La question de l'écrit, de sa nécessécité, de son but est très intéressante, et soulève de nombreuses questions, surtout dans l'une des premières civilisations à avoir élaboré ce système, qui génère par la suite tout un ensemble d'attitudes, change les comportements ... Enfin, je ne vais pas m'étendre là-dessous, ça peut devenir très lourd.
Pour en revenir à ce que vous demandiez, Dédé, le sumérien est une langue dont on a pas mal de textes, mais en fin de compte peu on été écrits par des Sumériens. On pense que les personnes parlant sumérien dans la vie courante n'existent plus à la fin du IIIè millénaire, peut-être même dès l'époque de la soi-disante révolution "néo-sumérienne" de Gudea de Lagash et d'Ur III. Mais le sumérien est resté une langue parlée dans les hauts centres culturels mésopotamiens jusqu'aux derniers siècles avant JC, ce qui constitue une formidable survivance (et une preuve que le culture mésopotamienne était très conservatrice). Cela revient à dire que la plupart des textes que vous trouvez dans "L'Histoire commence à Sumer" ne sont même pas écrits de la main de Sumériens. On ne sait pas vraiment distinguer ce qu'il y a de propre aux Sumériens ou aux Akkadiens dans la civilisation mésopotamienne, mais il est très probable que les premiers ont été à l'origine de la plupart des légendes les plus anciennes, même si il ne faut pas négliger non plus l'influence akkadienne sur les Sumériens (ce qu'on a trop tendance à oublier).
La question de parler de lecture du sumérien est de ce fait trop réductrice. Il faut plutôt poser la question de : qui lisait l'écriture cunéiforme ? En premier lieu, les scribes, chargés de rédiger la plupart des textes. Il existait différentes spécialisations, différents niveaux selon les capacités : en bas de l'échelle, certains rédigeaient des contrats pour des particuliers, d'autres plus en haut étaient chargés d'écrire la correspondance royale, ou affectés aux scriptoria des temples, celles-là mêmes où le sumérien était encore employé. Ces derniers avaient les capacités les plus élevées. A côté, tout un ensemble de particuliers pouvaient lire ou même rédiger des textes avec un niveau moins élevé sans avoir reçu de vrai formation de scribe : des marchands et hommes d'affaires, mais aussi des hommes d'Etat. Il semble en fait que l'on sous-estime généralement le nombre de personnes sachant écrire ou déchiffrer les tablettes cunéiformes, surtout par rapport à la difficulté de cette écriture, mais celle-ci n'est en fait pas insurmontable (et, selon cette logique, il n'y aurait pas autant de personnes lisant les idéogrammes chinois qui sont beaucoup plus compliqués).
Les mythes retranscrits étaient connus des gens des cours, ou des notables, qui pouvaient s'en faire faire la lecture s'ils ne savaient pas lire. Mais vu qu'il s'agit de mythes populaires, le peuple devait aussi les connaître, par des poètes publics peut-être, en tout cas par transmission orale (mais on est mal renseignés là-dessus). Il existait cependant des textes très spécialisés réservés aux initiés seulement, que ce soient des manuels d'exorcisme, de divination, des textes de rituels ou d'interprétation de rituels, ou de mythes moins répandus. Il est probable que le peuple était plus informé desgrands mythes qui ont étés retrouvés en plus grand nombre d'exemplaires : Gilgamesh, l'Atrahasis, l'Epopéede la Création ... Les représentations publiques des mythes au cours des rituels comme les cérémonies du Nouvel An faisaient que tout le monde connaissait les mythes représentés. Dans la civilisation hittite, les grands mythes sont d'ailleurs connus pas les rituels les représentant.
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