dit, pour les descendants du peuple du Livre, cette alliance est une phénomène tout à fait fondamental dans la mesure où elle équivaut à la naissance du peuple en question en tant que nation (elle qui, à l’époque, se définissait par l’appartenance à un dieu plutôt qu’à une terre - étant entendu qu’en ce temps-là les gens étaient d’abord et avant tout des nomades).
Ces nomades-là avaient donc en quelque sorte le même passeport lorsqu’ils adoraient le même dieu.
Et comme ils regardaient les astres durant leur rendonnée nocturne, ils se compareront à eux.
C’est donc leurs aventures à eux, astres, qu’on lit en filigrane dans les textes sacrés.
Et là est la différence fondamentale qui existe entre l’homme moderne et son ancêtre de l’antiquité.
Le premier, pour se faire une opinion, examine des documents et interroge des spécialistes (toutes disciplines confondues) qui, parce qu’ils ne sont pas tous d’accord entre eux, laissent planer le doute sur la véracité des événements étudiés.
Et c’est là précisément que le bât blesse. Que sait-on, en effet, en dehors des textes sacrés consignés dans la Bible, ou en dehors des travaux des exégètes, de l’existence réelle (ou historique) tour à tour d’Adam et Eve, de Noé, d’Abraham, d’Isaac, de Jacob, de Joseph, de Moïse, de Josué, de David, de Salomon, et plus tard de Jésus et des douze apôtres ?
A-t-on retrouvé, à cet égard, des preuves, dans les annales des rois ou des peuples habitant les régions concernées, qu’Abraham a bel et bien vécu en Mésopotamie au début de sa vie, ou en Egypte à un âge plus avancé ; ou que Joseph a été vizir, en Egypte, de tel ou tel pharaon ; ou que Moïse a fait sortir d’Egypte plus d’un demi-million de personnes afin de les emmener vers une Terre Promise qui, à en croire la Bible, ne deviendra telle qu’après quarante ans passés dans le désert ; ou que David créa un royaume qui, sous Salomon, est censé avoir relié l’Egypte à la Mésopotamie ; ou enfin que Jésus, avant d’avoir trois ans, s’est réfugié en Egypte avec ses parents pour échapper au meurtre voulu par un Hérode qui a décidé de faire tuer tous les enfants de cet âge sous prétexte que le futur roi des Juifs était l’un d’eux ?
Sur tous ces sujets, et malgré l’espoir qu’a suscité auprès des gens d’Eglise une archéologie biblique qui doit beaucoup, au départ, au Père Lagrange, on n’a pratiquement rien retrouvé. Et ce ne sont pas Israël Finkelstein et Neil Asher Silberman qui diront le contraire, eux qui, dans la Bible dévoilée, montrent que les documents exhumés par les archéologues ne cadrent absolument pas avec ce qu’on lit dans la Bible.
Bref, aussi longtemps qu’on n’a, comme source historique, que les textes bibliques, on en est réduit à faire des conjectures à propos de l’historicité des personnages mentionnés dans l’Ancien Testament de la Bible (du moins si l’on considère les livres du Pentateuque).
Quant à ceux mentionnés dans le Nouveau, on n’est guère plus avancé à leur sujet. Certes, on peut toujours alléguer que Jésus a effectivement existé en lisant tel morceau des œuvres de Flavius Josèphe, de Suétone, de Tacite, de Pline le Jeune, ou de Lucien de Samosate. Tous, à l’exception de Josèphe, font allusion à un Christos qui est le dieu Christos.
Quant à Josèphe, certains démontrent aujourd’hui que le passage de son œuvre où il cite l’homme Jésus (un homme qui, vu sa sagesse, n’est déjà plus un homme, à en croire le texte même de Josèphe) a été rajouté après coup.
Voici un extrait du texte concerné (cf. Le Testimonium Flavianum, Antiquités juives, XVIII, 63-64) :
… "Vers ces temps-là un homme sage est né, s'il faut l'appeler un homme. Il accomplissait notamment des actes étonnants et est devenu un maître pour des gens qui acceptaient la vérité avec enthousiasme. Et il est parvenu à convaincre beaucoup de juifs et de grecs. Le Christ c'était lui. …
Pour en revenir à l’historicité des personnages mentionnés dans la Bible, imaginons un instant qu’on retrouve des tas de documents (par exemple en Egypte, en Syrie ou en Irak (qui correspond, en gros, à l’ancienne Mésopotamie) démontrant que ces personnages ont effectivement existé en tant qu’hommes, ou, ce qui revient au même, qu’ils ont été des créatures historiques.
Ils perdraient alors, dans l’esprit de ceux-là même qui lisent les textes sacrés, l’aura ou le caractère divin qu’ils ont acquis au fil des ans.
Et ce qui vaut pour les personnages de l’Ancien Testament vaut également pour ceux du Nouveau.
Certes, mis à part les athées ou les sceptiques, personne aujourd’hui ne conteste l’existence de Jésus. Cela est d’autant plus vrai que le christianisme, dont Jésus est le Verbe ou le Logos, est aujourd’hui une réalité qui pèse très lourd grâce à la présence de 1,5 milliards de chrétiens sur terre.
Quant à savoir si Jésus a effectivement existé, c’est là une autre affaire.
Ceci dit, quand on parle de religion, et, au-delà, de l’existence ou non du Jésus historique, le problème ne situe pas tant dans le mot religion que dans le mot histoire.
En effet, nous, gens du monde moderne, pensons différemment l’Histoire que nos ancêtres (qui sont, dans le cas qui nous occupe, les premiers chrétiens, et, si l’on remonte plus haut dans l’Histoire, des peuples païens qui croyaient en d’autres dieux que l’Eternel et son envoyé sur terre qu’est Jésus-Christ).
Pour eux, en effet, le Messie (qu’il s’appelle Hoshua, ou Yeoshuha, ou Jésus, ou le Oint, ou Quetzalcoatl - on est ici dans la mythologie aztèque) était censé revenir auprès des hommes (que ce soit pour les réconforter ou au contraire pour les châtier) après les avoir quittés pour un pays inconnu. Eux-mêmes attendaient son retour car il avait promis qu’il reviendrait parmi eux.
Et c’est là qu’intervient l’idéologie. En effet, comme le savent tous les spécialistes du monde antique s’occupant de religion, ce retour de l’être providentiel se réfère au départ à une religion naturaliste qui voyait dans le dieu de la végétation la créature providentielle capable de faire revenir la vie et la végétation sur terre après les longs mois d’hiver.
Et parce que la religion va devenir sabéenne (le mot sabéen renvoie au culte des astres) avec le temps, ce personnage providentiel va progressivement être identifié au soleil, et, plus tard encore, à telle planète ou constellation.
En d’autres termes, la religion en question renvoie non seulement au culte des astres, mais à un culte des astres en qui les Anciens (qui sont nos ancêtres) voyaient leurs propres ancêtres.
Et si une telle religion eut son heure de gloire sous l’antiquité (une antiquité très tardive s’agissant des Sabiens, eux dont le nom apparaît pour la première fois dans le Coran), elle tomba dans les oubliettes de l’histoire lorsque le monothéisme devint la religion des hommes.
Tout cela pour dire que les Anciens avaient du divin (et aussi, à fortiori, de l’histoire du monde et des hommes en son sein) une autre conception que nous, les Modernes.
Même remarque à propos du temps qui passe : tandis que nous-mêmes mesuront ce temps grâce à l’horloge, nos ancêtres le mesuraient en se basant à la fois sur les mouvements du soleil et de la lune et sur ceux des constellations (elles qui étaient, dans leur religion sabéenne, non seulement des héros, mais leurs propres ancêtres - des ancêtres qui, quand ils mourraient, voyaient [ si l’on ose ainsi parler] leur âme quitter la dépouille mortelle pour rejoindre le cosmos, ou, ce qui revient au même, le monde des étoiles]).
En résumé, nos ancêtres avaient eux-mêmes pour ancêtres des constellations qui, en se déplaçant sur le planisphère céleste, non seulement dictaient la marche du temps, mais accomplissaient de véritables exploits durant leur avancée vers la Terre Promise. Et pourquoi de tels exploits ? Réponse : car d’autres constellations (qui représentent, elles, d’autres peuples) s’opposaient à l’avancée des premières, obligeant les étoiles appartenant au peuple élu à gerroyer contre elles (que ce soit magiquement ou réellement) pour s’ouvrir les chemins d’une Terre Promise qui n’en rien d’autre, ici, que le Jardin d’Eden.